Abbaye de l’Epau, le lundi 11 avril 2005.
Rencontre avec trois classes, les questions sont celles des élèves et de l’animateur. Propos enregistrés et rédigés par Agnès Deyzieux
-L’histoire du « Vol du corbeau » est-elle vraie ?
La mécanique de l’histoire est complètement inventée, par contre pour les personnages, je me suis appuyé sur des personnes qui existent réellement mais qui n’ont pas forcément vécu à cette période là…
-Alors, vous vous servez de votre vie privée pour créer votre œuvre ?
On s’en sert toujours indirectement bien sûr ! Pour le personnage de François, je me suis servi d’un oncle qui était coiffeur et qui avait ce genre de mentalité. Dans le discours, il était individualiste et quand on le connaissait, on s’apercevait qu’il avait une vraie générosité. A chaque fois que je le faisais dialoguer, je pensais à lui, je me disais « qu’est-ce qu’il aurait dit exactement dans cette circonstance ? »
-Pourquoi avez-vous choisi de représenter cette période de l’Occupation en France ?
Je suis né en 1954, 10 ans après la Libération de Paris. J’ai eu un grand-père qui a fait la guerre de 14-18 et un autre grand-père la guerre de 40…. C’est finalement encore très près…. Ca a marqué les gens évidemment. Dans les petits villages comme dans l’Aveyron par exemple, j’ai eu un mal fou à avoir des témoignages des gens qui avaient été impliqué dans cette Histoire. On s’aperçoit que les choses sont encore difficiles à dire…
-Pourquoi ?
Il y a encore des secrets à cacher et aussi de la pudeur sûrement. Il y a des gens qui ont vécu des choses très dures… des gens qui, même dans les petits villages, ont été dénoncés… tout ça s’est à moitié arrangé à la fin de la guerre. N’empêche que les gens savent « qui a fait quoi » et ils n’ont pas envie d’en reparler.
Je m’intéressais à cette période là, d’un point de vue historique, bien avant d’imaginer qu’un jour je ferais une bande dessinée autour de ça. Et ça m’a surpris effectivement de voir que les gens qui ont vécu cette période, qui ont entre 75 et 90 ans, ne veulent toujours pas en parler, qu’il y encore des blessures pas cicatrisées… J’ai eu un mal fou à obtenir des informations… J’en ai quand même eu, grâce à la famille…
-C’est pour ça que vous avez brouillé les pistes quant à la localisation du village ?
J’ai inventé le village de Cambeyrac pour que les gens n’aient pas l’impression que je réglais des comptes et pour avoir une totale liberté de fiction, mais en me débrouillant quand même pour qu’on reconnaisse des lieux…J’ai utilisé le village où je passais mes vacances mais en prenant soin de brouiller les cartes, en jouant avec des maisons ou des bâtiments d’autres villages. Cambeyrac n’existe pas, c’est un mélange entre Ambeyrac, Camboulan…
-Ces bandes dessinées n’auraient probablement pas pu paraître juste après guerre ?
le discours sur cette période n’était pas celui d’aujourd’hui… Juste après guerre, on a tellement essayé de faire croire aux Français qu’il y avait eu 60% de résistants... C’était tellement loin de la vérité que si j’avais raconté cette histoire d’un type qui se cache, qui ne fait pas grand chose…. à la fin quand même, il se mouille, il cache des armes. C’était donné le minimum syndical à la Résistance ! Et pourtant, c’est quand même 99% des gens qui ont eu cette attitude là et on ne peut pas leur en vouloir, il fallait être drôlement gonflé pour prendre le maquis en 42 et même
après ! C’était pas gagné ! Moi, je me mets dans la peau d’un jeune qui aurait votre âge, ou 1 ou 2ans de plus, qui décide d’aller se planquer dans une grange à quelques kilomètres de son village, qui ne sait pas si les Allemands vont gagner la guerre et s’il va devoir rester là jusqu’à la fin de ses jours…Le Sursis, c’était une façon pour moi de poser la question « Qu’est-ce que j’aurais fait à ce moment là ? » C’est pas facile d’y répondre, enfin si on essaye d’être honnête…
-Julien est réfractaire au STO. C’est une forme d’engagement. Mais en même temps, il est toujours en retrait dans cette maison où il observe ce qui se passe dans son village, il n’a pas beaucoup de moyen d’être mêlé à la vie dès l’instant qu’il s’est caché…
Oui, j’ai eu des réactions de lecteurs qui le dépeignent comme quelqu’un d’assez lâche et médiocre avec cette attitude de se dire « finalement j’attends que ça se passe… » A la fin, il prend quand même la décision de planquer des armes, ce qui n’était pas rien. Si on lui jette la pierre, il faut aussi la jeter à 99% des gens… C’est trop facile aujourd’hui de se dire j’aurai été résistant avant l’arrivée des Allemands !
-Le sujet central du « Vol du corbeau », ne serait-ce pas finalement cette question : « que valent les gens ? » Car on ne sait pas dans quel camp ils sont vraiment, sauf peut être le couple de mariniers…
Eh bien, même eux réservent des surprises! Le personnage de René, quand ça se gâte vraiment, dit à Jeanne qu’elle n’aqu’à se dénoncer. Il ne lui dit même pas directement, il le dit à François : « elle n’a qu’à se dénoncer, elle se débrouille pour nous sortir de ce bourbier ! » Et ça aussi, c’est humain ! Les gens sont généreux jusqu’à un certain stade. Quand tout d’un coup, tout est en péril pour eux, quand tout se complique, que c’est une question de survie, les gens peuvent vous abandonner... Le personnage de François est une crapule vivant de cambriolages peu glorieux mais en même temps, il est capable de se sacrifier. Il a d’autres règles qui ne sont pas celles établies mais où il y a de l’humanité quand même. François se mouille pour Jeanne, sans
doute parce qu’il est amoureux d’elle… mais pas seulement !
-La discussion sur les toits des deux personnages est une vraie discussion sérieuse sur l’engagement ?
Le fait de libérer les gens en bombardant les villes, ça peut évidemment se discuter ! Quand les alliés ont eu la supériorité aérienne, ils ont choisi de bombarder l’Allemagne à tout crin, et donc les civils allemands… c’est aussi une forme de barbarie. Ce débat a souvent lieu sur la bombe atomique. Mais sur l’Allemagne, il y a eu des bombardements qui ont fait autant de victimes…des raids de plusieurs jours où 100.000 habitants pouvaient être rayés d’un coup… Je ne veux évidemment pas défendre le régime nazi en disant cela, simplement dire que quand les alliés ont eu la main, ils ont aussi broyé des innocents. Peut-être y aurait-il pu y avoir d’autres scénarios possibles que celui de massacrer des innocents ?
-Le Vol du corbeau, c’est une suite du Sursis ?
Les deux histoires sont liées, mais on peut les lire indépendamment. Pour les gens qui ont lu Le Sursis, il y a un bonus ! Le personnage de Cécile, on peut le découvrir dans Le Vol du corbeau mais quand on connaît son histoire dans Le Sursis, c’est mieux !
Au départ, quand j’ai créé l’histoire, je ne pensais pas les relier…
-C’était un défi ?
Plutôt un amusement… la cerise sur le gâteau !
-Pourquoi Jeanne qui perd sa chaussure marche toujours en chaussettes qui restent blanches ?
Alors là, joker ! ! !
-Pourquoi ce titre Le Vol du corbeau ?
Ah oui, c’est un titre qui intrigue, on ne saura qu’à la fin… la clé de l’énigme joue sur la polysémie des mots…
-Il y a une grande minutie dans votre travail graphique : les détails des décors sont crédibles et fouillés (jusque par exemple dans les affiches des colonnes Morris). Cela demande un long travail de recherches et de réalisation ?
Dans le registre du dessin réaliste, on ne peut pas faire l’économie de la justesse… On ne peut pas inventer les choses. Un copain qui vit sur un bateau à Paris m’a fait de nombreuses photos et j’ai réalisé beaucoup de clichés de la Seine, des ponts et du Canal Saint Martin… De plus, il y a beaucoup de documentation disponible sur la période de Paris occupé dont je me suis servi. Donc, on n’a pas d’excuse si on fait des fautes majeures ! Par contre, j’ai essayé de trouver quelque chose de nouveau ou de surprenant, d’éloigné de tous les lieux communs de l’époque… Vous
ne trouverez pas dans mes albums les images habituelles du Paris occupé : Hitler défilant sur les Champs Elysées ou la Place de l’Opéra et ses panneaux indicateurs en lettres gothiques… C’est la moindre des choses que de tenter de proposer aux lecteurs quelque chose de moins convenu. J’ai choisi de montrer Paris avec des points de vue ou des angles originaux, soit en plongée, depuis les toits, soit en contre plongée, depuis la Seine, au ras de l’eau. J’avais très envie de dessiner
Paris depuis longtemps ainsi que le monde des péniches qui me passionne…
-Combien de temps vous faut-il pour réaliser une planche ?
A peu près 8 jours. Je parle uniquement du temps consacré au dessin, après pour
l’histoire, c’est difficile à évaluer. Ca ne se fait pas de façon linéaire, on
note des idées, on réfléchit…
-Et pour un album ? Pour tout boucler ?
2 ans à peu près !
-Il y a un véritable travail sur la couleur et la lumière…
J’adore les impressionnistes, j’avoue que je suis fasciné par la gamme de couleurs déployée par un Monet. J’aime beaucoup la lumière chez Vermeer, les ambiances intérieures où la scène est éclairée par une lampe à pétrole… J’essaie de rester sobre. J’ai d’ailleurs fait très attention au rouge pour que le béret de Jeanne soit le signe de sa présence dans une scène. C’est un parti pris graphique qui permet de visualiser et d’identifier immédiatement le personnage dans une planche. Et d’ailleurs là, j’ai triché par rapport à la réalité : cette couleur vive, vermillon de son béret n’est pas très réaliste dans le contexte de l’époque où les couleurs des vêtements sont beaucoup plus sourdes. Du coup, pour mettre en valeur Jeanne, je me suis interdit d’utiliser par ailleurs le rouge, ce qui était difficile pour la colorisation des péniches où les couleurs sont souvent très vives… j’ai donc triché avec des bleus et des verts !
-Pensez vous avoir un don pour le dessin ?
Je pense que tout est possible même si l’on n’est pas doué au départ. La première qualité pour un dessinateur, c’est la motivation et la nécessité de cultiver son moyen d’expression. Plus je vieillis, plus je doute de mon dessin… c’est un travail angoissant où l’on veut toujours s’améliorer, faire mieux qu’avant… Au début de ma carrière, je ne faisais qu’imiter et copier, en particulier Mulatier, grand caricaturiste. Mais il ne faut pas rester sous l’influence d’une seule personne sinon on frise le plagiat, il faut s’inspirer de plusieurs pour arriver à trouver son style. Pour moi, 30 % de mon dessin est influencé par la bande dessinée, le reste vient de la photo, du cinéma et de la musique !
-Quels sont vos projets ?
J’ai plusieurs projets… D’abord, un projet qui se déroulera en 2 albums chez Dupuis dont un se passera (encore) pendant la période de l’Occupation et un qui se déroulera aujourd’hui, ce qui permettra un aller-retour dans le temps et d’éclairer ainsi la vie des personnages. Donc, on va suivre des gens d’aujourd’hui qui ont vécu cette époque là…Ce sera une double histoire, puisqu’on repartira dans le passé, il y a 60 ans, c’est ce qui nourrira l’histoire d’aujourd’hui… Et j’ai envie aussi de travailler avec un dessinateur qui s’appelle Christian Durieux et là, ce sera une histoire contemporaine qui va raconter les problèmes des gens de 50 ans qui se retrouvent au chômage…
Merci pour toutes ces précisions !
Rencontre avec trois classes, les questions sont celles des élèves et de l’animateur. Propos enregistrés et rédigés par Agnès Deyzieux
-L’histoire du « Vol du corbeau » est-elle vraie ?
La mécanique de l’histoire est complètement inventée, par contre pour les personnages, je me suis appuyé sur des personnes qui existent réellement mais qui n’ont pas forcément vécu à cette période là…
-Alors, vous vous servez de votre vie privée pour créer votre œuvre ?
On s’en sert toujours indirectement bien sûr ! Pour le personnage de François, je me suis servi d’un oncle qui était coiffeur et qui avait ce genre de mentalité. Dans le discours, il était individualiste et quand on le connaissait, on s’apercevait qu’il avait une vraie générosité. A chaque fois que je le faisais dialoguer, je pensais à lui, je me disais « qu’est-ce qu’il aurait dit exactement dans cette circonstance ? »
-Pourquoi avez-vous choisi de représenter cette période de l’Occupation en France ?
Je suis né en 1954, 10 ans après la Libération de Paris. J’ai eu un grand-père qui a fait la guerre de 14-18 et un autre grand-père la guerre de 40…. C’est finalement encore très près…. Ca a marqué les gens évidemment. Dans les petits villages comme dans l’Aveyron par exemple, j’ai eu un mal fou à avoir des témoignages des gens qui avaient été impliqué dans cette Histoire. On s’aperçoit que les choses sont encore difficiles à dire…
-Pourquoi ?
Il y a encore des secrets à cacher et aussi de la pudeur sûrement. Il y a des gens qui ont vécu des choses très dures… des gens qui, même dans les petits villages, ont été dénoncés… tout ça s’est à moitié arrangé à la fin de la guerre. N’empêche que les gens savent « qui a fait quoi » et ils n’ont pas envie d’en reparler.
Je m’intéressais à cette période là, d’un point de vue historique, bien avant d’imaginer qu’un jour je ferais une bande dessinée autour de ça. Et ça m’a surpris effectivement de voir que les gens qui ont vécu cette période, qui ont entre 75 et 90 ans, ne veulent toujours pas en parler, qu’il y encore des blessures pas cicatrisées… J’ai eu un mal fou à obtenir des informations… J’en ai quand même eu, grâce à la famille…
-C’est pour ça que vous avez brouillé les pistes quant à la localisation du village ?
J’ai inventé le village de Cambeyrac pour que les gens n’aient pas l’impression que je réglais des comptes et pour avoir une totale liberté de fiction, mais en me débrouillant quand même pour qu’on reconnaisse des lieux…J’ai utilisé le village où je passais mes vacances mais en prenant soin de brouiller les cartes, en jouant avec des maisons ou des bâtiments d’autres villages. Cambeyrac n’existe pas, c’est un mélange entre Ambeyrac, Camboulan…
-Ces bandes dessinées n’auraient probablement pas pu paraître juste après guerre ?
le discours sur cette période n’était pas celui d’aujourd’hui… Juste après guerre, on a tellement essayé de faire croire aux Français qu’il y avait eu 60% de résistants... C’était tellement loin de la vérité que si j’avais raconté cette histoire d’un type qui se cache, qui ne fait pas grand chose…. à la fin quand même, il se mouille, il cache des armes. C’était donné le minimum syndical à la Résistance ! Et pourtant, c’est quand même 99% des gens qui ont eu cette attitude là et on ne peut pas leur en vouloir, il fallait être drôlement gonflé pour prendre le maquis en 42 et même
après ! C’était pas gagné ! Moi, je me mets dans la peau d’un jeune qui aurait votre âge, ou 1 ou 2ans de plus, qui décide d’aller se planquer dans une grange à quelques kilomètres de son village, qui ne sait pas si les Allemands vont gagner la guerre et s’il va devoir rester là jusqu’à la fin de ses jours…Le Sursis, c’était une façon pour moi de poser la question « Qu’est-ce que j’aurais fait à ce moment là ? » C’est pas facile d’y répondre, enfin si on essaye d’être honnête…
-Julien est réfractaire au STO. C’est une forme d’engagement. Mais en même temps, il est toujours en retrait dans cette maison où il observe ce qui se passe dans son village, il n’a pas beaucoup de moyen d’être mêlé à la vie dès l’instant qu’il s’est caché…
Oui, j’ai eu des réactions de lecteurs qui le dépeignent comme quelqu’un d’assez lâche et médiocre avec cette attitude de se dire « finalement j’attends que ça se passe… » A la fin, il prend quand même la décision de planquer des armes, ce qui n’était pas rien. Si on lui jette la pierre, il faut aussi la jeter à 99% des gens… C’est trop facile aujourd’hui de se dire j’aurai été résistant avant l’arrivée des Allemands !
-Le sujet central du « Vol du corbeau », ne serait-ce pas finalement cette question : « que valent les gens ? » Car on ne sait pas dans quel camp ils sont vraiment, sauf peut être le couple de mariniers…
Eh bien, même eux réservent des surprises! Le personnage de René, quand ça se gâte vraiment, dit à Jeanne qu’elle n’aqu’à se dénoncer. Il ne lui dit même pas directement, il le dit à François : « elle n’a qu’à se dénoncer, elle se débrouille pour nous sortir de ce bourbier ! » Et ça aussi, c’est humain ! Les gens sont généreux jusqu’à un certain stade. Quand tout d’un coup, tout est en péril pour eux, quand tout se complique, que c’est une question de survie, les gens peuvent vous abandonner... Le personnage de François est une crapule vivant de cambriolages peu glorieux mais en même temps, il est capable de se sacrifier. Il a d’autres règles qui ne sont pas celles établies mais où il y a de l’humanité quand même. François se mouille pour Jeanne, sans
doute parce qu’il est amoureux d’elle… mais pas seulement !
-La discussion sur les toits des deux personnages est une vraie discussion sérieuse sur l’engagement ?
Le fait de libérer les gens en bombardant les villes, ça peut évidemment se discuter ! Quand les alliés ont eu la supériorité aérienne, ils ont choisi de bombarder l’Allemagne à tout crin, et donc les civils allemands… c’est aussi une forme de barbarie. Ce débat a souvent lieu sur la bombe atomique. Mais sur l’Allemagne, il y a eu des bombardements qui ont fait autant de victimes…des raids de plusieurs jours où 100.000 habitants pouvaient être rayés d’un coup… Je ne veux évidemment pas défendre le régime nazi en disant cela, simplement dire que quand les alliés ont eu la main, ils ont aussi broyé des innocents. Peut-être y aurait-il pu y avoir d’autres scénarios possibles que celui de massacrer des innocents ?
-Le Vol du corbeau, c’est une suite du Sursis ?
Les deux histoires sont liées, mais on peut les lire indépendamment. Pour les gens qui ont lu Le Sursis, il y a un bonus ! Le personnage de Cécile, on peut le découvrir dans Le Vol du corbeau mais quand on connaît son histoire dans Le Sursis, c’est mieux !
Au départ, quand j’ai créé l’histoire, je ne pensais pas les relier…
-C’était un défi ?
Plutôt un amusement… la cerise sur le gâteau !
-Pourquoi Jeanne qui perd sa chaussure marche toujours en chaussettes qui restent blanches ?
Alors là, joker ! ! !
-Pourquoi ce titre Le Vol du corbeau ?
Ah oui, c’est un titre qui intrigue, on ne saura qu’à la fin… la clé de l’énigme joue sur la polysémie des mots…
-Il y a une grande minutie dans votre travail graphique : les détails des décors sont crédibles et fouillés (jusque par exemple dans les affiches des colonnes Morris). Cela demande un long travail de recherches et de réalisation ?
Dans le registre du dessin réaliste, on ne peut pas faire l’économie de la justesse… On ne peut pas inventer les choses. Un copain qui vit sur un bateau à Paris m’a fait de nombreuses photos et j’ai réalisé beaucoup de clichés de la Seine, des ponts et du Canal Saint Martin… De plus, il y a beaucoup de documentation disponible sur la période de Paris occupé dont je me suis servi. Donc, on n’a pas d’excuse si on fait des fautes majeures ! Par contre, j’ai essayé de trouver quelque chose de nouveau ou de surprenant, d’éloigné de tous les lieux communs de l’époque… Vous
ne trouverez pas dans mes albums les images habituelles du Paris occupé : Hitler défilant sur les Champs Elysées ou la Place de l’Opéra et ses panneaux indicateurs en lettres gothiques… C’est la moindre des choses que de tenter de proposer aux lecteurs quelque chose de moins convenu. J’ai choisi de montrer Paris avec des points de vue ou des angles originaux, soit en plongée, depuis les toits, soit en contre plongée, depuis la Seine, au ras de l’eau. J’avais très envie de dessiner
Paris depuis longtemps ainsi que le monde des péniches qui me passionne…
-Combien de temps vous faut-il pour réaliser une planche ?
A peu près 8 jours. Je parle uniquement du temps consacré au dessin, après pour
l’histoire, c’est difficile à évaluer. Ca ne se fait pas de façon linéaire, on
note des idées, on réfléchit…
-Et pour un album ? Pour tout boucler ?
2 ans à peu près !
-Il y a un véritable travail sur la couleur et la lumière…
J’adore les impressionnistes, j’avoue que je suis fasciné par la gamme de couleurs déployée par un Monet. J’aime beaucoup la lumière chez Vermeer, les ambiances intérieures où la scène est éclairée par une lampe à pétrole… J’essaie de rester sobre. J’ai d’ailleurs fait très attention au rouge pour que le béret de Jeanne soit le signe de sa présence dans une scène. C’est un parti pris graphique qui permet de visualiser et d’identifier immédiatement le personnage dans une planche. Et d’ailleurs là, j’ai triché par rapport à la réalité : cette couleur vive, vermillon de son béret n’est pas très réaliste dans le contexte de l’époque où les couleurs des vêtements sont beaucoup plus sourdes. Du coup, pour mettre en valeur Jeanne, je me suis interdit d’utiliser par ailleurs le rouge, ce qui était difficile pour la colorisation des péniches où les couleurs sont souvent très vives… j’ai donc triché avec des bleus et des verts !
-Pensez vous avoir un don pour le dessin ?
Je pense que tout est possible même si l’on n’est pas doué au départ. La première qualité pour un dessinateur, c’est la motivation et la nécessité de cultiver son moyen d’expression. Plus je vieillis, plus je doute de mon dessin… c’est un travail angoissant où l’on veut toujours s’améliorer, faire mieux qu’avant… Au début de ma carrière, je ne faisais qu’imiter et copier, en particulier Mulatier, grand caricaturiste. Mais il ne faut pas rester sous l’influence d’une seule personne sinon on frise le plagiat, il faut s’inspirer de plusieurs pour arriver à trouver son style. Pour moi, 30 % de mon dessin est influencé par la bande dessinée, le reste vient de la photo, du cinéma et de la musique !
-Quels sont vos projets ?
J’ai plusieurs projets… D’abord, un projet qui se déroulera en 2 albums chez Dupuis dont un se passera (encore) pendant la période de l’Occupation et un qui se déroulera aujourd’hui, ce qui permettra un aller-retour dans le temps et d’éclairer ainsi la vie des personnages. Donc, on va suivre des gens d’aujourd’hui qui ont vécu cette époque là…Ce sera une double histoire, puisqu’on repartira dans le passé, il y a 60 ans, c’est ce qui nourrira l’histoire d’aujourd’hui… Et j’ai envie aussi de travailler avec un dessinateur qui s’appelle Christian Durieux et là, ce sera une histoire contemporaine qui va raconter les problèmes des gens de 50 ans qui se retrouvent au chômage…
Merci pour toutes ces précisions !
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