Fin 1943, une troupe de l’armée japonaise débarque sur une île de Papouasie-Nouvelle Guinée, avec pour mission de contrôler le village de Bayen. Car la Guerre du Pacifique pour les Japonais se passe aussi sur ces petites îles disséminées du Pacifique, que les soldats de l’infanterie doivent tenir et défendre au péril de leur vie, malgré un intérêt quasi nul dans l’issue de la guerre. Pour les toutes jeunes recrues, parmi lesquelles le soldat Maruyama, alter ego de l’auteur, entre les pièges naturels de la jungle, le climat, la malaria, la malnutrition auxquels s’ajoutent les brimades et les violences quotidiennes de leurs chefs, survivre est un combat quotidien. Toutes les sales corvées sont pour eux : des opérations absurdes (rechercher une semaine durant le corps d’un officier dévoré par un crocodile) aux manœuvres déprimantes. Pour une mission de reconnaissance où on recherche quelques espions, ce sont les bleus qu’on envoie. Un des leurs, blessé, sera abandonné à son triste sort, mais l’infirmier veillera à ramener son petit doigt, une preuve que le soldat est mort en héros... Dans cette ambiance délétère, l’aviation puis la marine ennemies font leur apparition. Les combats commencent, sporadiques. Après le commando de « rupture des rangs ennemis » qui s’avère un fiasco, le commandant japonais décide de l’Opération Mort, une mission suicide, sans véritable intérêt militaire, consistant à envoyer à la mort tous les survivants, avec interdiction de revenir sous peine d’exécution…(*) Le plus vertigineux est qu’au moment même où cette Opération Mort est annoncée, les soldats tombent comme des mouchent : plutôt de maladie et des suites de fausses manœuvres que des combats eux-mêmes. Les officiers en viennent à s’interroger : auront-ils assez de soldats à « suicider » au nom de la patrie ? L’Opération Mort apparaît désormais comme la seule alternative pour gagner l’honneur de la mort au champ de bataille…
A la dimension tragique de ce récit de guerre, s’ajoute celle du vécu de Mizuki, seul rescapé de son escadron, le bras fauché par un obus. «Les morts n’ont jamais pu raconter leur expérience de la guerre. Moi, je le peux. Lorsque je dessine une bande dessinée sur le sujet, je sens la colère me submerger. Impossible de lutter. Sans doute ce terrible sentiment est-il inspiré par les âmes de tous ces morts depuis longtemps ». Dans la postface, Mizuki nous rappelle que, survivant de cette Opération Mort, il est un résistant tenu par la nécessité de témoigner. Catharsis, témoignage, devoir de mémoire, ce livre est tout cela.
Le dessin de Mizuki joue sur de forts contrastes graphiques, les personnages ont une esthétique très « cartoon », avec des faciès comiques ou caricaturés alors que les décors ou les scènes de combat sont traitées de façon très minutieuse, dans un style hyperréaliste qui nous renvoie par cet aspect documentaire à la véracité des évènements. Les personnages, dessinés d’un trait fin, les corps d’un blanc pur, silhouettes dérisoires qui se distinguent étonnamment dans les contre-jours et les scènes nocturnes, n’en paraissent que plus égarés et plus humains, dans ce monde glacé de réalisme.
Charge violente et sans concession contre la guerre et ceux qui l’ordonnent, ce manga est incontournable.
(*) Dans le titre original du livre Soin Gyokusai Seyo « tout le monde doit combattre jusqu’à la mort », il faut noter le terme Gyokusai, mission suicide (ou plus précisément : « se suicider collectivement pour rendre l’honneur à l’Empereur et au pays »). Ce terme n’a été utilisé que dans le contexte de la fin de la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement pendant la guerre du Pacifique pour désigner la « stratégie » de l’état major japonais.
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