De par sa double origine espagnole et japonaise, JM Ken Niimura(*) est à la croisée de cultures différentes. Après avoir vécu en Espagne, puis fait un bref séjour en Belgique, il est installé depuis deux ans en France. Dans son travail de dessinateur, sont perceptibles les influences du manga, des comics et de la bande dessinée européenne. Mais ce riche héritage qui pourrait peser bien lourd pour certains semble bien digéré par ce dessinateur (à peine âgé de 27 ans) qui nous fait la démonstration d’un univers déjà très personnel et d’un talent prometteur.
Il a eu la gentillesse de nous rencontrer au Festival d’Angoulême (janvier 2009), un moment où tous les dessinateurs sont très sollicités par le public.
-Pour cet album Je tue des géants, vous avez collaboré avec Joe Kelly, un scénariste américain (*), qui a plutôt œuvré dans le comic des super héros. Comment s’est passé cette rencontre et cette collaboration ?
Il y a environ 3 ans, nous nous sommes rencontrés lors d’une convention BD en Espagne. Assis côté à côte pour des dédicaces, nous avons discuté et sympathisé. Je lui ai montré ce que je faisais et vice versa. Il m’a recontacté plus tard, pour ce projet qui lui tenait à cœur depuis un moment. Il cherchait un dessinateur.
Nous avons échangé des mails pendant environ un an, le temps que le projet prenne forme. J’ai fait de nombreuses esquisses pendant un an également, pour trouver un style correspondant au récit. Puis, j’ai commencé à vraiment dessiner début 2008 et j’ai mis huit mois à réaliser l’ensemble. C’est vraiment important pour moi car c’est la première fois que je me lance dans un travail d’une telle ampleur.
-Comment avez-vous travaillé : vous aviez l’ensemble du scénario ou simplement des petits bouts ? Des indications précises sur les personnages ? Joe Kelly vous a-t-il laissé libre quant au découpage et à la mise en page ?
Au départ, Joe m’a communiqué le scénario entièrement écrit, pas encore découpé, pour que j’aie une vision d’ensemble. Puis il a préparé un découpage, assez libre, adapté néanmoins à la publication en comic books, à ce type de lecture en feuilletons. Le récit est en effet d’abord sorti aux Etats-Unis, cet été, pour la convention de San Diego, avant d’être publié en France, sous la forme d’une minisérie de sept comic books. Il y une façon particulière de raconter pour ce format, d’amener les épisodes pour tenir le lecteur sur la totalité de la publication. En France, le récit est proposé en 2 volumes (le second sortira l’an prochain), et conserve cette présentation en 7 chapitres.
Il me donnait donc certaines indications de rythme, le nombre de cases par planches par exemple. Mais j’étais assez libre sur la réalisation graphique (choix des plans, des cadrages), de la représentation des personnages. Les oreilles de lapin de Barbara, c’est moi par exemple qui les ai imaginées !
-Le noir et blanc, est-ce un choix délibéré pour vous ? Ou une suggestion de l’éditeur ?
C’est un choix personnel, un défi que j’avais envie de m’imposer. C’est la première fois que je réalise un travail aussi important en noir et blanc. J’avais envie de m’y risquer. Ce n’était pas évident comme choix pour Joe Kelly. Aux Etats-Unis, le noir et blanc peut être parfois perçu comme un signe revendiqué par la bande dessinée indépendante ou le roman graphique qui s’adresserait à un certain type de lecteur. Mais il a accepté l’idée.
Ce qui est intéressant, c’est que pour moi, travailler avec un scénariste américain, expérimenté dans les comics, reconnu me donne l’occasion de progresser et en étant publié aux Etats-Unis et en France, de toucher un large public. C’est un projet grand public. Et pour lui, c’est un projet assez personnel, ce récit est en marge de ce qu’il fait d’habitude – des comics de super-héros- et donc pour lui, il s’adresse à un public différent, qui ne l’attend pas dans ce domaine… c’est un contraste intéressant !
-Y a-t-il une volonté de vous écarter d’un certain réalisme ? Par exemple, le décor de la ville (le port, la mer) n’est pas très typique d’une ville américaine… Les personnages également paraissent aussi plus matures que leurs âges présumés. Quel est la part de réalisme graphique ?
Je n’ai pas un souci de réalisme poussé dans la représentation des personnages. Quand c’est trop typé, reconnaissable, le lecteur peut avoir du mal à entrer dans le récit ou à s’identifier avec les personnages. J’exagère certains traits pour qu’ils soient expressifs, que les personnages aient une façon à eux d’être différents. L’histoire quant à elle, se passe aux Etats-Unis. Je ne suis jamais allé aux Etats-Unis. Joe Kelly m’a envoyé des photos de documentation mais il m’a laissé beaucoup de liberté pour interpréter ces décors comme je voulais… J’avais effectivement après coup un peu peur des réactions du public américain ; je me disais que des lecteurs allaient sûrement me faire remarquer que ça ne ressemblait pas à une ville américaine. Mais personne ne m’a fait cette remarque jusqu’à présent !-Vous avez illustré chez Glénat un ensemble de livres destinés à apprendre le japonais à travers le manga qui montre votre intérêt et votre connaissance de cette bande dessinée. Vous avez été influencé en tant que dessinateur par le manga ? Quels sont vos auteurs importants ?
Mon père étant japonais, j’ai lu très tôt beaucoup de mangas. Il y en avait pas mal à la maison ! Pour autant, je ne revendique pas l’influence d’un auteur en particulier. Pour moi, le manga, c’est une façon de raconter des histoires, un rythme. La presse américaine a, pour cet album, souligné plutôt l’aspect cartoon de mon dessin. Et aussi une certaine filiation avec Calvin et Hobbes…
-Probablement parce que Calvin vit dans un monde imaginaire et visible de lui seul, comme Barbara ?
Oui, sûrement aussi pour ça….
-Comment êtes vous devenu dessinateur ?
A 15 ans, je participais déjà à plusieurs fanzines. Ensuite à des travaux de presse. En Espagne, dans les années 80-90, il y avait beaucoup de journaux où on pouvait publier. Mais ces journaux ont disparu avant que je commence à publier, moi c’était plutôt sur d’autres revues moins spécialisées. La bande dessinée est moins importante en Espagne qu’en France, en termes d’enjeux économiques, mais en conséquence, les auteurs jouissent d’une grande liberté.
-Vous avez une certaine notoriété en Espagne dus à vos travaux publicitaires, d’illustrations et de bande dessinée. Vous êtes désormais publié aux Etats-Unis et en France. Aimeriez-vous être publié au Japon ?
Je vais publier dans quelques mois un court récit pour le magazine Mandala (de l’éditeur Kodansha) qui publie des auteurs étrangers dans un grand format plutôt atypique pour le Japon et en couleurs. Ce n’est qu’un début mais c’est important bien sûr d’y figurer !
Merci de nous avoir accordé ce moment. Très bonne continuation !
Le prochain volume de Je tue des géants est prévu pour janvier 2010.
Note
(*) Amis du catalogage : Jose Maria Ken, ce sont ses prénoms, Niimura son nom !
(*) : Joe Kelly est un scénariste américain qui œuvre majoritairement sur les comics de super héros depuis 1993, chez Marvel puis chez DC Comics et plus spécifiquement pour Action Comics. Il a travaillé sur de nombreuses séries, sur des personnages très connus comme les Xmen, Daredevil, Justice League of America ou Superman. Il est aussi auteur de nouvelles séries comme Steampunk, Mr Rex et Ballast.
Ken Niimura a présenté plusieurs fois ces travaux en France, une exposition « Images d’un monde flottant » au Centre Jean Monnet à Paris et au Festival de Beauchamp sur Marne, en 2008.
Vous pouvez voir de nombreux travaux de Ken Niimura sur son site : www.niimuraweb.com
-Pour cet album Je tue des géants, vous avez collaboré avec Joe Kelly, un scénariste américain (*), qui a plutôt œuvré dans le comic des super héros. Comment s’est passé cette rencontre et cette collaboration ?
Il y a environ 3 ans, nous nous sommes rencontrés lors d’une convention BD en Espagne. Assis côté à côte pour des dédicaces, nous avons discuté et sympathisé. Je lui ai montré ce que je faisais et vice versa. Il m’a recontacté plus tard, pour ce projet qui lui tenait à cœur depuis un moment. Il cherchait un dessinateur.
Nous avons échangé des mails pendant environ un an, le temps que le projet prenne forme. J’ai fait de nombreuses esquisses pendant un an également, pour trouver un style correspondant au récit. Puis, j’ai commencé à vraiment dessiner début 2008 et j’ai mis huit mois à réaliser l’ensemble. C’est vraiment important pour moi car c’est la première fois que je me lance dans un travail d’une telle ampleur.
-Comment avez-vous travaillé : vous aviez l’ensemble du scénario ou simplement des petits bouts ? Des indications précises sur les personnages ? Joe Kelly vous a-t-il laissé libre quant au découpage et à la mise en page ?
Au départ, Joe m’a communiqué le scénario entièrement écrit, pas encore découpé, pour que j’aie une vision d’ensemble. Puis il a préparé un découpage, assez libre, adapté néanmoins à la publication en comic books, à ce type de lecture en feuilletons. Le récit est en effet d’abord sorti aux Etats-Unis, cet été, pour la convention de San Diego, avant d’être publié en France, sous la forme d’une minisérie de sept comic books. Il y une façon particulière de raconter pour ce format, d’amener les épisodes pour tenir le lecteur sur la totalité de la publication. En France, le récit est proposé en 2 volumes (le second sortira l’an prochain), et conserve cette présentation en 7 chapitres.
Il me donnait donc certaines indications de rythme, le nombre de cases par planches par exemple. Mais j’étais assez libre sur la réalisation graphique (choix des plans, des cadrages), de la représentation des personnages. Les oreilles de lapin de Barbara, c’est moi par exemple qui les ai imaginées !
-Le noir et blanc, est-ce un choix délibéré pour vous ? Ou une suggestion de l’éditeur ?
C’est un choix personnel, un défi que j’avais envie de m’imposer. C’est la première fois que je réalise un travail aussi important en noir et blanc. J’avais envie de m’y risquer. Ce n’était pas évident comme choix pour Joe Kelly. Aux Etats-Unis, le noir et blanc peut être parfois perçu comme un signe revendiqué par la bande dessinée indépendante ou le roman graphique qui s’adresserait à un certain type de lecteur. Mais il a accepté l’idée.
Ce qui est intéressant, c’est que pour moi, travailler avec un scénariste américain, expérimenté dans les comics, reconnu me donne l’occasion de progresser et en étant publié aux Etats-Unis et en France, de toucher un large public. C’est un projet grand public. Et pour lui, c’est un projet assez personnel, ce récit est en marge de ce qu’il fait d’habitude – des comics de super-héros- et donc pour lui, il s’adresse à un public différent, qui ne l’attend pas dans ce domaine… c’est un contraste intéressant !
-Y a-t-il une volonté de vous écarter d’un certain réalisme ? Par exemple, le décor de la ville (le port, la mer) n’est pas très typique d’une ville américaine… Les personnages également paraissent aussi plus matures que leurs âges présumés. Quel est la part de réalisme graphique ?
Je n’ai pas un souci de réalisme poussé dans la représentation des personnages. Quand c’est trop typé, reconnaissable, le lecteur peut avoir du mal à entrer dans le récit ou à s’identifier avec les personnages. J’exagère certains traits pour qu’ils soient expressifs, que les personnages aient une façon à eux d’être différents. L’histoire quant à elle, se passe aux Etats-Unis. Je ne suis jamais allé aux Etats-Unis. Joe Kelly m’a envoyé des photos de documentation mais il m’a laissé beaucoup de liberté pour interpréter ces décors comme je voulais… J’avais effectivement après coup un peu peur des réactions du public américain ; je me disais que des lecteurs allaient sûrement me faire remarquer que ça ne ressemblait pas à une ville américaine. Mais personne ne m’a fait cette remarque jusqu’à présent !-Vous avez illustré chez Glénat un ensemble de livres destinés à apprendre le japonais à travers le manga qui montre votre intérêt et votre connaissance de cette bande dessinée. Vous avez été influencé en tant que dessinateur par le manga ? Quels sont vos auteurs importants ?
Mon père étant japonais, j’ai lu très tôt beaucoup de mangas. Il y en avait pas mal à la maison ! Pour autant, je ne revendique pas l’influence d’un auteur en particulier. Pour moi, le manga, c’est une façon de raconter des histoires, un rythme. La presse américaine a, pour cet album, souligné plutôt l’aspect cartoon de mon dessin. Et aussi une certaine filiation avec Calvin et Hobbes…
-Probablement parce que Calvin vit dans un monde imaginaire et visible de lui seul, comme Barbara ?
Oui, sûrement aussi pour ça….
-Comment êtes vous devenu dessinateur ?
A 15 ans, je participais déjà à plusieurs fanzines. Ensuite à des travaux de presse. En Espagne, dans les années 80-90, il y avait beaucoup de journaux où on pouvait publier. Mais ces journaux ont disparu avant que je commence à publier, moi c’était plutôt sur d’autres revues moins spécialisées. La bande dessinée est moins importante en Espagne qu’en France, en termes d’enjeux économiques, mais en conséquence, les auteurs jouissent d’une grande liberté.
-Vous avez une certaine notoriété en Espagne dus à vos travaux publicitaires, d’illustrations et de bande dessinée. Vous êtes désormais publié aux Etats-Unis et en France. Aimeriez-vous être publié au Japon ?
Je vais publier dans quelques mois un court récit pour le magazine Mandala (de l’éditeur Kodansha) qui publie des auteurs étrangers dans un grand format plutôt atypique pour le Japon et en couleurs. Ce n’est qu’un début mais c’est important bien sûr d’y figurer !
Merci de nous avoir accordé ce moment. Très bonne continuation !
Le prochain volume de Je tue des géants est prévu pour janvier 2010.
Note
(*) Amis du catalogage : Jose Maria Ken, ce sont ses prénoms, Niimura son nom !
(*) : Joe Kelly est un scénariste américain qui œuvre majoritairement sur les comics de super héros depuis 1993, chez Marvel puis chez DC Comics et plus spécifiquement pour Action Comics. Il a travaillé sur de nombreuses séries, sur des personnages très connus comme les Xmen, Daredevil, Justice League of America ou Superman. Il est aussi auteur de nouvelles séries comme Steampunk, Mr Rex et Ballast.
Ken Niimura a présenté plusieurs fois ces travaux en France, une exposition « Images d’un monde flottant » au Centre Jean Monnet à Paris et au Festival de Beauchamp sur Marne, en 2008.
Vous pouvez voir de nombreux travaux de Ken Niimura sur son site : www.niimuraweb.com
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