Rencontre avec Sylvain Savoia pour Les esclaves oubliés de Tromelin



Rencontre avec Sylvain Savoia
Les esclaves oubliés de Tromelin
Vendredi 19 juin, à la Libraire Bulle, Le Mans
Interview animée et retranscrite par Agnès Deyzieux et Natacha Mouillé


Nouveau !!!  vous pouvez écouter le podcast de l’interview !!

Licence Art Libre v1.3
Prise de son et montage, DAVID Grégory, artiste numérique

Et si vous préférez lire, c’est par ici !   

AD. Tu as obtenu le succès avec deux séries très différentes : Nomad en collaboration avec Jean-David Morvan et Marzi avec Marzena Sowa. L’une est une série de SF, d’anticipation mêlant espionnage, cyberpouvoirs, univers high tech. L’autre est basée sur le témoignage de Marzena, sa jeunesse en Pologne dans les années 80. Des récits très différents avec des styles graphiques également différents. Et on va le voir aussi, avec ce nouvel album, quelque chose de nouveau, et de peu courant, entre récit historique et reportage. Qu’est-ce qui motive tes choix en matière de récit dessinée ? 

SS. Ce qui m’intéresse particulièrement quand je travaille, c’est de parler de l’humain. Dès le début, quand j’ai commencé ma collaboration avec Jean-David Morvan, sur la série Nomade, c’était une série de science-fiction certes mais c’était une série un peu décalée. Elle mettait vraiment déjà l’humain au centre de l’histoire. Et surtout, on avait un décalage par rapport au thème, c'est-à-dire que la plupart des récits de science-fiction son basés sur des personnages très urbains ou ça se passe souvent aux Etats-Unis. Là, on avait un peu une idée particulière puisque le personnage principal est un touareg, ce qui dans la science-fiction n’est quand même pas très commun. Ça a été un peu le départ, ça reste une œuvre de jeunesse, Nomade, qui est assez éloignée maintenant de ce que je fais. Ma rencontre avec Marjena Sowa a été décisive et déterminante dans mes choix maintenant de bande dessinée. Le fait que ce soit une histoire réelle, qu’on parle de son enfance dans la Pologne des année 80 et qu’on l’aborde du côté vraiment du quotidien d’une famille et pas du tout par le coté politique de la grande Histoire, même si ça intervient aussi dans la bande dessinée, ça m’a donné vraiment envie de m’accrocher à quelque chose de plus réel et de plus direct dans le rapport avec la réalité. Je me suis rendu compte qu'en fait toutes les histoires qu’on avait pu écrire avant avec mon scénariste Jean-David Morvan, parce qu’il y a eu une autre série entre les deux qui s’appelle Alto'go, qui est une série policière aussi, toutes ces histoires qu’on a écrites étaient assez manichéennes. La fiction est souvent plus simple que la réalité, et le fait de travailler sur Marzi, ça donnait vraiment une telle ampleur au personnage et au contexte que c’était vraiment absolument passionnant de travailler là-dessus. Maintenant, j’ai forcément envie de me confronter un peu plus à ça, d’où Tromelin !
AD. Comment as-tu pris connaissance de cette incroyable histoire de ces esclaves abandonnée de l’île de Tromelin ? Une histoire au potentiel romanesque incroyable, tragique faite d’abandon et de trahison mais aussi incroyablement porteuse d’espoir, d’énergie, d’humanité. 
(Note : À la fin du XVIIIe siècle, un navire fait naufrage sur une île de l’océan indien avec à son bord une "cargaison" d’esclaves malgaches. Les survivants construisent alors une embarcation de fortune. Seul l’équipage blanc peut y trouver place, abandonnant derrière lui 80 esclaves. Les rescapés vont survivre sur ce bout de caillou traversé par les tempêtes. Ce n’est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage, que le chevalier de Tromelin récupérera les huit esclaves survivants : sept femmes et un enfant de huit mois).
SS : Alors de manière complètement liée au hasard, je lisais le journal sur internet le soir chez moi. J’avais une vague idée de travailler seul pour un prochain album. Comme je lisais les informations régulièrement, il y avait des choses qui m’intéressaient et que je mettais un peu dans un coin. Et puis, je suis tombé sur un tout petit article sur le site du journal Le Monde, qui parlait de la première mission archéologique sur Tromelin, une mission plutôt sous-marine, qui s’occupe normalement essentiellement d’épaves. Et donc ce groupe d’archéologues avait fait une première mission en 2006. Ils ont eu beaucoup d’articles dans la presse dont notamment ce petit article que j’ai lu dans le Monde. En quelques lignes, on résumait l’histoire des esclaves, ces malgaches abandonnés sur ce bout de terre au milieu de nulle part. 


 C’était plein de thèmes que je sentais intéressants : à la fois l’esclavage bien sûr, mais aussi l’exil, l’abandon, le fait que ça se passe sous les tropiques sur une île déserte, ça faisait aussi écho à plein de littératures d’enfance qui m’avaient marqué. Ça m’a vraiment interpellé tout de suite et donc, j’ai été très curieux. J’ai commencé à regarder un peu sur internet, j’ai trouvé les contacts de ce groupe d’archéologues et puis embarqué par la motivation de cette histoire, je leur ai écrit un mail en leur demandant si éventuellement ça leur plairait de mettre à disposition leurs recherches pour que j’en fasse une histoire de bande dessinée. J’étais un peu présomptueux parce que je n’avais jamais écrit de scénario mais voilà, je me sentais un peu parti avec ce thème ! Ils m’ont répondu le lendemain matin, enfin Max Guéroux qui est le chef de cette mission, m’a répondu le lendemain matin, et il m’a dit : formidable ! On a envie de mettre en valeur cette histoire donc rencontrons nous ! Et voilà, je suis parti quelques mois après au bout du monde
 
Ile de Tromelin
 AD. Au moment où tu te joins à cette seconde campagne organisée par Max Guérout, sais-tu ce que tu vas faire de cette expérience ? Un carnet de voyage, de reportage ou as-tu immédiatement l’idée d’entremêler le récit des naufragés au journal de bord archéologique ?
SS. Pas du tout ! Ce drame des malgaches, ce fait divers du 18ème siècle me donne envie de me concentrer dessus. C'est une histoire suffisamment forte. Au départ, d'ailleurs, il n'est pas question que je parte sur l'île avec eux. Je bénéficie simplement de leurs recherches, on en parle, ils mettent tout à disposition et me tiennent au courant de leurs trouvailles. Une nouvelle mission se monte en 2008. Normalement, une équipe de télévision devait partir avec eux. Au dernier moment, l'équipe fait faux bond, il y a juste un caméraman qui va partir, une place se libère. Ils m'envoient un mail alors que je suis en vacances en Espagne avec cette proposition : est-ce que tu veux venir avec nous sur Tromelin ? J'ai réfléchi à peu près une demi-seconde et j'ai répondu oui ! On est parti en octobre 2008 jusqu'en décembre. En partant là-bas, j'étais vraiment dans l'idée de raconter l'histoire des malgaches et de leur survie sur cette île. Et je pensais faire une sorte d'appendice à l'album en relatant la mission archéologique. Mais le fait de se retrouver avec ce groupe d'archéologues très motivés qui sont tous là de manière bénévoles, qui investissent leur temps pour mettre en valeur la mémoire et essayer de lutter contre l'oubli et ce drame terrible de l'esclavage, en plus dans cette partie du monde entre Madagascar, la Réunion, l’Ile Maurice, leur engagement m'a semblé passionnant. En plus, c'était un chantier archéologique très gratifiant car toutes les recherches aboutissaient à quelque chose de conséquent. On a trouvé beaucoup plus de choses qu'on imaginait au départ. Ça m'a semblé alors difficile de ne pas l'évoquer dans l'histoire. 

AD. Au départ, tu souhaitais donc plutôt te concentrer sur le récit historique ?
SS. Oui, c'était le 18ème siècle avec une sorte de carnet de voyage à la fin. Mais finalement, la relation entre les deux était tellement forte que je me suis dit que c'était important de le faire fonctionner de cette manière là : une sorte de ping pong entre les deux époques et puis l'implication de leur survie laissée comme trace 250 ans après.Ça permettait de jouer sur des ellipses et de faire passer le temps.


AD. Ce qui est intéressant, c’est que tu intercales les pages du récit avec les pages du journal archéologique, en essayant de garder une trame commune. Par exemple, au début on suit l’embarquement des esclaves malgaches dans un port de Madagascar et en parallèle on suit votre départ en avion pour la Réunion, puis la découverte de l’île par les naufragés et ensuite par votre groupe. Ce montage particulier qui se lit d’ailleurs de façon très fluide n’a pas été trop complexe à penser, à organiser ?
SS. Oui, cela a été complexe !  Car il y a beaucoup d'éléments à faire passer et il n'y a au final que 100 pages. C'est un exercice de synthétisation qui nécessite de se concentrer sur les choses essentielles. Le montage en parallèle est bien pensé de cette façon là, de manière à ce qu'il y ait une progression commune. Le problème était de ne pas aller plus vite dans un récit plutôt que dans l'autre pour ne pas dévoiler trop !

AD. Pour caractériser nettement les deux parties, tu optes pour deux styles graphiques très différents : un carnet de bord plutôt illustratif à l’aquarelle, tandis que les planches historiques sont plus traditionnelles dans leur découpage et mise en page. Tu as travaillé la réalisation des deux récits à des moments différents  ou conjointement ? Le journal par exemple, l’as-tu réalisé sur place ou retravaillé après ?
SS. J'ai tout redessiné après. J'ai commencé par la partie historique : l'embarquement et le naufrage, c'est le début de l'album. C'était assez complexe mais c'était ce qu'il fallait que je dépasse pour me sentir un peu plus à l'aise avec l'histoire. L'album est en deux grandes parties. J'ai d'abord travaillé la partie historique de la première partie, puis j'ai réalisé la partie reportage de tout l'album. Et j'ai terminé par la partie historique de la deuxième partie. Sur place, j'ai fait des croquis, bien sûr, mais je n'ai rien utilisé directement, j'ai tout redessiné.

AD. Il y a un contraste fort entre les textes de ces deux récits, un texte plutôt soutenu pour la partie du récit des naufragés et un texte plus intimiste, plus personnel pour la partie reportage. Vous souhaitiez aussi ce contraste entre les textes ?
SS. Les choses sont venues assez naturellement au niveau du texte. Et j''ai fait à peu près l'inverse de tout ce qu'on doit faire en bande dessinée et de ce que j'enseigne quand je fais des ateliers ! C''est à dire qu'on doit écrire le scénario de manière parfaite et avoir tout le texte et après on peut commencer à attaquer le découpage et le dessin. J'ai eu la structure du scénario mais j'ai fait tous les dessins et après j'ai écrit le texte.
AD. C'est vrai qu'on sent la primauté du récit en image dans cette première partie.
SS. Il faut dire que le lieu aussi est très visuel. Les éléments, la lumière sont très forts. J'avais le texte dans la tête je pense mais j'avais besoin de m'appuyer sur les images pour pouvoir l'écrire de manière vraiment définitive
AD. Concernant le récit des naufragés, tu t'es appuyé sur de la documentation ou as-tu plutôt fait fonctionner ton imagination ? Pour la première partie, il y avait le journal de bord de l’écrivain sur lequel s’appuyer mais pour la seconde partie qui concerne la survie et l’adaptation au milieu des malgaches, c’est plutôt le résultat des fouilles qui t'a aidé à reconstituer les parties manquantes ?
SS. Effectivement, sur le naufrage et les deux premiers mois de survie, il y a ce journal de bord qui est très précis et donc très pratique pour raconter leur histoire. Le point un peu compliqué, c'est que j'ai choisi le point de vue des malgaches, c'est cela qui m'intéressait dans cette histoire, de ne pas être du côté des français mais être du côté de ceux qui sont abandonnés sur cette île. Et donc, ne pas comprendre forcément ce qui se passe ! J'ai rendu les dialogues entre les français incompréhensibles pour les malgaches car je trouvais cela plus fort et important dans l'histoire. Que ces naufragés soient effrayés par le fait qu'ils soient capturés par des gens dont ils ne comprennent pas la langue. 


 Après je me suis appuyé en effet sur les fouilles qui nous permettent de comprendre comment ils ont construit leurs abris, ce qu'ils ont consommé comme nourriture, comment ils se sont organisés pour le feu. On savait ce qu'ils avaient récupéré sur le bateau. Il y avait aussi un morceau de récit du chevalier de Tromelin qui les a secourus et qui les a fait parler. On avait donc aussi quelques bribes de témoignage de la part des sept femmes qui ont survécu, le fait que certains soient partis sur un radeau. Tout cela est avéré. Après, des choses me manquaient, en particulier sur leur culture. Leur rapport à la mort, aux ancêtres, à la terre, des choses très importantes pour eux. Je suis donc parti un an et demi après ce voyage à Madagascar pendant un mois. Je me suis baladé entre plusieurs ethnies pour découvrir leur culture, la comprendre et pour ne pas raconter n'importe quoi ! Ça me semblait important de ne pas passer à côté de ce sujet là.
AD. L’idée de faire de Tsimiavo, une des esclaves survivantes une héroïne, est-elle venue assez facilement ?
SS. C'est forcément le personnage fort de l'histoire. Elle est une sorte d'héroïne : elle est arrivée jeune sur l'île avec sa mère et ces deux là ont survécu parmi les 160 qui ont été embarqué, c'est déjà assez incroyable ! Et en plus, c'est la seule à avoir un bébé qui ait survécu. Elle représente un point entre trois générations. Et entre celle qui vient vraiment de Madagascar et celle qui est une nouvelle génération créole qui va continuer à vivre à l'Ile de France. C'est un personnage vraiment fort en soi !

AD. On sent que tu as une estime particulière pour le premier lieutenant Castellan dont d’ailleurs tombe un peu amoureuse Tsimiavo. C’est effectivement le seul blanc qui paraît un peu humain et qui est le seul à se battre pour venir les rechercher. C’est un personnage qui t'a intéressé ?
SS. C'est un personnage fort et touchant parce que je pense qu'il est réellement honnête. Il s'est retrouvé embarqué dans cette histoire à cause du capitaine qui voulait s'enrichir. Mais lui n'était pas dans cette optique là. Au moment où il quitte l'île, c'est le seul qui s'engage réellement à venir les rechercher, il donne sa parole. Le fait que ça n'a pas pu se faire restera une douleur très profonde pour lui. Il a écrit pendant des années des lettres de requête. On a retrouvé des lettres qu'il a envoyées au gouverneur de l'île Bourbon 7 ans après le naufrage pour qu'il envoie un bateau pour les survivants. C'est un personnage vraiment humain. Quand il construit le bateau pour s'échapper de l'île au début, il espère vraiment pouvoir emmener tout le monde. Il n'a pas ce plan d'abandonner les Malgaches.
AD.J’avais une question sur le feu parce que ça revient souvent ce problème de maintien du feu. Les femmes ont a priori entretenu le feu pendant quinze ans. Mais il n’y a pas d’arbre sur l’île, comment est-ce qu’elles s’en sont sorties ?
SS : Alors, c’est ce qu’elles ont dit quand elles ont été sauvées, qu’elles avaient conservé le feu pendant quinze ans, mais à la dernière mission les archéologues ont retrouvé des briquets de l’époque Des silex avec une armature de métal, et donc ça a certainement servi pour rallumer le feu régulièrement parce que comme il y a des cyclones tous les ans qui passent sur cette île, qui sont assez violents, je pense que le feu a pas pu être conservé dans ces conditions là. Pour le bois, par contre il y avait l’épave qui a permis d’alimenter en bois pendant très très longtemps, et même quand ils sont partis il y avait encore des restes de l’épave.
AD. Finalement, qu’est- ce- qui dans le récit des naufragés relève de la pure fiction ? Y-a t-il des évènements que tu as inventés ?
SS. Il y a des éléments de fiction car il faut faire vivre ces personnages, les rendre attachants, avoir de l'empathie avec eux, développer une relation entre eux. Je ne sais pas qui ils étaient réellement, donc je suis obligé d'inventer un peu. Tsimavio ne développe pas forcément un rapport amoureux avec Castellan mais en tout cas un lien fort. Je ne sais pas si c'est vrai le fait que le marin (Béraud) soit le père de l'enfant survivant bien qu'on ait de fortes présomptions. J'ai choisi cette option là parce qu'elle est forte et a un sens !

AD. Cette campagne de fouilles de 2008 va être riche en découverte : des habitations en dur, des objets, mais aussi des squelettes… Comment tries-tu toutes ces informations ? Comment décides-tu de ce que tu vas exploiter ou pas ?
SS. Je me fie surtout aux archéologues qui ont une réelle expérience et qui sont très prudents dans leurs analyses. Ce sont des gens très scientifiques qui ne s'emballent pas pour un rien. C'est très bien de travailler avec cette rigueur et de donner du sens à chaque découverte. Je me suis beaucoup appuyé sur leurs analyses et sur toutes les discussions qu'on a pu avoir. Ce qui est terrible c’est qu’on a beaucoup de questions quand on arrive. Et chaque élément de réponse ouvre sur encore plus de questions. C'est sans fin et fait fonctionner le cerveau en permanence !

AD. Tu choisis à un moment, à la fin de la première partie, de t'isoler du groupe en t'installant dans un ancien hangar à l’écart. Est-ce que cet isolement a été important voire nécessaire pour réaliser ce récit ?
SS. Je pense que c'est ce que je cherchais en partant sur l'île : expérimenter cet isolement et d'y être le plus possible confronté. Quand on s'est installé, qu'on a monté cette tente militaire et que je me suis retrouvé à dormir dans cette grande chambrée alors que je n'ai même pas fait mon service militaire, je n'avais pas envie d'avoir cette expérience là ! Je suis resté deux nuits dans la tente et je me suis vite isolé ailleurs et c'était très bien ! En plus, je dors très peu, alors cela me permettait d'avoir une vie nocturne sur l'île, d'aller voie les tortues géantes, un spectacle extraordinaire. Et surtout être isolé pour avoir le temps de vraiment réfléchir et de m'approprier les lieux personnellement.

AD. À quel point est-ce important pour un dessinateur de se confronter avec une certaine réalité ? Qu’as-tu trouvé sur place ? Quel détail ou quelle rencontre t'a le plus touché durant la création de cet album ?
SS. Ça fait beaucoup de questions ! Le plus important à mon sens c'est de ne pas fantasmer trop les histoires surtout quand on est dans une réalité comme celle là. Il faut essayer de sortir de schémas classiques qu'on pourrait avoir quand on invente une histoire. En s'y confrontant, on trouve des choses qu'on n’aurait pas raconté autrement je pense. Même en ayant tous les documents des archéologues, si je n'étais pas allé sur place, je n'aurais pas raconté du tout la même histoire. Parce que l'émotion est présente et on ne peut la ressentir qu'en allant sur place. Expérimenter d’être au milieu de rien, sur un bout de caillou de l'Océan indien. Quand on voit l'avion repartir, on se dit : là, on est vraiment seul. Cela fait une impression très particulière. Le fait de vivre dehors tout le temps pendant un mois et demi, c'est aussi une expérience. Ce sont des choses fortes qu'il faut ressentir nous-même si on veut faire passer ensuite une émotion aux lecteurs.

AD. Entre le moment du reportage, 2008 et celui de la publication, 2015, pas mal de temps s’est écoulé. Est-ce un album qui a demandé particulièrement du temps et de l’investissement personnel ? Ou tu avais d'autre projet en cours ?
SS. Les deux. Quand je suis parti, c'était l'occasion de faire ce voyage que je ne pouvais pas reporter. Mais dans mon planning de travail et dans les engagements que j'avais, ce n'était pas du tout le bon moment ! En 2009, on a fait une énorme promotion de Marzi, pour l'anniversaire de la chute du communisme. Quand je suis rentré de Tromelin, j'ai fait deux albums de Marzi, un album de Al'Togo aussi. J''avais beaucoup de choses à terminer avant d'attaquer cet album. En même temps, cela m'a permis d'avoir un peu plus de maturation de l'histoire, d'y réfléchir, de l'assimiler, de continuer à me documenter puisqu'il y a eu deux autres missions archéologiques (en 2010 et 2013).
AD. Est-ce que les résultats de ces deux autres missions archéologiques t'ont servi ?
SS. Elles m'ont servi pour déterminer l'ampleur du hameau construit par les Malgaches. Après il n'y a pas eu d'élément fondamental qui aurait fait changer l'histoire.


AD. Les planches de l’album sont actuellement exposées au Centre belge de la bande dessinée à Bruxelles puis seront visibles à Nantes à partir d'octobre 2015 puis à Lorient, Bordeaux, Bayonne et Marseille, des villes qui des près ou de loin ont participé au commerce de l’esclavage. Qui est à l’origine de cette exposition itinérante ?
SS. Il y a effectivement une exposition au musée de la bande dessinée de Bruxelles, qui se termine cette semaine et qui a duré deux mois. A partir du 2 juillet, il y aura une autre exposition à Bruxelles dans une librairie-galerie qui s’appelle Brüsel. Sinon, à Nantes il y aura effectivement une exposition sur Tromelin, à l’initiative du Musée du Château des Ducs de Bretagne, un musée extraordinaire où se manifeste beaucoup de volonté de travail sur l’esclavage. Il y a d’ailleurs un mémorial extrêmement touchant qui a été inauguré à Nantes qui vaut vraiment le détour. Et donc ce sera à leur initiative, ils ont mis beaucoup de moyens pour réaliser une très belle exposition de 450 m2 qui retrace vraiment toute l’histoire depuis la construction et l’armement du bateau, le voyage, l’achat des esclaves, le naufrage…
AD. Il y aura des objets aussi ?
SS: Et voila, il y aura toute une deuxième partie sur les fouilles archéologiques, une reconstitution, et une partie de mes dessins va servir de fil rouge pour cette exposition. En parallèle, dans une autre salle, il y aura une exposition des pages originales. Il n’y aura pas toutes les pages mais il y en aura beaucoup. Et puis, aussi des dessins qui ne sont pas dans l’album mais qui sont des croquis qui ont été faits pour les recherches. Une exposition très complète

AD. C’est ton premier album en solo. As-tu apprécié cette prise de risque, ce défi ?
SS : Alors j’ai souffert, j’ai eu très peur, je me suis angoissé mille fois, mais je suis hyper content d’avoir fait cet album tout seul parce que je me sens responsable complètement de l’album pour la première fois. J’ai fait une vingtaine d’albums jusqu’à maintenant, donc il était temps que j’en fasse un seul, pour savoir si j’en étais capable déjà ! Et puis surtout, c’est une implication totale dans l’histoire et ça m’a beaucoup plu effectivement donc maintenant j’ai très envie d’en faire un autre !
AD. Tout seul ?
SS. Tout seul !

AD. Sinon, des projets précis en cours de route ?
SS Là, je repars sur des travaux qui sont avec d’autres scénaristes parce qu’entre temps, on m’a proposé plein de choses et que c’était intéressant ! Donc, je vais quand même continuer Marzi. Il y a encore trois albums de Marzi à faire, qui vont sortir entre l’année prochaine et l’année suivante. Et en ce moment, je suis en train de travailler sur un album avec Jean-David Morvan au scénario, sur Henri Cartier-Bresson un des fondateurs de l’agence Magnum. Et c’est un album encore ancré dans la réalité, avec une part assez humaniste aussi qui parle de son engagement de photo reporter pendant la Seconde Guerre mondiale quand il est parti en camp de travail en Allemagne. Donc, c’est un album qui sortira en partenariat avec l’agence Magnum et la fondation Henri Cartier-Bresson, au printemps de l’année prochaine.
AD. Ah oui, comme le Robert Capa… ?
SS : Exactement, dans la même collection sauf qu’il ne sera pas à l’italienne mais dans un format plus classique. 

Merci à Sylvain Savoia !
Merci à la librairie Bulle pour son accueil !  
Merci à Stéphane pour les photos. Pour en voir plus, c'est toujours ici
Et merci à Grégory pour la bande son !


Pour en savoir plus sur les esclaves oubliés de Tromelin :
Film documentaire de Thierry Ragobert et Emmanuel Roblin, 52m., visible sur Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x19lrcq_esclaves-oublies-de-l-ile-tromelin_music

Interview de Max Guérout par universciences.tv

Et tout plein de documents passionnants sur le site du TAAF !