Les Indes Fourbes, rencontre avec Alain Ayroles et Juanjo Guarnido

Rencontre publique autour de l'album Les Indes Fourbes, 
organisée par la Librairie Bulle, Le Mans, le 06/09/2019
au Musée de Tessé
animée par Agnès Deyzieux, retransmise en direct par LMTV

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Voici les questions qui ont été posées aux invités, Alain Ayroles et Juanjo Guarnido. 

Pour voir et écouter l'émission télé, cliquer  ici


En guise d'introduction, pour vous présenter, un petit mot sur vos parcours respectifs.
-Alain Ayroles, vous vous êtes fait connaitre avec deux séries qui ont marqué le monde de la bande dessinée : Garulfo, un conte de fées humoristique et De Capes et Ce Crocs, une comédie de cape et d'épée marquée par la littérature du 17ème. La parodie,  le détournement, le pastiche sont des pratiques que vous affectionnez. Qu'est-ce qui vous séduit tant dans cet art du détournement et de la référence littéraire que nous allons retrouver avec ce nouvel album ?
-Juanjo Guarnido, vous avez réalisé la célèbre série Blacksad scénarisée par Juan Diaz Canales qui connait depuis plusieurs années un grand succès. Vous avez également réalisé des séries d'animation, puisque vous avez œuvré au sein du studio Disney de Montreuil. Est-ce que le fait d'avoir été animateur de séries dessinées apporte quelque chose de particulier à votre dessin en bande dessinée, dans la dynamique du trait ou dans l’expressivité des personnages ?

-Quelles sont les qualités que vous appréciez l'un chez l'autre, qui vous ont donné envie de réaliser cet album ensemble ?
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-Les Indes fourbes est un récit truculent qui met en scène Pablos, un personnage crée il y a 400 ans par Francisco de Quevedo dans El Buscon. Comment l'envie vous est venue d'imaginer une suite à ce roman picaresque et de redonner vie à ce Pablos ? Est-ce plutôt de votre fait, Juanjo Guarnido, en tant qu'espagnol attaché à son patrimoine littéraire ou du vôtre, Alain Ayroles, en tant qu’amoureux de la littérature du 17ème ?

-Pablos est un gueux qui est prêt à tout pour se hisser dans la société de son époque, l'Espagne du 17ème siècle, pays qu'il va quitter pour  tenter sa chance en Amérique latine, ce nouveau monde qui symbolise l'eldorado et que l’on nomme encore les Indes. Il n’hésite pas à faire ce qu’il faut pour survivre : c'est à dire mentir, tricher, voler, escroquer, mendier, prostituer, dénoncer, bref abuser de tout le monde... Pourtant, c'est un personnage très attachant, peut-être parce qu'il a beaucoup souffert et qu'il continue d'essuyer bien des échecs… Juanjo Guarnido, est- ce compliqué de créer le visage de quelqu'un qui doit être à la fois attachant et repoussant ? Comment avez-vous composé son portrait ?
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-Alain Ayroles, vous avez donné un trait de personnalité particulier à Pablos : il est un acteur de théâtre né, il sait divertir par des pantomimes tous les publics, ce qui le sauve bien des fois. Il rappelle aussi bien le Scaramouche de la comedia dell'arte que Scapin, le valet de Molière. Est-ce vous qui avez joué sur cette dimension de théâtre du personnage ou était-elle déjà chez Quevedo ?

-Il y a des références très marquées à la peinture dans les premières pages de l’album mais visibles dès la couverture. Qu'est-ce qui a motivé ce portrait à la peinture à l’huile à la manière de Velasquez ou de Rubens, où Pablos pose avec un petit sourire malicieux qui contraste avec son apparence quasi princière ?
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-J'ai beaucoup apprécié les premières pages qui nous introduisent à la cour d'Espagne au moment même où Velasquez est en train de peindre le couple royal et qui fait référence au fameux tableau des Ménines que vous vous amusez en quelque sorte à animer. Qu'est ce qui vous a donné envie de débuter par la mise en scène de ce célèbre tableau ?
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-C'est aussi une scène assez troublante pour le lecteur. On cherche en vain le narrateur que l'on l'entend parler mais qu'on ne voit pas. Est-ce une façon de prévenir le lecteur que vous allez jouer avec lui et qu'il va falloir qu'il se montre attentif ?
-Alain Ayroles. Le scénario des Inde fourbes regorge de rebondissements et de fausses pistes, de dialogues savoureux, de références artistiques. Comment avez-vous élaboré ce scénario ? Vous êtes vous particulièrement imprégné du style ou du ton de Quevedo ? Et ensuite, avez-vous écrit ce scénario d'un seul coup ou par petits bouts qui ont grossi ?

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-Comment s'est déroulée votre collaboration ?

-Dans le chapitre un, tout est raconté par Pablos, comme dans le roman de Quevedo qui est à la première personne mais dans les deux autres chapitres de l'album, d'autres personnages vont prendre la parole. Et on s'aperçoit que si Pablos ment souvent, tout le monde, quelque soit sa condition, est aussi fourbe que lui. Le mensonge est donc vraiment au cœur du récit, ce qui va créer bien des fausses pistes et de faux semblants, chacun racontant les mêmes faits selon son propre point de vue. Comment vous est venue l'idée de donner la parole à d'autres personnages dans les deux autres chapitres, vous démarquant ainsi du roman de Quevedo ? Est-ce une façon de montrer que Pablos n'est pas pire que les autres ? Et comment avez vous réussi à ne pas vous perdre dans tous ces récits à tiroirs ?
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-Le récit fourmille de petites allusions ou références qui vont de Cervantès à Hergé, en passant par la Controverse de Valladolid ou Aguirre et la colère de Dieu, c'est assez jubilatoire pour le lecteur ! Il y a aussi un humour très cartoon, un humour de situation ou de running gag (je pense à l'aversion des chiens, des chevaux et des lamas pour Pablos). Ce qui est assez fascinant, c'est que l'humour peut venir aussi bien des évènements comme des réparties des personnages mais aussi du dessin, en particulier dans les expressions des corps et des visages. Les personnages ont des trognes pas possibles, en particulier les notables de Cuzco.
Juanjo Guarnido, comment avez vous travaillé ces personnages graphiquement ? Où avez vous puisé votre inspiration?
Alain : comment un scénariste travaille-t- il cet aspect humoristique ?
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-Juanjo Guarnido, vous avez un dessin très réaliste et travaillé au niveau des décors, des costumes, et en même temps il y a un côté très spontané et dynamique dans le jeu et les expressions des personnages. Avez-vous particulièrement travaillé cet aspect cartoon des personnages ?

-Alain Ayroles, il y a beaucoup de jeux entre les images et textes et le lecteur comprend qu'il y a souvent des distorsions entre ce qui est raconté et montré, ce qui va être source d'humour et permettre aussi au récit de se régénérer. Des images vont revenir au cours du récit, se faire écho et prendre des sens différents. Comment avez vous conçu ce montage si subtil ? Est ce très pensé au départ ou les idées viennent elles en cours de réalisation ?  
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-Juanjo Guarnido, il y a un grand passage spectaculaire d'une douzaine de pages entièrement muettes, dans la jungle amazonienne, d'où se dégage un beau souffle épique. Est-ce que ce passage vous a donné beaucoup de plaisir ou plutôt beaucoup de travail ?
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-Juanjo Guarnido, il y a un travail de dessin époustouflant au niveau des paysages comme au niveau des décors, que l’on soit dans des appartements cossus ou dans des villages sauvages, au niveau des costumes également... Quelle est l'importance de la documentation dans un travail pareil ?
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-Les couleurs sont très variées et immersives pour le lecteur et ont aussi un rôle narratif dans les séquences en flash back. La mise en couleurs demande quelles qualités selon vous  : de la précision, de la patience, la connaissance des rapports de couleurs ? Vu l’ampleur de l’album, vous êtes-vous fait seconder ou aider pour cette mise en couleurs ?

-Juanjo Guarnido, on dit que vous avez passé plus de trois ans à travailler sur le dessin de cet album. Comment vit-on cette expérience, comme une épreuve ou un plaisir ?

-Alain Ayroles, vous suggérez à la fin que, seul, le portraitiste Velasquez est capable de percevoir la réalité alors que les autres personnages restent dans l'illusion. Est-ce une façon de dire au lecteur que la vérité ne reste accessible qu'à l'artiste qui finalement garde le secret et joue à duper tout le monde ? Et qu'au final l'art comme la vie n'est qu'une illusion ?

-Les Indes Fourbes, c'est un album hors norme tant par ces qualités scénaristique et graphiques que par format, sa pagination, la qualité éditoriale de l'album, le nombre de tirages annoncés, 120 000 exemplaires. Vous vous êtes beaucoup investi manifestement mais il semble que votre éditeur aussi, éditeur qu’on n’a pas encore nommé et qui est donc Delcourt. C’est une marque de confiance importante que vous fait là l’éditeur ?

-Quels sont vos projets ?


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Un grand merci au Musée de Tessé pour son accueil et sa mise en scène originale des planches de Juanjo Guarnido au sein de ses collections de peinture.
Un grand merci également aux auteurs pour leur gentillesse et leur disponibilité ainsi qu'à toute l'équipe Delcourt.

Samuel Chauveau, de la librairie Bulle, travaille depuis un an avec l’éditeur pour accueillir les deux auteurs des « Indes Fourbes ».
Samuel Chauveau de la Librairie Bulle au Musée de Tessé



Rencontre avec Enki Bilal



Autour de Bug
Interview en public au théâtre de l’Espal, Le Mans, 26 avril 2019
Organisée par la Librairie Bulle
Animée par Agnès Deyzieux


Vous trouverez ci dessous les questions de l'interview. Pour chaque question, un timecode vous est précisé. 
Ici, la bande son.  
La bande son est de piètre qualité durant la première minute. A partir de 1’27,  le son est très bon !! 


Bande son seconde 15
1. Lorsque vous avez commencé à travailler sur Bug, aviez-vous une idée assez précise de ce récit, écrit un story-board complet avec une fin possible ou vous êtes-vous accordé une certaine liberté d'évolution au cours du récit ?


Bande son minute 2
2. Avez-vous réfléchi à un format précis, à une tomaison particulière ?




Bande son minute 3
3. Y a-t-il des références ou des clins d'oeil dans le nom de Cameron Obb ? Je pensais à James Cameron, réalisateur entre autre d’Alien, le retour et d'Avatar ? Et Obb m'a fait penser également au terme Hub, utilisé en informatique pour designer un point de connexion central, qui regroupe des flux en vue de leur redistribution, ce qui définirait assez bien le rôle de ce personnage ?


Bande son minute 3’20
4. On retrouve au début du tome 2, Cameron et Junia qu'on avait quitté à la fin du tome 1, s’envolant vers un avenir incertain. Ils sont tous deux porteurs d’une tâche bleue, une tâche qui s'est développée sur le visage de Cameron depuis qu'un alien s'est infiltré en lui. Le bleu est une couleur omniprésente dans votre travail, avec des symboliques diverses. Ici, on peut se demander si cette tâche est le signe d'une malédiction (un peu comme la tache bleue du dictateur ds Tykho Moon). Ou d'une maladie contagieuse car Junia développe elle aussi cette tache au contact de Cameron ou alors d'un don comme le laisse supposer la suite. Cette tâche, vous l'avez conçue au départ comme un simple signe distinctif qui marque Cameron ou déjà comme un symbole d'espoir ?


 Bande son- minute 5
5. Vous accordez à Cameron et à Gemma, sa fille, une voix plus intime puisqu'ils livrent leurs pensées intérieures comme dans une narration de type journal intime. Pourquoi avoir voulu qu'ils s'adressent ainsi directement au lecteur ?
Bande son- minute 6’38

6. Pour vous Bug, c'est un récit de science fiction ou c’est plutôt une fable de prospection d’un futur proche ? En montrant cette société qui s'effondre, est ce que vous cherchez à avertir le lecteur ?


Bande son- minute 7’57
7. Si certaines scènes dans le tome 1 présentaient les dommages de ce bug (avions écrasés, suicides de jeunes désespérés, ascenseurs bloqués), le tome 2 nous offre quelques bons moments de comédie. On sent que vous vous êtes amusé à mettre en scène des situations grotesques comme le mariage en lévitation de la star italienne ou un personnage comme le vieux Corse, Bunifaciu, le seul apte à conduire malgré ses 97 ans ! Les personnes âgées comme les techniques dépassées sont valorisées, ce qui va à contre courant des courants actuels et qui est donc assez jubilatoire pour le lecteur. Pour vous ces tranches d'humour étaient nécessaires à ce récit ?




Bande son- minute 9
8. J'avoue que les journaux dès le tome 1 m'ont particulièrement réjouie. Leur orthographe défaillante bien sûr, leurs prédictions farfelues mais surtout aussi leur côté graphiquement laid ! Pour vous, la perte de l’orthographe s’accompagne nécessairement d'un appauvrissement esthétique ?
Bande son- minute 10’46
9. Cameron, l'ultime disque dur de la planète, celui qui concentre toutes les informations numériques est détenteur d'un trésor convoité par tous. Il va être donc pourchassé par toutes sortes d'organisations criminelles comme étatiques. D'une certaine façon, le récit bascule dans le polar, plutôt humoristique avec le passage de la mafia italienne et corse qui a enlevé Gemma. Peut-on penser que le polar s’installe dans la suite du récit et de façon plus sombre ?
 
Bande son- minute 12’54
10. Pour vous, qui êtes né dans un pays communiste et qui en avez vu la chute, la reconstruction du monde passerait forcément par d’anciennes idéologies ?
Bande son- minute 13’05
11. Vous citez La Maison éternelle de l'historien Yuri Slezkine paru en 2017, qui décrit la maison du Gouvernement, un immense bâtiment édifié à Moscou au début des années 30 qui regroupait l'élite soviétique. Pourquoi citer ce livre là ?


Bande son- minute 13’54
12. Dans ce monde effondré, des personnages féminins qui vont diriger l'avenir semblent émerger. Les présidents russe et américain ayant du démissionner pour implants défectueux, ce sont des femmes -garanties sans implants-qui risquent de leur succéder. Est-ce que pour vous, les femmes au pouvoir, c'est une conviction personnelle ou une évolution  inéluctable ? Et pensez-vous qu'elles ont plus de chance de réussir que leurs prédécesseurs masculins ?
 
Bande son- minute 15’09
13. Amin est un personnage qui joue un rôle assez important dans ces deux volumes. Il représente l'homme augmenté, le corps bourré d'implants et de nano technologies. Mais il semble que son esprit soit bien plus dérangé que son corps. Ce personnage qui dégénère à toute vitesse, vous l'avez crée pour son coté psychopathe et terrifiant ou parce qu'il incarne l'homme soit disant nouveau ?
Bande son- minute 16’29
14. On voyage beaucoup et très rapidement : on passe de la Corse à Gibraltar puis Paris en deux pages. On ira aussi à Barcelone, Tokyo, et Marseille avec de très belles pages sur Marseille où les calanques deviennent le lieu d'opérations militaires internationales. En fait, c'est amusant car ce ne sont pas des visions de villes futuristes mais bien des images du présent qu'on reconnait, revisitées à peine par la fiction. Comment avez-vous abordé la représentation de tous ces lieux ?

Bande son- minute 17’46
15. L'album s'ouvre et se ferme sur une tour Eiffel bien mal en point et sur un palais de l'Elysée au bord de l'effondrement, une façon d'annoncer la fin de l'ancien monde. Il semble que Notre Dame (p. 28) n'ait plus sa flèche sur cette image. Est-ce que vous avez génialement anticipé sa perte et le fait que manifestement, en 2041, les travaux de restauration ne seront pas finis ?

Bande son- minute 18’33
16. Les deux volumes de bug se déroulent pendant un laps de temps assez court. Environ 15 jours ou trois semaines s’écoulent avec des rythmes de narration qui sont très différents. Parfois, il y a beaucoup d'images pour raconter une séquence (comme les retrouvailles de Cameron et sa fille sur la plage corse), mais souvent, il y a des montages cut à l'intérieur même d'une planche qui cassent la continuité de lieu ou d'action et nous font brutalement aller d’un endroit à un autre. Pourquoi avoir choisi ces ruptures de rythme ?
Bande son- minute 20’16
17. Vous travaillez en couleurs directes. Est-ce à dire que la couleur est directement appliquée à la planche sans passer par un crayonné préparatoire ? Ou y a-t-il a un travail de dessin avant ?
 Bande son- minute 21’05
18. Est-ce que vous travaillez toujours case par case que vous remontez ensuite au sein de planches ? En quoi cette façon de procéder vous convient-elle ?

Bande son- minute 21’41
19. Une adaptation télévisée sous forme de série est en cours sur laquelle vous participez comme scénariste avec le romancier Dan Frank avec qui vous avez déjà collaboré. Est-ce que ce travail sur cette série interagit sur l'évolution du scénario de la bande dessinée ?
  
Bande son minute 23’36
20. Le premier volume de Bug est paru en novembre 2017. 17 mois après, le tome 2 est entre les mains des lecteurs. Vous êtes parti a priori sur un format en 5 volumes, c’est une aventure au long cours. Est-ce que vivre pendant 5 ou 6 ans avec Bug n’est pas trop anxiogène et chronophage ?

Bande son- minute 26’50
21. Vos fans attendent déjà le tome 3. Pouvez-vous nous communiquer une date ?

Questions du public

Bande son- minute 27’23
-Le format de votre album m’interpelle. Bilal, on le voit dans un format plus grand. Est-ce votre choix ici 
?
Bande son minute 29’12
-Un film pourrait-il être adapté de l’album ?

Bande son minute 30’54
-Avez-vous été surpris par le succès du volume 1 de Bug ?

Bande son minute 32’45
-Vous avez eu accès à la grotte de Lascaux. Je vous ai entendu sur une émission de radio en parler. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?

Bande son minute 34’46
-Ne seriez-vous pas tenté de faire un album purement politique ? L’actualité politique française ne pourrait-elle pas vous intéresser ?

Bande son minute 39’52
-Vous accordez-vous la possibilité de changer la fin de Bug que vous avez déjà prévu ?

Bande son minute  41’
-Lors d’une rencontre au Mans avec Christin, celui-ci a déclaré : « J’ai arrêté de faire des albums avec Bilal parce qu’à chaque fois, ce qu’on imagine arrive ! » Vous vous continuez. Est-ce pour exorciser vos peurs ou cela va arriver ?

Bande son minute  48
-Est-ce important dans une carrière de rester chez le même éditeur ?

Bande son minute  50
-Comment allez-vous gérer la fin de la série alors qu’on ne connait pas la fin de la bande dessinée ?

Bande son minute  53
-Est-ce que vos livres n’ont pas une dimension d’alerte ? Je suis surprise que vous attaquiez les lanceurs d’alerte alors que je vous voyez plutôt de ce côté ci ?

Bande son minute  56
-Quelle serait pour vous la bande musicale la meilleure pour Bug ?

Bande son minute  59

-Pouvez-vous nous dire ce que vous préférez comme étape dans la réalisation graphique d'un album ?


Merci à Enki Bilal pour sa disponibilité, 
à toute l'équipe technique du Théâtre de l'Espal 
et à la librairie Bulle



Emakimono et manga, une longue histoire


Emakimono et manga, une longue histoire

Le manga se situe aux croisées d'influences orientales et occidentales. Il s'est autant nourri des arts graphiques et narratifs traditionnels japonais que de l'art occidental, à travers la caricature européenne et la bande dessinée américaine très tôt importée dans l'archipel. Voyons ici comment la peinture sur rouleaux, première forme d'art graphique et narratif japonais, a pu exercer son influence sur le manga.

L'emakimono


L'emakimono désigne littéralement un "rouleau peint", en papier ou en soie. Il apparaît vers le VIIIe siècle et reprend tout d'abord les œuvres chinoises dont il s'inspire. Il s’affranchit ensuite de cette influence et connaît un véritable âge d'or au Japon, aux 12e et 13e siècles. La taille d'un rouleau varie : sa hauteur est d'environ 30 cm et sa longueur peut dépasser les 30 mètres.


L'emakimono est un genre narratif. Il raconte une histoire ou une succession d'anecdotes, mêlant textes calligraphiés et images. Les artistes y décrivent des actions en continu, jouant sur la succession des plans pour organiser les récits : tantôt fluides et dynamiques, tantôt lents  et contemplatifs. Dans les emakimono inspirés de la littérature, le texte occupe deux tiers de l'espace tandis que d'autres œuvres privilégient l'image, parfois jusqu'à expulser le texte.


Les emakimonos sont destinés à la lecture dans un cadre intime et non à l’exposition publique. Ils s'adressent à une élite de lettrés (l'aristocratie et le haut clergé). Les récits sont lus progressivement de droite à gauche, selon le sens d'écriture du japonais. Le lecteur déroule le rouleau de la main gauche et l'enroule au fur et à mesure avec la main droite. De cette façon, seule une partie de l’histoire est à découvert (environ 60 centimètres). Le lecteur qui déroule l'emakimono à son propre rythme a aussi toute liberté pour progresser dans le récit. Une fois sa lecture terminée, le lecteur doit ré-enrouler l’ensemble dans son sens de lecture original.

Du fait de sa diversité narrative, de son traitement de l'espace et du temps et de certains de ses codes graphiques, l'emakimono est considéré par de nombreux critiques d'art comme le plus lointain ancêtre du manga et du cinéma d’animation.

L'œuvre la plus souvent citée pour illustrer cette parenté est le Chōjū-jinbutsu giga (traduit par Caricatures de personnages de la faune plus communément appelé Rouleau des animaux). C’est un ensemble composé de quatre rouleaux dont au moins deux ont été attribués au moine bouddhiste Toba Sōjō (1053-1140), les deux autres datant du 13e siècle. On a vu souvent dans le premier rouleau, le plus connu et le plus long (11 mètres), les prémices d’une grammaire narrative innovante, comparable à celle des mangas et des dessins animés.


Ce rouleau ne présente aucun texte, seulement des peintures entièrement réalisées à l'encre, manifestant un art du trait expressif et dynamique.



Le peintre qui a composé ce rouleau a joué sur diverses épaisseurs de trait pour accentuer le mouvement, ainsi que sur la dilution de l'encre pour exploiter une plus large palette de gris.
   


Ces dessins présentent un esprit libre et satirique, exempt de toute solennité qui présidait jusqu'alors dans l'art bouddhique. On y voit des animaux anthropomorphes qui – l’interprétation fait débat – pourraient représenter une caricature de la noblesse et du clergé contemporains de l’époque du peintre. Les singes ou les grenouilles représenteraient les moines, les lapins et les renards les aristocrates. Toutes les scènes se passent en extérieur. La narration se base sur leur enchaînement - les animaux se rendent à une cérémonie et se livrent à diverses activités (déambulation, discussion, poursuite, activité physique, bagarre). Les personnages ont souvent les regards orientés vers la gauche, soutenant ainsi le sens de lecture.

Visionnez ici la lecture de ce rouleau
(http://www.gachan.org/pro/plan conf/First_Japanese_Manga_900_yeras_ago.flv)
Description des scènes du rouleau
Au début du rouleau, lapins et singes se lavent et nagent dans un lac. Un lapin plonge alors qu'un autre s'apprête à gratter le dos d'un singe avec une énorme brosse. Puis, après un décor de montagnes et de plaines, le lecteur découvre grenouilles et renards qui observent une partie de tir à l’arc jouée par des lapins et grenouilles pendant que d’autres portent de lourds coffres. Des offrandes (du gibier) apportées par une cohorte de grenouilles, lapins et renard sont présentées à un singe.

Soudain, sur la route, à contre courant du cortège, surgit un singe, poursuivi par des grenouilles armées de bâtons. Plus loin, une grenouille gît au sol, entourée de curieux, frappée peut-être par le fuyard.

Puis, une scène montre un affrontement entre une grenouille et un lapin, entourée de leurs congénères hilares. La grenouille jette au sol le lapin. On remarque des traits qui sortent de la bouche de la grenouille victorieuse qui symbolisent peut-être un cri de victoire ou un effet de buée lié à l'effort de la combattante.


Dans une des dernières scènes, un singe prie face à une grenouille assise sur une feuille de lotus, caricaturant Bouddha. Un chant ou des prières sont signalés par la représentation de traits ondulés qui sortent de la bouche du singe. A l'arrière-plan, trois religieux manifestent différents états d’ennui et de lassitude. Un peu plus loin, dans un arbre, une chouette qui bat des ailes regarde le lecteur comme pour le prendre à témoin de l'ironie de la scène.
L’humour qui court tout le long du récit trouve, dans cette satire de célébration religieuse, son apogée.

Avec ces rouleaux naît tout un art de la caricature. Une fibre comique et satirique anime manifestement ces représentations qui critiquent ouvertement des mœurs et des comportements de l’époque. Quant aux peintures, la simplicité de la ligne qui favorise l'expressivité et le dynamisme des personnages séduit par sa spontanéité et sa fraîcheur.
Il y a une tradition au Japon de l'image composée de traits, c'est à dire d'un dessin conçu en une seule couleur, sans lumière, ombre ni volume. Le dessin à l’encre est une technique de dessin monochrome importée de Chine par l’intermédiaire des moines bouddhistes qui trouve ses racines dans la calligraphie chinoise.
Avec l'emakimono, le manga hérite de cet art du trait et du contour, de la spontanéité d'un dessin composé de lignes simplifiées et suggestives qui privilégient la narration sans effets esthétiques virtuoses.

Les emakimono expérimentent des codes graphiques et narratifs nouveaux
Observons un extrait de Rouleaux des légendes du mont Shigi, un ensemble composé de trois rouleaux de 30 cm sur 35 mètres, datant approximativement du XIIe siècle.



Rouleaux des légendes du mont Shigi
Avec cette grande image en plan large, le peintre décrit le périple du messager envoyé par le moine Myoren pour soulager l'empereur malade. On le voit voler dans le ciel pour atteindre le palais. En bas à gauche, on aperçoit des femmes, minuscules, vues en plongée. Ce cadrage contraste avec le plan large de l'image, accentuant l'impression de profondeur et d’immensité de la scène. L’action est orientée de gauche à droite car il s'agit d'une action précédant l'arrivée au palais, une sorte de flash-back. Une ligne dynamique souligne le mouvement du personnage et guide ainsi l'œil du lecteur.


Le messager pousse devant lui une roue symbole du Dharma ou loi bouddhique. L'impression de vitesse et le mouvement de rotation de la roue sont bien exprimées par les lignes courbes et ondulées qui l'entourent.
Lignes de vitesse ou de mouvement, utilisation de l'espace comme portion du temps, jeu de profondeur ou de perspective dans l'image sont autant de codes ou d'astuces graphiques que l'emakimono expérimente habilement, et que d'autres formes de narration dessinée se réapproprieront, notamment la bande dessinée.

La stylisation ou la caricature ou des visages

Une caractéristique que l'on rencontre dans les emakimonos, c'est l'hikime kagihana, littéralement «yeux en fente, nez en crochet». Cette technique présente des personnages avec deux points pour les yeux, un trait courbé pour le nez et un point rouge pour la bouche. Les visages des personnages ne sont donc pas individualisés ; ils restent impassibles, probablement pour permettre aux lecteurs, en particulier les nobles, de s’identifier à ces représentations, et d'y reconnaître une sobriété supposée figurer leur pureté. Certains critiques estiment que les nobles de la cour répugnaient à se faire portraiturer, craignant que leur image soit utilisée à des fins magiques. Cette reticence s'attenue à la fin du XIIe siècle. Mais elle pourrait expliquer l'usage de cette technique du hikime kagihana.
On retrouve cette façon de styliser dans l’estampe qui propose un dessin présentant des anatomies sommaires, où le visage se réduit à un ovale et où les sentiments ne sont manifestés que par des yeux et une bouche minuscules. Le nez est souvent délaissé car il est censé ne rien pouvoir exprimer. Certains de ses éléments de stylisation du visage sont repérables dans le manga, en particulier cet effacement de la bouche et du nez.

Si les personnes nobles sont stylisés dans les emakimono, les gens du peuple sont caricaturés de façon expressive.

Détail extrait des Rouleaux des légendes du mont Shigi
Le moine Myōren avait pour habitude d'envoyer par les airs un bol magique jusqu'au village proche afin de percevoir son offrande de riz. Cette manière de s'approvisionner semble réjouir les villageois, satisfaction qui s'exprime ici physiquement par des corps contorsionnés, des bras tendus et des bouches grandes ouvertes.

On voit ici le visage des femmes réjouies par le retour des ballots de riz que le moine leur retourne, après leur avoir confisqué.

La représentation des visages peut être donc aussi bien être très stylisé et impersonnelle, que  très expressive et caricaturale, une caractéristique qu'on retrouve également dans le manga qui aime autant schématiser les personnages que jouer sur l'expression exacerbée de leurs émotions.

Une approche du découpage et de la séquentialité
Dans les emakimono, des artistes utilisent la technique du fukinuki yatai, la technique du «toit enlevé», une astuce qui permet des innovations dans la narration.

Rouleaux enluminés des antécédents du Taima mandala, XIIIe siècle. Style Yamato-e : le fukinuki  yatai . Rouleau 2

Dans ce rouleau qui évoque le tissage du Taima mandala, un motif du bouddhisme japonais, l'artiste utilise cette technique du "fukinuki yatai". Le toit et le premier mur de face ne sont pas représentés. L'intérieur des pièces du temple est ainsi visible pour le lecteur. La succession des quatre pièces permet de créer plusieurs espaces narratifs qui exposent les phases successives de la narration. Comme dans la bande dessinée ou les cases s'enchaînent, la lecture se fait par étapes. Tout d'abord, à droite, on assiste à l’arrivée de la jeune religieuse. Traversant une seconde pièce, on la suit qui se dirige vers la tapisserie. Dans le troisième lieu, c'est le tissage de la tapisserie et dans la quatrième pièce, la contemplation de la tapisserie achevée où l'on retrouve un personnage aperçu dans le premier épisode. L'artiste construit un récit qui suggère des ellipses temporelles entre les événements tout en maintenant une cohérence dans la représentation et le positionnement des personnages et du décor. Il y a dans l'ensemble de la composition des effets de progression mais aussi de symétrie et d'écho, effets que les formes géométriques des pièces accentuent. Mais plus encore, en décalant chaque salle au-dessus de la précédente, l'artiste communique au lecteur une impression d'ascension, effet manifeste si l'on déroule progressivement le rouleau mais tout autant lorsque la scène globale se trouve sous nos yeux. On peut y voir par anticipation une forme de découpage de la planche de bande dessinée où il s'agit à la fois de décomposer l'espace en portions de temps mais aussi de jouer sur un effet général de la composition.

Avec cette technique du  fukinuki yatai, l'artiste peut véritablement jouer sur des formes diverses de temporalités : séquentialité, mais aussi instantanéité.


Rouleaux illustrés du Dit du Genji, XIIe siècle.

Dans les Rouleaux illustrés du Dit du Genji, grâce au fukinuki yatai, l'artiste expose au regard du lecteur deux espaces narratifs conjoints. Sur la véranda, l'homme est calme, installé dans un espace aéré et paisible ; au contraire, à l'intérieur du bâtiment, la femme et ses dames de compagnie, en émoi, sont peintes en une composition confuse qui suggère l'agitation. Cette technique de composition permet aux lecteur d'avoir deux points de vue immédiats sur une même scène. C'est un procédé qui s'apparente au point de vue narratif omniscient qui permet de faire partager au lecteur les secrets du récit.
On voit avec ces deux exemples que les artistes jouent avec le temps et l'espace : soit ils exhibent la séquentialité des événements, soit au contraire, ils jouent sur leur simultanéité, des procédés qu'on retrouve dans le découpage et le montage d'une planche de bande dessinée.

Ban Dainagon ekotoba - Rouleau du récit illustré du conseiller d’Etat Ban Dainagon, XIIe siècle.

Ce rouleau illustre de façon dramatique une conspiration politique fomentée à Kyoto au IXe siècle. Le conseiller Yoshio a fait mettre le feu à l’une des portes du palais et accusé son ennemi, le ministre Makoto, de l'attentat. La vérité va éclater, un an après. Dans ce rouleau, plus de quatre cent personnages sont représentés. Ici, la scène de l’incendie de la porte montre la foule soumise à des émotions diverses (peur, incrédulité, interrogation...)

Dans une autre scène, on observe deux enfants qui se querellent en pleine rue : l’un est le fils du serviteur de Yoshio, l’autre est le fils du serviteur de Makoto. Or, le serviteur de Makoto a été le témoin du délit du conseiller Yoshio, mais il ne l'a pas dénoncé. Les parents se mêlent à la dispute des enfants. Le père, serviteur de Yoshio, fort de la puissance politique de son maître, protège son fils en dégageant à coups de pieds l’autre enfant. Le garçon est sur le point de tomber. Puis, à la partie supérieure gauche de la scène, la mère tire le même fils par la main pour rentrer chez eux. C'est à cause de cette scène que le valet de Makoto, ému de la violence dont son fils a été victime, témoignera contre Yoshio, qui sera exilé avec sa famille.

Trois événements - la dispute des enfants, la séparation des enfants, le départ de la mère et son fils - sont ainsi habilement représentés dans cette composition circulaire délimitée par les bâtiments et les curieux. L’auteur représente plusieurs fois le même personnage dans une même scène (le fils apparaît trois fois, le père deux fois), amenant ainsi le lecteur à voir les personnages bouger.
Présenter des moments clés d'une action ou multiplier les  différentes phases de mouvement d'un personnage dans le même espace fait donc partie des procédés utilisés dans la peinture narrative japonaise dès le XIIe siècle. C'est le même langage que le manga et la bande dessinée utilise, qui sollicite la coopération de l'oeil et de l'esprit du lecteur pour opérer les liens nécessaires et donner forme au récit.
C'est ce qu'a voulu démontrer Isao Takahata, réalisateur et producteur de dessins animés, auteur du Tombeau des lucioles et de Pompoko, en piochant des extraits d'images de ce rouleau. Il s'est amusé à remonter les événements sous forme de bande dessinée, en focalisant le regard du lecteur sur ces extraits. 


Dessins animés du 12ème siècle : les éléments cinématographiques et de films d’animations dans les peintures sur rouleaux / Isao Takahata , 1999.

Dans son livre, Dessins animés du 12ème siècle : les éléments cinématographiques et de films d’animations dans les peintures sur rouleaux, Takahata démontre que le manga et le dessin animé s'inscrivent dans la continuité des rouleaux peints, en utilisant les procédés repérés dans les emakimonos : changement de points de vue provoqué par le déroulement du récit, transitions elliptiques, décomposition d’une action au sein d’un même plan, effets de “flash-back”. Il souligne que la structure expressive des emakimonos se prête à la réalisation d’effets visuels de grande qualité, permettant de rendre sur un support de taille limitée le contraste entre les vues panoramiques et les vues en travelling latéral qu’on trouve dans le dessin animé.
En 2016, le célèbre studio Ghibli, en revisitant le Chōjū-jinbutsu giga pour un spot publicitaire, confirme d'une certaine façon cette proximité entre l'emakimono et l'animation, rendant ainsi hommage à une de ses sources d'inspiration.
Pour le voir, cliquer ici 

Si l'enchaînement des images est une des caractéristiques majeures des emakimos, le recours au texte n'est pas exclu. En effet, de courts textes explicatifs peuvent apparaître après de longues scènes peintes. Le texte peut aussi s'intégrer directement dans l'image.


Dans les Rouleaux enluminés des fondateurs de la secte Kegon du début du XIIIe siècle, on remarque que les paroles des personnages sont calligraphiées juste à côté ou au-dessus d’eux, très librement. Dans cet extrait, Zenmyō avoue son amour à Gishō ; ses paroles sont directement calligraphiées dans l'image.
Mais dans l'ensemble des emakimonos, la priorité est accordée à l'image qui assure la narration. Cette primauté accordée à l'image et à la narration graphique est aujourd'hui une des caractéristiques les plus importantes du manga.

Un travail collectif
L'emakimono est le résultat d'un travail collectif, réalisé en atelier de peinture (edokoro), dont le plus actif et durable fut celui de la cour impériale. Le tsukuri-e (peinture construite), procédé utilisé pour la réalisation des emakimonos, fixe des étapes successives pour réaliser l'œuvre : dessin initial, pose de couleurs opaques en aplat, puis rehaussement des contours initiaux masqués par la peinture à l'encre de Chine. Les esquisses et les lignes finales à l'encre relèvent des maîtres, la préparation des pigments et la pose des couleurs des apprentis. C'est le maître qui choisit les couleurs et les indique aux apprentis en annotant directement l'esquisse .
Cette pratique de collaboration artistique induite par le tsukuri-e se retrouvent plus tard dans les ateliers d'estampes où dessinateurs, graveurs, imprimeurs, éditeurs travaillent en lien direct et étroit. Dans les studios de mangas, les oeuvres sont le fruit d'un travail collectif et organisé. Les assistants participent à la réalisation du manga sous la responsabilité d'un maître qui signe l'œuvre. De même, c'est le mangaka qui réalise les croquis initiaux et l'encrage final et qui suggère aux assistants les trames à poser par un système de numérotation directement apposée sur le dessin. Lieu de création mais aussi d'apprentissage, le studio de manga où des étapes bien précises de réalisation sont suivies se situe bien dans cette filiation du tsukuri-e.

Raconter des histoires en dessin est une tradition au Japon qui reste bien vivante. Les artistes, auteurs des emakimonos, ont inventé des codes graphiques et narratifs propres à leur art. La technique du trait, le recours à des lignes simples et expressives, la codification des personnages, l'utilisation des lignes de mouvement, la technique du "toit enlevé" sont autant de procédés qui ont été mis à la disposition des artistes suivants dont les mangakas. La nature même de la peinture sur rouleaux, où l'histoire se dévoile progressivement a favorisé un sens de la composition à la fois rythmée et panoramique avec des techniques que l'on retrouve dans le manga comme dans le cinéma d'animation. D'autres formes d'art narratif et graphique comme les kibyoshi, livres illustrés mêlant textes et estampes auront aussi leur influence sur le manga. Mais c'est une autre histoire...