Pour une réécriture féministe de l'histoire de la bande dessinée : une lutte contre l'invisibilité
L'explosion éditoriale dont
bénéficie le marché de la bande dessinée depuis les années 2000 s'est-elle
traduite par une reconnaissance plus grande des autrices ? Quelle place occupent-elles réellement en termes économique et artistique ? Pourquoi
sont-elles si peu visibles ou reconnues ? Quelles nouvelles thématiques ou
tendances les autrices de bande dessinée favorisent-elles ?
Une situation difficile des autrices dans le marché actuel
Le marché de la bande dessinée connaît un très grand essor depuis
la fin des années 90 et le début des années 2000, qui se traduit par une
augmentation du nombre de titres produits et vendus et par un élargissement du
lectorat, vers plus de mixité. Mais la situation des autrices n'en reste pas
moins difficile d'un point de vue économique comme en terme de reconnaissance.
Le marché reste en effet dominé par les hommes du côté de la création comme de
l'édition.
Invisibilisées
Les autrices de bande dessinée sont présentes dans tous les pays du monde et dans chaque grand segment de la bande dessinée, que ce soit dans le comics, la bande dessinée franco-belge ou le manga (où les autrices sont aussi nombreuses que les auteurs). Certaines sont reconnues internationalement (Rumiko Takahashi, sacrée Grand Prix d’Angoulême en 2019, Marjane Satrapi, Pénélope Bagieu) et personne ne peut remettre en cause la capacité ou la légitimité des femmes à créer de la bande dessinée. Pourtant, partout le même constat s'impose : elles souffrent d’invisibilisation. "Les femmes sont présentes et très productrices, mais peu présentes parmi les artistes honorés et reconnus", affirme Chantal Montellier. (Ref.1)
Peu nombreuses
Depuis les années 2000, les femmes représentent environ 12 % des auteurs de bande dessinée francophone, contre 6% dans les années 90 (selon les différents rapports de l'ACBD qui prennent en compte les auteur.rice.s qui ont signé au minimum trois publications et qui possèdent un contrat en cours). Le rapport de 2016 compte précisément 12,8% d'autrices professionnelles, soit 182 scénaristes et/ou dessinatrices, auxquelles s'ajoutent 85 coloristes. Ce chiffre peut être comparé avec les résultats du rapport d'enquête publié par les États Généraux de la BD en 2016. Cette enquête menée auprès de 1500 auteurs, professionnels et amateurs, révèle une part accrue des autrices : 27 % dont la grande majorité a moins de 40 ans (56%), avec une moyenne d'âge autour de 34 ans. Ce chiffre montre l'attrait des femmes pour la création de la bande dessinée, mais aussi le fait que très peu vivent réellement de cette activité.
Si la proportion des femmes présentes dans le milieu de la bande dessinée a progressé depuis 30 ans, leur nombre aurait aujourd'hui tendance à stagner voire à baisser. Un état de fait à mettre probablement en relation avec divers phénomènes liés au marché de la bande dessinée (surproduction) tout autant qu'à leur sexe. Le manque de visibilité, de reconnaissance, la rémunération très faible des autrices n'incitent pas celles-ci à se lancer dans la profession.
La présence des autrices dans le monde de la bande dessinée reste donc faible. D'autant plus lorsque l'on compare leur situation dans la littérature de jeunesse (où elles sont environ deux tiers) ou la littérature générale (environ un quart). Si les femmes sont majoritaires dans les écoles d'art ou spécialisées en bande dessinée, il est probable que pour elles, le marché de la bande dessinée est plus difficile à pénétrer que celui de l'illustration et n’est ni assez rentable ni assez légitimant.
Mal rémunérées
Le marché de la bande dessinée est prospère et en hausse
constante depuis une décennie, en terme de production comme de ventes. En 2020, la BD, en 3e
position du marché du livre, représente 510 M€ de CA (en progression constante),
53 millions d’albums vendus, 8 millions d’acheteurs... Mais si tous les
indicateurs du secteur sont à la hausse, les auteurs, eux, sont en crise.
Les États Généraux de la BD (2016) ont en effet révélé l'immense précarité des auteur.rice.s : 67 % des autrices vivent en dessous du Smic (contre 53% des auteurs) ; 50 % vivent en dessous du seuil de pauvreté (33% pour les hommes). Bien que le marché de la bande dessinée se porte bien et jouisse d'une belle image de marque auprès du grand public, la réalité sociale des auteurs est bien moins florissante : faiblesse des revenus qui les oblige à avoir bien souvent un emploi parallèle, absence de protection sociale, temps de travail titanesque... "Alors qu’il n’y a jamais eu autant d’albums dans les rayons, un prolétariat de la bande dessinée semble s’être formé au fil des années." (Auteur de BD, un métier de plus en plus précaire, Frédéric Potet, Le Monde, 26/01/2016). Les raisons sont nombreuses : diminution des droits d'auteurs, hausse des prélèvements obligatoires dans les métiers artistiques, baisse des ventes au titre. Les femmes, comme dans bien d'autres métiers, sont plus durement touchées que les hommes.
Empêchées
Les œuvres des autrices bénéficient de moins de promotion que celles des auteurs. Les chiffres de États Généraux de la BD montrent qu'en moyenne, les femmes sont moins exposées que les hommes (52 % à n'avoir eu droit à aucune exposition depuis trois ans, contre 44 %, chez les hommes), qu'elles bénéficient de moins de promotion presse (36 % contre 23 %) ou de marketing (79 % contre 63%). Même des artistes reconnues bénéficient de moins d'intérêt que leurs homologues masculins : "Claire Bretécher a accordé moins d'entretiens dans des médias spécialisés ou non spécialisés que la plupart des auteurs célèbres."(https://www.franceculture.fr/personne-claire-bretecher. Jessica Kohn).
Plafond de verre, mode d'emploi. www.audreyalwett.com/plafond-de-verre-mode-demploi
Dans Plafond de verre, mode d’emploi, Audrey Alwett et Dimat décryptent les mécanismes du plafond de verre - préjugés de comportements ou d'organisation qui empêchent les femmes d’accéder à de hautes responsabilités - en illustrant le témoignage d’une créatrice de bande dessinée. Les autrices sont moins invitées dans les festivals, font moins de dédicace, sont oubliées des sélections ou des prix. Rappelons le scandale d'Angoulême 2016 où sur la présélection pour le Grand Prix, soit trente pressentis, aucun nom de femme ne figurait. Cette année, au 48e Festival d'Angoulême 2021, sur 61 participants, elles sont 16 autrices en lice. Malgré ce net progrès, ce n'est pas encore la parité... Personnellement, en 10 ans, en tant que « journaliste bd », j'ai interviewé 132 auteurs lors de rencontres publiques. Combien étaient des femmes ?... Quatre...
Ce sont les
éditeurs ou les libraires qui décident des campagnes de promotion, de leur
organisation et des personnes à mettre en avant. Et il s'avère que ce sont des
professions majoritairement masculines. Si l'on trouve des femmes dans les
maisons d'édition (aux ressources humaines, dans la comptabilité, le conseil
éditorial, les relations presse), elles ne sont que très peu à des postes de
décision.
En lutte
Le combat contre le sexisme dans
la bande dessinée prend une tournure particulière en 2015. Julie Maroh (Le
Bleu est une couleur chaude) est
contactée par le Centre Belge de la Bande Dessinée pour participer à une exposition
collective intitulée "La BD des filles". "L’autrice explique
alors à l’institution à quel point ce projet est accablant et misogyne. Elle
alerte par email 70 autrices de bande dessinée. Le
Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme est
créé, ainsi que l’établissement d’une charte. (cf. Ref. 2). Elle sera signée
par 250 autrices. À travers leur charte, ces autrices
entendent dénoncer un marketing genré et une approche sexuée de leurs travaux ; elles revendiquent l'égalité
de traitement entre hommes et femmes dans la bande dessinée. Elles
soulignent ainsi qu'il n’y a pas une bande dessinée féminine mais des bandes dessinées
faites par des femmes, de la même façon qu’il n’y a pas un éternel féminin mais
des femmes. L'art n'a pas de genre. "Puisque
la bande dessinée masculine n’a jamais été attestée ni délimitée, il est
rabaissant pour les femmes auteures d’être particularisées comme créant une
bande dessinée féminine."(https://bdegalite.org/)
© Maroh, Julie dans bdegalite.org
Elles font entendre leur voix au Festival d'Angoulême 2016
(où aucun nom de femme n'est retenu pour la présélection du Grand Prix). La
polémique débouche sur la création d'un comité de concertation chargé par le
Ministère de la Culture de revoir l'organisation du festival. Par ailleurs, elles continuent à dénoncer sur leur site
web les stéréotypes de genre présents dans la bande dessinée.
Un milieu traditionnellement fermé aux
autrices
Pourquoi la place accordée aux femmes dans la bande dessinée
est-elle si restreinte ? Que ce soit pour ses personnages mis
en scène, ses thématiques déployées ou ses auteurs phares, le monde de la bande
dessinée a souvent été estampillé "domaine masculin". C’est
juste que la bande dessinée a été longtemps pratiquée par des hommes en
direction d'un public masculin. "Faite par de vieux petits garçons pour
de jeunes petits garçons » a affirmé le scénariste Pierre Christin, qui
désigne ainsi la bande dessinée comme un club fermé, un entre-soi masculin. Mais ce
constat est sociétal et non pas inhérent au genre. Les femmes n’ont pas
décidé massivement de ne pas être autrices de bandes dessinées, pas plus que la
bande dessinée serait un médium "naturellement" masculin. Leur
arrivée tardive dans ce milieu corrobore simplement l’affirmation de
Jean-Christophe Menu : la bande dessinée est un art « en
retard » et qui ne s’est ouvert aux autrices que récemment.
Les magazines pour filles
Au début du XXe siècle, les périodiques
destinés à la jeunesse instaurent un cloisonnement entre filles et garçons. Les
magazines pour filles (La Semaine de
Suzette, Lisette...) qui présentent plutôt des textes illustrés que de la
bande dessinée permettent néanmoins à des autrices de se faire un nom. C'est le
cas de Jeanne Spallarossa, rédactrice en
chef de La Semaine de Suzette qui
crée en 1905 le personnage de Bécassine, dessiné
par Pinchon. Sous les pseudonymes de Jacqueline Rivière ou Tante Jacqueline,
elle devient ainsi la première scénariste de bande dessinée française. Bécassine sera reprise par de nombreux
auteurs, ce qui n'empêchera pas son autrice de sombrer dans l'oubli.
Au moins 7% des auteurs de bandes dessinées étaient des femmes
après la Seconde Guerre mondiale, dont certaines avaient même commencé à
travailler dans les années 1930. Mais le fait que leurs travaux n'ont jamais
été publiés sous forme d’albums ou de recueils a favorisé leur oubli voire leur
mise à l'écart de l'histoire de la bande dessinée. D'autres facteurs comme le
manque de légitimité culturelle des magazines pour enfants ou la solitude
inhérente au métier de dessinateur qui ne favorise pas la construction d'un
réseau social fédérateur, ont participé à un processus d'invisibilisation des
femmes dans la bande dessinée. (Ref 3).
"Des petites mains"
Les femmes qui
travaillent dans le milieu de la bande dessinée franco-belge des années 50 et
60 sont majoritairement coloristes
ou illustratrices de magazines, des tâches considérées à l'époque comme
subalternes ou d'assistance.
Hergé avec Josette Baujot, coloriste en chef des studios Hergé de 1954 à 1979 et Monique Laurent, coloriste. Studios Hergé, 1955 dans https://tintinomania.com/autour-de-herge-josette-baujot
Illustratrices pour la jeunesse
Les femmes ont investi plus facilement le monde de l'illustration pour la jeunesse que la bande dessinée. Elles avaient travaillé pour les magazines pour jeunes filles, y avaient illustré des récits, elles se sont tournées vers l'illustration d'albums jeunesse. Elles sont actuellement environ 65 % à être autrices d’albums jeunesse.
Cette assignation des créatrices au monde de l'illustration et de la jeunesse a induit l'idée que les femmes ont un dessin souple aux formes douces et des univers colorés, supposément adapté à un public enfantin. Ces idées stéréotypées sur un style graphique "féminin" ont perduré longtemps dans le milieu de la bande dessinée. Où de même, certains genres sont implicitement assignés aux femmes (vie quotidienne, intimité) comme d'autres leur sont refusés (heroïc fantasy, aventure, polar).
© Cestac, Florence dans bdegalite.org
Les années 70 : des pionnières isolées...
À partir des
années 60/70, des autrices comme Claire Brétecher, Chantal Montellier, Florence
Cestac, Annie Goetzinger investissent la bande dessinée et font figure de
pionnières. Le fait qu'elles s'adressent majoritairement à un public adulte contribue
probablement à leur reconnaissance.
Claire
Bretécher participe en effet à la création de l'Echo des savanes en 1972, un magazine
"réservé aux adultes" qui se libère de toute censure et s'affranchit
des contraintes éditoriales en cours. Tout au long de ses albums, depuis les
années 1970 jusqu'aux années 2000,, elle pointe avec un humour féroce les travers de ses
contemporains tout en accompagnant l'évolution
des mœurs de la société française, abordant la libération sexuelle, l'homosexualité, la
parentalité, le clonage, la PMA, la psychanalyse... Sa série Les Frustrés, prépubliée dans le Nouvel
Observateur, lui a attiré un public qui dépassait le strict cadre de
l'amateur.rice de bande dessinée et a probablement joué dans son statut
d'icône. («Notre-Dame de la BD »,
selon l'expression de Blutch, Libération,
11/12/2020).
Chantal Montellier, Sous pression. Dessins de presse au féminin (très) singulier, 1971-2001. Pop Com - Graphein, 2001.
Chantal Montellier n'a jamais caché que, pour elle, la bande
dessinée "était
une arme politique surtout». Ses
œuvres dénoncent les mécanismes d’oppression et
d’aliénation de l'être humain et plus particulièrement des femmes à
travers des récits d’anticipation, du polar politique, des enquêtes fictionnalisées
ou des reportages, des genres de récits considérés comme masculins. Son engagement artistique, politique et
féministe lui a sans doute coûté la reconnaissance du grand public, mais son œuvre, reflet d'un combat sans concession, présente un
aspect émancipateur et une originalité graphique incontestables.
Avec
des œuvres (ô combien différentes mais néanmoins) marquées par l'ironie
critique et la satire sociale, Claire Bretécher et Chantal Montellier ont figuré
parmi les rares figures emblématiques de la bande dessinée féminine. Mais, avec
leurs homologues de l'époque, elles restent isolées. "Lorsque j’ai démarré
début 70, nous n’étions pas plus de 2 ou 3, Claire Bretécher, Nicole Claveloux
qui venait de l’édition pour enfants, Annie Goetzinger... Dans le dessin de
presse politique, j’étais la seule et faisais figure de pionnière, “privilège”
qui se paie cher." (cf. Ref.1)
... et des autrices en mouvement(s)
Dans la mouvance
émancipatrice des années 60-70 et de la contre-culture, des mouvements aux
États-Unis, au Japon et en France réunissent des autrices qui se fédèrent
contre le sexisme dans la bande dessinée et revendiquent une place dans ce
marché qui leur est fermé.
Aux États-Unis,
apparaît le comix qui, avec son X, s'affirme comme une alternative au comics
grand public. Malgré son caractère avant-gardiste, cette production demeure
empreinte de misogynie. Les magazines de "women's comix" fleurissent
alors : It Ain’t Me, Babe, Tits & Clits (Tétons et clitos), Wimmen's Comix, entièrement réalisés par
des femmes. Ils offrent un espace
d'expression libérateur aux créatrices, véritable creuset d'influence
pour l'édition indépendante et de nombreuses autrices à travers le monde. Des
grands noms y feront leurs preuves : Trina Robbins, Aline Kominsky, Joyce
Farmer...
Ah ! Nana, n°2, Les Humanoïdes associés,
1977.
Ces comix féministes américains incitent les autrices françaises à créer un magazine féminin Ah ! Nana (1976). S'il est réalisé entièrement par des femmes, le magazine invite néanmoins un auteur masculin à chaque numéro (Tardi, Moebius, Chaland...) inversant ainsi la proportion qui a cours dans les publications contemporaines. Il reflète les préoccupations féministes de l’époque : la maternité, le plaisir féminin, la domination masculine, les violences faites aux femmes (notamment sexuelles), la prostitution. Il aborde aussi des sujets interdits comme l’inceste ou l’homosexualité. Une liberté de ton et de parole qui lui vaudra les foudres de la censure. Après neuf numéros, Ah ! Nana est frappé d’une interdiction de vente aux mineurs en août 1978, puis censuré pour pornographie. Ces sanctions entraînent la disparition du titre. Alors que paradoxalement, la bande dessinée de l’époque emprunte volontiers à la pornographie et au machisme, le contenu éditorial de la revue, parce qu'il est proposé par des femmes, choque. Les autrices qui voulaient briser des tabous sont mises à l'index. En France, la plupart d'entre elles retournent à la bande dessinée pour enfants ou disparaissent complètement.
Une entrée des
autrices par les marges
Fin
des années 90, début des années 2000, une nouvelle génération d'autrices
émerge. Si celles-ci conquièrent petit à petit, discrètement, les segments
traditionnels de la bande dessinée autrefois réservés aux hommes (aventure,
western, SF, fantastique, polar, histoire), elles se font surtout remarquer en investissant
les tendances novatrices qui traversent la bande dessinée contemporaine et
accèdent ainsi à un peu plus de visibilité et de reconnaissance publique.
Le récit autobiographique
La fin des années 90 est marquée par le courant de la bande dessinée
alternative qui apporte une bouffée d'oxygène à la création. Une nouvelle façon de concevoir la bande dessinée émerge, en
termes d'édition (format et pagination se diversifient), de narration (des
scénarios intimistes ou engagés), de genres (le reportage, l’essai ou
l’autobiographie). Une révolution de la bande dessinée portée par des éditeurs
indépendants dans laquelle les autrices trouvent leur place.
C'est surtout dans le récit autobiographique encore balbutiant en bande dessinée que les autrices vont s'illustrer. Exploré par le comix underground dès les années 70, débuté en France dans les années 80, le récit autobiographique en bande dessinée va s’épanouir dans l’édition indépendante des années 90. Entre autoreprésentation et autodérision, le récit du Moi, centré sur la vie intérieure et le rapport au corps, invente une nouvelle grammaire visuelle, fondée sur la métaphorisation des émotions. Les autrices s'emparent de ce genre avec succès et entremêlent vie intime et mise en perspective politique, historique ou sociologique. Le succès inattendu de Persepolis de Marjane Satrapi provoque un effet de stimulation auprès des autrices et d'amplification médiatique du "phénomène autobiographique" dans la bande dessinée. Premier best-seller de l'Association dont le succès critique est confirmé par l’attribution de deux prix à Angoulême et la sortie d'un film d'animation, ce récit propulse la bande dessinée alternative au premier plan et inspire de nombreuses autrices (comme Zeina Abiracheb ou Amruta Patil).
Fun Home, Bechdel, Alison © Denoël, 2006. |
Ma mère était une très belle
femme, De Villiers,
Karlien © Ça et Là, 2007. |
Cet intérêt des autrices pour le récit autobiographique n'est pas limité à la France. De tous les coins du monde, elles investissent ce genre : Alison Bechdel (Fun Home, 2006), Uli Lust (Trop n'est pas assez, 2007), Karlien De Villiers (Ma mère était une très belle femme, 2007), Rosalind B. Penfold (Dans les sables mouvants, 2007), Debbie Drechsler (Daddy's girl, 1996), Julie Doucet (Journal, 2004), Dominique Goblet (Faire semblant, c’est mentir, 2007).
Implicitement ou explicitement, l'autobiographie féminine propose une réflexion sur le fait d'être une femme. Le genre permet d’explorer le rapport au corps, à la sexualité, aux relations familiales d'un point de vue singulier. Et d’interroger des questions liées à la construction de l'identité, notamment à propos du genre.
Par le biais du témoignage, les autrices dénoncent les injustices auxquelles le sexisme les expose : viol conjugal, violence sexuelle, violence familiale y sont décrites de multiples façons, allant du réalisme au métaphorique. Une critique de la société patriarcale émerge de ces autobiographies féminines. Leurs points de vue sur le sexisme systémique en cours dans la société interrogent la place attribuée aux femmes et amènent une autre façon de regarder la société.
Dans une étude consacrée à deux autrices (Julie Doucet
et Dominique Goblet), Laurence Brogniez souligne que le genre autobiographique permet
une forme de liberté et d'expérimentation narratives et graphiques, "une
forme ouverte à des audaces, sur le plan de la forme et du contenu, qui, dans
d’autres genres plus codés et contraints, pourraient être reçus avec
réserve" (Ref.4). L'autobiographie dessinée en tant qu'elle favorise
l'affirmation de la subjectivité permet d'innover et d'élaborer un style
graphique singulier et libre.
À cette
époque, le récit autobiographique porté par l'édition alternative va connaître
un certain succès sinon auprès du grand public du moins d'un large cercle d'amateurs
de bande dessinée. Et ce succès dont les "gros" éditeurs se sont
désormais emparés s’amplifie et ne se dément toujours pas. Le récit du Moi aux
pratiques multiples (autofiction, récit de voyage, journal intime, témoignage)
et aux thèmes divers (enfance, Histoire, amour, vie professionnelle…) est ainsi
devenu un des genres majeurs de la bande dessinée de ces vingt dernières
années. Cette reconnaissance a donné une visibilité aux œuvres féminines qui
ont participé à son développement et une forme de légitimité des autrices pour
conquérir leur place dans le monde du 9e Art.
Le blog dessiné
Dans
les années 2000, le phénomène des blogs dessinés permet également à toute une
génération de se faire connaître. Conçu comme un journal de bord, quotidien et intime,
il incite les autrices à se livrer, souvent sur un ton humoristique qui fait la
part belle à la caricature et à l’autodérision. Ce nouveau mode de publication,
à la fois immédiat, régulier et interactif, favorise les récits courts servis
par un graphisme proche de l'esquisse ou du croquis. La légèreté y est de mise,
dans le ton comme dans les anecdotes mises en scène. Le blog sert de rampe de
lancement à un certain nombre d’autrices, parfois déjà connues dans la
publicité et l'illustration de presse (Margaux
Motin dans Muteen, Pénélope Bagieu
dans Femina) qui goûtent au succès
hors de l'édition traditionnelle de bande dessinée.
In penelope-jolicoeur.com © Bagieu, Pénélope, 2009.
C'est ainsi qu'en 2007, Pénélope Bagieu est révélée par son blog Ma vie est tout à fait fascinante. Elle met en scène une sorte d'alter ego Pénélope Joliecœur qui incarne une jeune parisienne apprêtée, férue de shopping et souvent submergée de travail. Puis pour le magazine Femina, l'autrice réalise Joséphine, le récit d'une trentenaire fleur bleue, gaffeuse et complexée, qui espère rencontrer l'homme idéal. Ces chroniques du quotidien teintées d'autodérision séduisent le public des blogs comme celui des magazines dits féminins et ouvrent la porte de l'édition papier à Pénélope Bagieu.
Des autrices (Margaux Motin, Anne Guillard, Aude Picault, Eva Rollin, Diglee, Nathalie Jomard...) sont publiées alors, sous l'appellation « bd girly », inventée par les éditeurs. L’expression dérive du succès de la chick litt américaine (= littérature de poulettes) dont Le Journal de Bridget Jones est l'archétype. L'expression est dévalorisante car elle souligne la frivolité de ces récits où dominent, malgré l'autodérision, le culte des apparences et l'emprise de la société de consommation. Cette étiquette marketing pour promouvoir une bande dessinée «faite par des femmes à destination des femmes» pose problème. Entre revendication au droit des femmes à parler d'elles-mêmes et second degré mettant en scène des « filles » superficielles et narcissiques, la "bd girly" favorise souvent la reproduction des clichés sexistes dont elle prétend s'affranchir.
Conscientes
de cette ambiguité, ces autrices reconnaissent avoir surfé sur le vague
"girly" pour exister et trouver une place dans un marché qui ne leur en
laissait guère d'autre. Depuis, certaines poursuivent une carrière dans
l'édition de bande dessinée et se sont écartées de cette catégorisation piège. (Ref.5)
À la fin des années 2000, les autrices sont plus nombreuses et plus visibles que durant la décennie précédente grâce à ces deux phénomènes qui ont marqué l'histoire de la bande dessinée : l'édition alternative et le blog dessiné. En passant par des moyens de publication parallèles, les autrices ont réussi à pénétrer le marché de l'édition papier de la bande dessinée.
"Parce
que les autrices étaient devenues beaucoup plus nombreuses, avaient enfin des
espaces de création, (....) il y eut des initiatives pour mettre en lumière
cette évolution, pour l’accélérer, comme la littérature universitaire ou
journalistique sur la création au féminin ou sur la représentation des femmes
dans la bande dessinée."(Ref.6)
La
connotation péjorative que revêt l'étiquette «girly» favorise une prise de
conscience chez les jeunes autrices. Leur discours sur la vie quotidienne - la
leur et celle des autres femmes - confrontée à des normes et des
discriminations sexistes, évolue. Les préjugés sur la bande dessinée créée par
les femmes, leur manque de représentation et de valorisation, amènent certaines
d’entre elles à exprimer leur indignation, à dénoncer les inégalités de genre
et à politiser leurs positions. Une bande dessinée féministe va pouvoir émerger
sous différentes formes dans la décennie suivante.
Autre
fait important de cette période charnière pour la bande dessinée féminine,
c'est l'apparition d'un lectorat féminin. Encore ténu, il est lié à
l'épanouissement de la bande dessinée autobiographique mais aussi au shôjo et
au josei manga dont l'offre éditoriale est particulièrement florissante en
France à cette époque. De nombreux libraires ont vu pour la première fois dans
leurs librairies (spécialisées en bande dessinée), de façon régulière, des
jeunes filles et des femmes. Dans les statistiques récentes, c'est le genre
catégorisé "roman graphique" dans lequel se trouvent classées biographies
et autobiographies qui attire le plus le lectorat féminin. (Ref.7). Il y a bien
une sorte de corrélation entre l’émergence d’une création féminine et l’existence
d’un lectorat féminin de bande dessinée. De même qu'il faut probablement avoir
été lectrice de bande dessinée pour avoir envie de devenir autrice. Dans ce
sens, la partition sexuée de l'édition manga a bien eu pour conséquence et avantage de donner
une place importante aux autrices japonaises et ainsi d'enrichir ce segment
éditorial.
Des féminismes en marche
Une valorisation des parcours de femmes
Femmes réelles
À la suite du mouvement autobiographique, le courant biographique consacré aux portraits de femmes réelles, célèbres ou inconnues, prend son essor au milieu des années 2000 pour s'épanouir actuellement. Des collections dédiées aux parcours de femmes voient le jour chez les alternatifs comme chez les grands éditeurs (Grands destins de femmes, en 2011 chez Naïve, Reines de sang chez Glénat, Pionnières chez Soleil) et se déclinent aussi bien sous forme de fictions que de documentaires. Certains ouvrages sont des commandes confiées à des spécialistes (hommes ou femmes). Mais pour de nombreuses autrices, la valorisation de parcours féminins est l’expression d’une démarche militante, une réponse à l'invisibilité des femmes dans la société.
Olympe de Gouges, Catel et Bocquet, José-Louis © Casterman, 2012.
On peut citer Catel qui se révèle comme une biographie
engagée. Elle s'est en effet spécialisée avec le scénariste José-Louis Bocquet dans les biographies de femmes qui ont
marqué les mouvements féministes : Olympe de Gouges, Joséphine Baker,
Kiki de Montparnasse, Benoîte Groult. Ces albums denses, au trait
élégant, dressent le portrait de femmes qui ont su défier les conventions de
leur temps et s'inscrire dans une lutte sociale et idéologique. En
2019, Catel, avec Claire Bouilhac, adapte un roman de Madame de La
Fayette, La Princesse de Clèves, une héroïne qui affirme sa volonté
de s'affranchir du joug masculin et des normes sociales du monde dans lequel
elle évolue.
Pénélope
Bagieu rencontre avec sa série Culottées
un grand succès médiatique. Elle propose, sur le mode humoristique, une galerie
de portraits, couvrant des
époques et des lieux divers. Publié chaque semaine sur un blog hébergé
par Le Monde, le récit de ces femmes fortes, audacieuses et souvent
méconnues rencontre un si grand succès qu'il est adapté en série animée. Publiée aux
États-Unis, la série est récompensée en 2019 par le prestigieux prix Eisner.
Aux côtés de ces biopics aux formes très
variées, se développent des titres mettant en valeur des femmes
liées par des combats collectifs et féministes, passés ou contemporains (Journal d'une Femen, Jujitsuffragettes, Le Manifeste
des 343, Communardes ! Radium girls…) Des titres encore isolés, qui ne
représentent pas vraiment une tendance éditoriale, mais qui n'existaient pas ou
peu dans la décennie précédente, signe d'une évolution récente. Ces albums transmettent
en partie l'héritage des féministes aux lecteur.rice.s et redonnent une place
aux femmes (anonymes ou célèbres) dans l'Histoire dont elles ont été souvent
effacées.
À côté de ces albums
consacrés à des personnalités réelles ou à des mouvements féministes, se
développent des récits récents de fiction, destinés à un public jeunesse comme
adulte, où les autrices mettent en valeur des héroïnes fortes et inspirantes,
Plusieurs adaptations de romans jeunesse
(souvent issus du catalogue École des Loisirs) dévoilent des parcours émancipateurs
de jeunes filles. Situés dans l'Angleterre du 19e siècle (Miss Charity de Marie Aude
Murail, dessiné par Anne Montel,
scénarisé
par Loïc Clément), dans l'Amérique du début du 20e sièce (Calpurnia, de Jacqueline Kelly, adapté
par Daphné Collignon) ou contemporaine (Speak, de Laurie Halse Anderson adapté par Emily Caroll) ou encore dans la France occupée (La Guerre de Catherine, de Julia Billet adapté par Claire Chauvel),
ces titres témoignent chez les autrices d’une volonté de promouvoir en bande
dessinée des jeunes héroïnes valorisées par leurs combats dans des sociétés
discriminantes et répressives.
Bitch Planet, 1, De Connick, Kelly Sue et De Landro, Valentine Louis © Glénat, 2016 |
Avec Bitch Planet, Kelly Sue De Connick réalise une dystopie d'une force critique surprenante. Dans un monde, inspiré du nôtre, dominé par les hommes, qui imposent des normes, physiques,
morales et comportementales aux femmes, celles qui refusent de s'y plier sont décrétées « non-conformes».
Elles sont expédiées dans une prison en orbite au-dessus de la Terre, surnommé
« Bitch Planet » où on leur tatoue les lettres NC sur la peau à leur arrivée. Ces femmes ont en commun
d’être racisées et stigmatisées dans cette société… mais ce peut être aussi une
épouse qui ne "convient" plus et dont le mari souhaite se débarrasser.
Plusieurs d'entre elles se
rebellent, s'organisent et tentent de s'échapper. Avec ces héroïnes emblématiques, ce comics prend en compte le
sexisme et le racisme et représente dans une certaine mesure les intersections
de ces oppressions. L'album comporte des fausses publicités avec des
injonctions imposées aux femmes proches de la réalité, décapantes par leur
humour cynique. Un dossier fourni et documenté
présente en annexe les mouvements féministes américains. Cet album de l'autrice qui travaille
pour Marvel (sur des séries comme Avengers
ou Spiderman) n'a pas été très
bien accueilli par son public masculin mais il semble qu'elle ait trouvé un
public fan qui va jusqu'à se tatouer NC sur le corps...
Qu'ils mettent en scène des récits de femmes
réelles ou des luttes d'héroïnes de fiction, ces albums participent en même
temps à la constitution d'une histoire des femmes à travers des destins
émancipateurs, des femmes qui ont tenté (et parfois réussi) à échapper aux
normes imposées. Ensemble, ils construisent une réflexion sur les pressions et oppressions
que les femmes subissent et sur les dangers qui les menacent quand elles
veulent y échapper ou les combattre. Ils proposent des modèles inspirants et
stimulants pour les lecteur.rices. C'est en cela que l'on peut dire qu'ils ont
une dimension voire une ambition féministe.
Une promotion de la pensée féministe
Depuis
2010, des autrices, souvent présentes sur les réseaux sociaux, transforment la
bande dessinée en un moyen d'expression pédagogique et militant des luttes
féministes (Emma, Mirion Malle, Marine Spaak, Lili Sohn).
Ces autrices abordent
la bandes dessinée documentaire sous forme d'essais, chroniques, témoignages,
que l'on peut qualifier de didactiques ou pédagogiques, comme si elles
éprouvaient la nécessité de mettre leur art au service de l'information sur le
féminisme. Elles ont souvent recours à l'humour qu'elles utilisent
comme d'une arme anti sexiste. Le second degré, l’ironie ou la dérision permettent de pointer l’injustice
et l’absurdité de certaines situations.
Sur son blog débuté en 2011, Mirion Malle analyse la représentation des femmes dans la société et les médias, montrant l'influence de la culture populaire dans la permanence des clichés sexistes, racistes et lgbtphobes. Ses planches seront publiées en 2016 sous le titre Commando Culotte, les dessous du genre et de la pop culture chez Ankama. Avec La ligue des super féministes publié en 2019, Mirion Malle s'adresse à un jeune lectorat. Elle démonte avec simplicité, pédagogie et humour les mécanismes sexistes à l’œuvre dans notre société. Elle y clarifie dans de courts chapitres des notions comme le genre, l'identité sexuelle, le consentement, l'intersectionnalité... Le livre mêle des exemples concrets et quotidiens du sexisme, des analyses d’objets de la pop culture et rend accessible des outils comme le test de Bechdel (qui vise à mettre en évidence la sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre de fiction) ou des notions comme l'écriture inclusive.
En 2017, Emma développe dans son blog dessiné (Emmaclit, sous titré Politique, trucs pour réfléchir et intermèdes ludiques) la notion de charge mentale qui pèse sur les femmes. Sa bande dessinée Fallait demander est partagée plus de 200 000 fois sur Facebook à peine un mois après sa publication et citée par un grand nombre de médias. Forte de son succès, Emma publie cinq bandes dessinées documentaires. Sous forme de courts chapitres, elle définit des concepts sociologiques, analyse l'image de la femme véhiculée par les médias et la publicité, dénonce les discriminations au travail, l’inégal partage des tâches domestiques au sein des couples hétérosexuels, les maltraitances gynécologiques, la culture du viol et le sexisme bienveillant. Elle aborde également des thèmes d'actualité : les mouvements sociaux, la réforme du Code du travail, les violences policières, le racisme, la transition écologique.
Cet "autre regard" (titre générique de plusieurs de ses ouvrages) qui dévoile des mécanismes intériorisés par chacun amène lectrices et lecteurs à s'interroger sur leurs propres comportements et à réfléchir à de nouvelles positions, individuelles ou collectives. "Il y a une oppression qui nous relie toutes. Si on tape dessus ensemble, au lieu de galérer chacune dans notre coin, on sera libérées." Emma privilégie la pédagogie à l’esthétisme : ses dessins simples voire schématiques sont au service d'une argumentation claire et bien documentée. "On n'achète pas mes livres parce qu'ils sont beaux, mais parce qu'ils sont parlants." (Ref.8)
Difficile de parler de féminisme en bande
dessinée sans citer Liv Stromquist, pionnière en la matière. Née en
1978, elle fait partie d'un vaste mouvement de féminisation de la bande
dessinée suédoise, reflet de l’avant-gardisme du pays en matière d’égalité des
sexes. Très
populaire dans son pays où elle publie depuis 2005, ses bandes dessinées connaissent aujourd’hui une
audience internationale. Ses
albums se présentent comme des essais politiques et féministes, à la fois
documentés et humoristiques (cinq titres disponibles en France). "De mon côté,
j’en avais marre de l’autofiction qui se résumait pour les dessinatrices à de
l’autoflagellation. Je me disais qu’on pouvait être drôle
tout en attaquant frontalement les structures du pouvoir et les mécanismes de
domination". Elle analyse
les stéréotypes de genre (Les
sentiments du Prince Charles, 2012),
déboulonne les fausses idées concernant le sexe féminin (L'Origine du monde, 2016), explique les racines du patriarcat (I'm every woman, 2018), dénonce les
ravages du néo libéralisme (Grandeur et
décadence, 2017) et dissèque les
comportements amoureux à l’ère du capitalisme et de l'individualisme (La Rose la plus rouge s'épanouit, 2019).
L'autrice surprend par la clarté de ses
analyses autant que par des parallèles inattendus croisant anecdotes issues de
la pop culture et théories sociologiques. Son dessin au trait jeté et brouillon côtoie des photos de magazines et des
reproductions d'œuvres d'art détournées. Sa verve mordante et son humour
cinglant ont participé à sa réputation et contribué à son succès.
Amorcée au début des années 2000, une évolution indiscutable est en cours dans le monde de la bande dessinée, qui donne un peu plus de place aux autrices. 2000 marque la naissance d’un nouveau siècle, et c'est aussi la date à laquelle, pour la première fois, une autrice, Florence Cestac reçoit le Grand Prix de la ville d'Angoulême qui récompense l'ensemble de son œuvre. On pourrait souligner aussi qu'en 45 ans, elle est la seule autrice à avoir obtenu ce prix (équivalent d'un césar ou d'un oscar pour le 9e Art) jusqu'à ce que Rumiko Takahashi l’obtienne à son tour en 2019. On voit que l'évolution est lente. Mais on peut penser que désormais la parole des femmes comme leurs productions artistiques sont en cours de réhabilitation et de revisibilisation dans la société. Une nouvelle génération d'autrices que les anciennes ne renieraient pas construisent et éclairent la société par leurs visions singulières, diverses et résolument féministes. Ce faisant, elles œuvrent à donner un espace et une place à l’imaginaire des femmes dans notre société.
Compléments
La situation contemporaine des autrices au Japon, au Royaume-Uni, en Suède et aux Etats-Unis (abordée dans l’exposition Autrices de bande dessinée, des pionnières aux contemporaines), ne peut être ici développée (faute de place).
Pour apporter également un éclairage international, on retrouve sur Internet de nombreuses traces de l’exposition Comix Creatrix : 100Women Making Comics qui s’est déroulée à la House of Illustration de Londres, en 2016, sous la direction d’Olivia Ahmad et Paul Gravett. Avec pour objectif de mettre en valeur les oeuvres de 100 autrices de bande dessinée, de toute nationalité, depuis les pionnières de la caricature du 18e siècle aux romans graphiques d'aujourd'hui. Une vidéo (Comix Creatrix : Artist perspectives, 29 minutes) composée d’interviewes (de Catherine Anyango, Rachel House, Posy Simmonds, Brigit Deacon, Kripa Joshi, Nicola Lane, Kate Evans, Hannah Berry) et d’images de leurs œuvres donne un aperçu de cette incroyable diversité et vitalité des autrices de bande dessinée dans le monde.
Références
Ref.1
La Pilule rouge : les femmes dans la bande
dessinée. Motais de Narbonne, Bérénice. Mémoire de l'École Nationale
Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, 2016.
http://neuviemeart.citebd.org/?memoire2008
Ref.2
Quelleplace pour les femmes dans monde de la BD ? Berg, Jehanne, rtbf.be, 2019
Ref.3
Women Comics Authors in
France and Belgium Before the 1970s: Making Them Invisible, Revue
de recherche en civilisation américaine
Kohn, Jessica, 23/01/2017.
http://journals.openedition.org/rrca/725
Ref.4
Féminin singulier : les
desseins du moi. Julie Doucet, Dominique Goblet, Brogniez, Laurence, Textyles,
36-37|2010, p.117-138. https://journals.openedition.org/textyles/1426
Ref.5
Les filles
sortent de leurs bulles. Olivier, Séverine. Alternative francophone, 9, 2016.
https://journals.library.ualberta.ca/af/index.php/af/article/view/27222/pdf
Ref.6
Femmes dans la bande dessinée : des pionnières àl’affaire d’Angoulême. Gilles,
Ciment, BBF, Février 2017. https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2017-11-0148-001
Ref.7
LesFrançais et la BD,
Rapport du CNL, 2020. https://centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/les-francais-et-la-bd
Ref.8
Emma, la féministe du quotidien qui arévélé la charge mentale, AFP, 28/12/2017. https://www.lepoint.fr/culture/emma-la-feministe-du-quotidien-qui-a-revele-la-charge-mentale-28-12-2017-2182900_3.php
https://www.acbd.fr/wp-content/uploads/2016/12/Rapport-ACBD_2016.pdf
Rapport
des Etats Généraux de la BD
http://www.etatsgenerauxbd.org/2016/