Parodie et détournement dans la bande dessinée
Extrait de la
conférence du mardi 22 janvier 2019, Préac BD d’Angoulême
Part 3
Part 3
Publié dans Intercdi, mars 2019
La caractéristique de
la parodie, c'est d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des
différences perceptibles par rapport à celle-ci et de manifester humour ou
raillerie. Une parodie est donc une œuvre originale
qui en imite une autre : elle engage une relation critique à l'objet parodié, en
lui faisant subir certaines transformations qui seront de l'ordre de
l'exagération voire de la caricature. Ces modifications sont effectuées dans un
esprit ludique ou satirique, avec l’intention d’amuser et pas nécessairement de
se moquer ou de dénigrer l'oeuvre originale : de nombreuses parodies sont des
hommages rendus à des œuvres dont on reconnaît l’importance historique ou
personnelle.
Une veine parodique et humoristique traverse toute
l'histoire de la bande dessinée et ce, dès ses débuts. La parodie peut s'exercer sur une œuvre, un personnage ou un
genre issus d’autres arts, comme la peinture ou la littérature, mais aussi bien
sûr sur la bande dessinée elle-même, ce dont elle ne s'est pas privée à partir
des années 70/80.
(Les deux premières parties de la conférence ne sont pas
retranscrites ici. Elles seront présentées ultérieurement sur ce blog).
J’ai choisi de présenter Robert
Sikoryak, un auteur américain atypique dont l’essentiel de
l’œuvre se concentre sur des expérimentations que l’on peut qualifier de
parodiques. Cet auteur redessine en utilisant le même style graphique que
l'œuvre parodiée, dans un exercice proche du pastiche ou du détournement, mais
il y ajoute une dimension ludique et critique ainsi que d’autres contraintes
aboutissant à des formes de bande dessinée inédites.
1. Masterpiece Comics
Ancien membre de
l’équipe éditoriale de Raw, la prestigieuse revue d’Art Spiegelman et de Françoise Mouly, Robet
Sikoryak est dessinateur pour le New Yorker et publie chez Drawn
& Quarterly. C’est un fin parodiste qui n’hésite pas à se lancer dans
d’étonnantes expériences en bande dessinée. Masterpiece Comics, est
le seul album de cet auteur publié en France (en 2012). Les planches réunies
dont la production s’est échelonnée sur 20 ans (1989-2009) ne sont peut-être pas
vraiment des parodies, mais relèvent d’une expérience étrange et originale
entre littérature et bande dessinée, qu’on pourrait nommer hybridation ou
interfécondité.
Sur la
couverture française est mentionnée en titre secondaire La bande dessinée prend
d’assaut la littérature alors
que le sous-titre original en anglais signifie plutôt entrer en collision (where classics and cartoons collide). Il faut plutôt y voir une confrontation voire
une alliance.
En tout cas, il ne s’agit pas d’une simple adaptation de classiques de la littérature, même doublée d’une intention ironique. Loin de réaliser un exercice de style «à la manière de » Sikoryak organise une association délibérée. Il va orchestrer un croisement entre une grande œuvre du patrimoine littéraire mondial et un comics, en recherchant une analogie entre la bande dessinée choisie et le texte littéraire. R. Sykoryak ne se contente pas de plaquer une œuvre sur une autre, il cherche des interactions profondes ou des passerelles symboliques entre des grands personnages littéraires et des héros de bande dessinée. Ce qui permettra au lecteur de chercher à identifier les points de convergence, d'enquêter afin de découvrir où se situe le travail de greffe de l’auteur.
En tout cas, il ne s’agit pas d’une simple adaptation de classiques de la littérature, même doublée d’une intention ironique. Loin de réaliser un exercice de style «à la manière de » Sikoryak organise une association délibérée. Il va orchestrer un croisement entre une grande œuvre du patrimoine littéraire mondial et un comics, en recherchant une analogie entre la bande dessinée choisie et le texte littéraire. R. Sykoryak ne se contente pas de plaquer une œuvre sur une autre, il cherche des interactions profondes ou des passerelles symboliques entre des grands personnages littéraires et des héros de bande dessinée. Ce qui permettra au lecteur de chercher à identifier les points de convergence, d'enquêter afin de découvrir où se situe le travail de greffe de l’auteur.
Avec Dostoyevsky comics, qui rappelle le mythique Detective comics, où paraît pour la première fois Batman, Sikoryak
revisite Crime et Châtiment dans un
récit de onze pages. « Le fait de prendre la nature profondément torturée de Batman pour la plonger dans le contexte
moralement anxiogène de Crime et châtiment constitue une équation passionnante, cela
questionne le personnage de Bob Kane avec ironie, en immergeant la fausse
naïveté des bandes du Golden Age dans une trame littéraire tragique et
classique, jetant des ponts entre cette littérature reconnue et un genre
injustement méprisé ». (BD Zoom, 2012). Nous
allons voir qu’effectivement, entre Raskolnikov et Batman une affinité existe,
mise en valeur par R.Sikoryak. Dans Crime et Châtiment, l’auteur russe
met en scène Raskolnikov, ici surnommé Raskol, un
ancien étudiant qui vit dans la solitude et la pauvreté. Raskolnikov assassine
une vieille prêteuse sur gage pour lui voler son argent. La justification de
son acte fait de Raskolnikov un surhomme ou, du moins, un prétendant à la
surhumanité. Dans le roman, il précise : « Les
hommes ordinaires doivent vivre dans l’obéissance et n’ont pas le droit de
transgresser la loi […] Les individus extraordinaires, eux, ont le droit de
commettre tous les crimes et de violer toutes les lois pour cette raison qu’ils
sont extraordinaires ». On n’est pas loin de la définition du super-héros,
d’où le choix par Sykoryak de Batman dont l’âme sombre et les motivations
douteuses ont souvent été exposées. Ce discours de Raskolnikov pourrait être le
sien et c’est pourquoi Sykoryak le retranspose ici (2ème et 3ème case, page 51)
en lui attribuant « les hommes
extraordinaires peuvent transgresser la loi et éliminer des obstacles…." Raskolnikov et Batman s’imaginent au dessus de la loi, en tout cas, ils sont
prêts à la transgresser. Et ils estiment qu’il est juste
d'employer des mesures extraordinairement cruelles pour lutter contre ce qu’ils
considèrent être injustes.
Observons également sur cette planche une case décentrée où apparaît le visage grimaçant de la vieille femme, victime du crime de Raskol, qui vient le hanter en permanence. Elle apparaît ici sous l’apparence du Joker, le super vilain, perpétuel adversaire de Batman ! Le costume du super-héros est montré comme un travestissement qui facilite le meurtre. Ici, à peine Raskol l’a-t-il enfilé qu’il trucide la vieille femme. Le costume de justicier est poussé à son extrême, montré comme un costume de tueur. A la fin, Raskol enlève son masque, retire son costume de chauve-souris et redevient un homme libre, libéré de son mensonge et de son crime.
Observons également sur cette planche une case décentrée où apparaît le visage grimaçant de la vieille femme, victime du crime de Raskol, qui vient le hanter en permanence. Elle apparaît ici sous l’apparence du Joker, le super vilain, perpétuel adversaire de Batman ! Le costume du super-héros est montré comme un travestissement qui facilite le meurtre. Ici, à peine Raskol l’a-t-il enfilé qu’il trucide la vieille femme. Le costume de justicier est poussé à son extrême, montré comme un costume de tueur. A la fin, Raskol enlève son masque, retire son costume de chauve-souris et redevient un homme libre, libéré de son mensonge et de son crime.
Detective comics, vol.1,
n°153, 1949.
Dessiné par Dick
Sprang
|
Observons une seconde rencontre de Masterpiece
Comics, cette fois-ci entre Superman, de Siegel et Shuster et L’Étranger d’Albert
Camus. Le récit est condensé
en huit couvertures d’Action Camus qui caricaturent les couvertures
d’Action Comics, magazine qui
publiait Superman. Ici, si le
principe de l’hybridation est le même
que précédemment, l’adaptation se double d’une contrainte, celle de la réduction.
Cette rencontre
entre Superman et L’Étranger, a priori improbable, est pourtant assez
judicieuse. Tout d’abord, les fausses couvertures, tout en reprenant les
problématiques du roman, sont en accord avec Superman et ce que sous-entend sa
présence sur notre planète. A savoir la solitude, l’abandon, l’absurdité et une
forme de condamnation de la société.
« J’ai toujours éprouvé un grand plaisir à
jouer avec les similitudes et les disparités entre les personnages des comics
et ceux des œuvres littéraires. Dans ce cas précis, les deux protagonistes,
Meursault et Superman, sont des orphelins et des sortes de marginaux ». (Entretien
paru dans Zoo No.29, janvier 2011).
Superman a effectivement été envoyé dans l’espace
dans un berceau spatial par ces parents, avant que leur planète natale ne
disparaisse. C’est un émigré sur terre, obligé de cacher sa vraie nature,
coincé dans une double vie et une double identité. Le fils de Krypton devient donc aisément L’Étranger. De même, Meursault est un
personnage en marge de la société. A l'enterrement de sa mère, il ne se
comporte pas comme l'exigent les codes sociaux. il ne pleure pas et ne manifeste
pas le moindre chagrin. Par contre, ce qui lui paraît le plus menaçant et
désagréable pendant les obsèques est le soleil «insoutenable» et la chaleur.
Tous les éléments de cette scène sont très bien
rendus par Sykoriak qui plante un Superman, désinvolte et fumeur au milieu du
cimetière. L'incipit de Camus, une des phrases les plus célèbres de la
littérature : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais
pas" est scindé en deux, entre le titre de l'épisode et la question posée
en direct par Superman.
Le roman
s’articule autour de trois événements importants : l’enterrement de la mère au
début, le meurtre de l’Arabe au milieu et la condamnation à la fin, que l’on
retrouve ici. Dans les deux premiers événements, le soleil a une symbolique marquée qui est étroitement liée à la
souffrance et à la mort, parfaitement mis en valeur ici par Sikoryak. Dans la bande dessinée, on se souvient de
l'influence du soleil sur Superman : une partie de ses pouvoirs lui
viennent de cette planète dont il absorbe les radiations…
L’éventail des
styles abordés par Sikoryak est impressionnant. Il fait montre d’une capacité
extraordinaire à se glisser dans le style de chacun des dessinateurs choisis. Il
ne s’est pas engagé dans un seul genre de littérature ou de comics. Il va
piocher dans toute l’histoire de la bande dessinée américaine, depuis le début
du 20ème siècle avec Little Nemo jusqu’aux Garfield ou Peanuts plus
récents, en passant par les comics des années 50 et 60, pour les marier avec
Voltaire, Kafka, Emily Bronte, Oscar Wilde, Goethe… On dit de lui qu’il est
pasticheur, parodieur et adaptateur. Ce qu’agence Sikoryak, c’est une «inadaptation» délibérée.
« Mais cette inadaptation est mesurée : car une analogie existe, de
sorte qu’une forme de complicité s’articule entre l’œuvre littéraire choisie et
le registre graphique dans lequel elle se trouve déplacée. » (Loleck, mars
2010, in Du9)
Entre pastiche,
caricature, parodie, mise en relation, adaptation, ces hybridations manigancées par l’artiste, par-delà leur
caractère parfois saugrenu, disent une
vérité de chacune des deux sources ainsi «mixées». Il y a bien quelque
chose d’irrévérencieux et de réjouissant dans l’hybridation — le fait que Raskolnikov se transforme en Batman— Mais il y aussi ce
travail de convergence, ce jeu de miroirs qui s’instaure entre ces récits croisés
de sorte que Dostoievsky révèle une vérité sur Batman, Oscar Wilde sur Little
Nemo, ou Kafka sur Charlie Brown. Dans une interview, Sikoryak précise : « j'essaie
de choisir des œuvres qui ont eu un impact culturel, qui appartiennent à notre
conscience culturelle collective. J'aime l'idée de trouver une connexion entre
deux univers qui appartiennent clairement à des pôles opposés, en termes
d'intentions et de publics et j'espère trouver suffisamment de parallèles entre
leurs intrigues ou personnages pour en tirer profit » (in nydaylynews.com, 2009).
On
voit bien qu’un des objectifs de Sikoryak est de casser des clichés quant aux
représentations qu’on se fait de la littérature ou de la bande dessinée et de
créer des passerelles entre elles, montrer qu’il y a des traces de l’un dans
l’autre à travers des problématiques communes. Au final, rend-il la littérature
plus proche aux amateurs de bande dessinée et/ou rend-il la bande dessinée plus
intéressante aux yeux
des amateurs de littérature ? Probable qu’il parvienne plus à séduire les
amateurs de bande dessinée, car le background en matière d’histoire de la bande
dessinée se révèle plus important pour apprécier le jeu qu’il propose que le
background en terme de littérature.
2. The Unquotable Trump
Plus récemment, en 2017, Sikoryak a publié The Unquotable Trump, une satire du président américain à travers
le détournement de couvertures de magazines ou d’albums de bandes dessinées
emblématiques. Sikoryak s’est ici imposé
une contrainte : n'utiliser que les mots prononcés par Trump lors
d'événements publics ou d'interviews, sans procéder à aucune modification de
termes.
The Unquotable Trump
fait référence à The Uncredible Hulk, à ce titre et
évidemment à ce personnage particulièrement monstrueux, ce Dr Jekyl et M.Hyde
de la bande dessinée, incapable de contrôler sa colère et ses métamorphoses et duquel
est implicitement rapproché Trump. Mais le titre fait aussi référence à cette
contrainte de la citation puisque The Unquotable
Trump pourrait être traduit par l’Incitable Trump, le type dont on ne
peut pas citer les propos parce qu'ils sont provocants et choquants mais qu’on
cite malgré tout ici !
Sykoryak utilise particulièrement le genre super-héros,
mettant en scène des batailles épiques entre super-héros et super-méchants qui
constituent d’après lui un contexte particulièrement adéquat à la mise en scène
de Trump. « Je pense qu'une partie de la raison pour laquelle cela
fonctionne si bien est que les bandes dessinées sont souvent très tranchées
lorsqu'elles décrivent le bien et le mal. Et
parfois, leur vision du monde est très simpliste, tout comme les déclarations
de Trump. Je pense que la bande dessinée peut
être assez subtile et nuancée, mais pour cette série, je joue définitivement
avec les stéréotypes de la bande dessinée" (interview
in Mashable, 2017). Trump se trouve
ainsi intégré dans des couvertures mythiques de la bande dessinée américaine,
caricaturé en Hulk ou super vilain.
Le
fait d’être transporté dans l’univers de la fiction déréalise le président
américain, il n’est plus qu’un personnage de papier affublé des tares des
personnages qu’il représente. Cette mise en scène attire l’attention du lecteur
sur les mots de Trump. Des déclarations d’ailleurs souvent prononcées plutôt
qu’écrites. En les sortant de leur contexte et en les écrivant comme un texte
de personnage, l’auteur met ces déclarations à distance, il les exhibe, il les
expose, les donne à relire dans ce nouveau contexte de la bande dessinée. L’extravagance
ou la violence des propos de Trump ressurgissent dans toute leur crudité, comme
mis à neuf par cette expérience. La parodie de Sikoryak dévoile ici son esprit
satirique. Cette mise en scène s’avère également jubilatoire pour un amateur de
comics : parce qu’il cherche à identifier l’auteur, le style, le genre,
l’époque à laquelle fait référence Sikoryak et surtout le point de convergence
entre le texte de Trump et l'œuvre sélectionnée. C’est donc à la fois un jeu de
référence sur la bande dessinée et la parodie d’un homme politique, dont le but
est de discréditer.
Pour voir plus de couvertures, ici
Pour voir plus de couvertures, ici
3. Terms and Conditions. The Graphic novel
Autre
projet assez incroyable de Sikoryak : la mise en bande dessinée d'un
document particulièrement illisible, à savoir les conditions générales d'utilisation d'Itunes d'Apple,
un document de 20.000 mots qu'aucun utilisateur ne lit et que
pourtant que tous valident en cliquant sur le bouton Accepter. Ce texte est un
document juridique qui engage l'utilisateur et protège surtout la société
éditrice. Le seul à l'avoir lu entièrement
est peut-être Robert Sikoryak qui l’a
adapté en bande dessinée (publié chez Drawn and Quaterly en mars 2017, pas encore
traduit en français).
« Je me suis dit que les conditions générales d’iTunes feraient une bande dessinée très improbable. J’ai adoré l’idée d’adapter dans son intégralité un texte dont tout le monde a entendu parler, mais que très peu de gens ont réellement lu." Et il ajoute « C’est quelque chose que les conditions d’utilisation ont en commun avec de nombreux classiques de la littérature ».
« Je me suis dit que les conditions générales d’iTunes feraient une bande dessinée très improbable. J’ai adoré l’idée d’adapter dans son intégralité un texte dont tout le monde a entendu parler, mais que très peu de gens ont réellement lu." Et il ajoute « C’est quelque chose que les conditions d’utilisation ont en commun avec de nombreux classiques de la littérature ».
Ce
projet aura demandé plusieurs années, le résultat tient en 94 pages dans lesquelles
le document d’Apple est métamorphosé en bande dessinée. Chaque page est réalisée d'après une planche de bande
dessinée existante, redessinée dans le style de l'artiste original, avec une
représentation de Steve Jobs qui prend la place et le style graphique du personnage
d’origine. Les dialogues et les commentaires narratifs sont la retranscription
exacte et intégrale des conditions contractuelles iTunes d'Apple. "En choisissant un texte sans narration, cela signifiait que
je pouvais utiliser les scénarios des bandes dessinées que je parodiais pour créer
un drame, du suspense ou de l'humour". (The Comics Journal, 15/03/2017)
Sikoryak
reprend ici une planche culte de Will
Eisner qui avait intégré le titre du Spirit dans la forme architecturale du
building et qui avait utilisé le cadre de l'ascenseur pour figurer les
premières cases, éléments que l'on retrouve avec cette planche de Sikoryak.
Steve
Jobs déambule dans ces univers multiples, allant de Little Nemo aux X Men. Steve Jobs a l'avantage de parler à
tout le monde : sa tenue, lunettes et pull noir col roulé, est un uniforme
parfait pour un personnage de bande dessinée, parce que forte visuellement et donc
reconnaissable facilement. Aucune autre personnalité du monde du numérique n’égale
son statut iconique. « Si j’avais utilisé les conditions d’utilisation de
Facebook ou Amazon, par exemple, je n’aurais pas eu un personnage principal
avec le même impact."(In New-York Magazine, 13/03/2017).
Le contraste
est assez saisissant entre la neutralité du texte et certaines pages connues ou
représentatives du style d’un auteur : celle de Steve Jobs en pleine
recherche des Cigares du Pharaon par exemple. Ou discutant avec les
protagonistes dubitatifs de Persepolis. Sikoryak précise : "J’ai
vraiment essayé de représenter les différents types de bande dessinée : il y a
des artistes européens et japonais, des auteurs indépendants et d’autres plus
traditionnels, des auteurs édités sur papier et d’autres sur le web, des
auteurs de roman graphique et des artistes publiés dans les journaux du début
du XXe siècle… Je dois avoir passé autant de temps à choisir les artistes et à
trouver des pages qu’à les dessiner !"
Ce
qui ressort de cette juxtaposition de planches, c’est qu’il n’y a pas de hiérarchie à l’intérieur de l'album, des auteurs
à privilégier au détriment d’autres. Pour Sikoryak, il n’y a pas de barrières
ni d’échelons. Le lecteur est convié à une représentation générale et
éclectique de la bande dessinée, loin de tout sectarisme. Evidemment, le
lecteur le plus aguerri s’amusera à reconnaître telle ou telle planche et en
tira du plaisir. Pour les autres, cela ne sera peut être qu’une invitation à la
découverte graphique ou une promenade dans l’histoire de la bande dessinée.
Sykoriak
ne cherche pas, comme dans les travaux précédents, à faire émerger des
associations entre le texte et les planches choisies, mais cela ne signifie pas
qu’on ne peut pas en trouver !! Comme ici, dans cette page tirée du travail de Kate Beaton où un paysan médiéval demande une jeune fille en
mariage. La proposition de mariage (un peu forcé) de Jobs n’est qu’une suite d’injonctions
qui répète you agre, you agree / vous
etes d’accord… Difficile de ne pas voir des connexions ici !
Sur une
autre planche se produit un télescopage assez réussi et humoristique. Steve Jobs
embrasse Jean Grey (connue en France sous le nom de Strange girl ou Marvel girl)
juste avant qu'elle ne meure dans la Saga de Phénix noir (un récit des X-Men des années 70, écrit par Chris Claremont et John Byrne). Pendant
qu’il l’embrasse, il lui chuchote passionnément à l’oreille : "Ceux qui recevront des cadeaux doivent
avoir un équipement et des paramètres de contrôle parental compatibles pour
utiliser certains de ces cadeaux." Sikoryak parvient avec cette mise
en scène à conférer à cette phrase un contenu quasi érotique !
D'après Kate Beaton |
Un
critique américain a souligné : "le produit fini est
remarquable pour plusieurs raisons : le texte reste tout à fait
inaccessible, même transposé dans cette excitante tradition visuelle de bandes
dessinées. Ce qui montre que délibérément ou pas, Apple a fait de vous un serf asservi
à un seigneur dont vous ne parlez pas la langue". Sikoryak met en
évidence le langage sibyllin des documents de ce type où tout est fait pour que
l’utilisateur ne comprenne rien de ce qui lui est énoncé, et qui ne sert en
fait qu’à protéger les sociétés face aux utilisateurs. Il affirme pourtant
qu’avec ce projet, il ne cherche pas à devenir un ennemi d’Apple mais bel et
bien d'expérimenter et de jouer avec cette forme d’adaptation.
Sykoriak
reprend une célèbre planche de Tarzan, dessinée par Burne Hogarth mettant en
valeur la musculature du célèbre héros de la jungle. Cet exercice de reprise
nous amène à comparer les détails, à saisir les différences éventuelles, comme
dans le jeu des 7 différences. Et donc à observer ces planches, pour certaines
très connues, avec un œil neuf et attentif. Ce travail de mise hors contexte et
de détournement que réalise Sikoryak nous renvoie bien aux planches originales
et avec elles, nous remémore une partie de l’histoire de la bande dessinée. A
défaut de nous faire comprendre le fameux document d’Apple, cet album s’avère
une promenade stimulante dans les différents styles graphiques de l’histoire de
la bande dessinée.
Le
travail de Sikoryak qui s'exerce dans l'aire du pastiche, de la référence
détournée et de la parodie est tout à fait atypique. Entre ses adaptations
littéraires qui sont plutôt des hybridations, ses mises en scène de Trump qui
sont effectuées sous contrainte textuelle et iconique et son dernier travail
qui est de l'ordre de l'exercice de style, du détournement et du pastiche, difficile
de catégoriser cet auteur et d'étiqueter son travail. Il y a bien chez lui quelque chose d'oubapien qui relève du ludique,
de l'expérimentation, du plaisir de la transgression et de l'emprunt de voies
inexplorées par la bande dessinée.
En plus d'être ludique, la parodie en
bande dessinée s'avère souvent pédagogique. Par le regard décalé que certains
proposent sur d'autres bandes dessinées, l'exercice de la parodie invite le
lecteur à une lecture ou relecture des œuvres. Par les choix qu'ils font, la
sélection des œuvres à parodier, se dessine un corpus des œuvres essentielles,
celles qu'il faut connaitre ou qui ont marqué l'histoire de la bande dessinée. La
parodie en bande dessinée invite ainsi le lecteur a une découverte de
l'histoire de la bande dessinée.
Bibliographie
Masterpieces comics
Cecil MacKinley.
Masterpiece comics. In BD Zoom, 04/02/2012. http://bdzoom.com/45769/comic-books/%C2%AB-masterpiece-comics-%C2%BB-par-robert-sikoryak/
Nicolas
Labarre. Masterpiece Comics, la parodie,
le genre et l’adaptation. In Picturing
it!, 05/05/2015, https://picturing.hypotheses.org/191.
The Unquotable Trump
Le
tumblr de Robert Sikoryak : https://unquotabletrump.tumblr.com/
The Guardian. Covers story: Trump in the cartoon frame – in pictures ...
The Guardian. Covers story: Trump in the cartoon frame – in pictures ...
Robert Saunders.
Pop-Culture
& Trump: Interviewing R. Sikoryak, Creator of the Unquotable Trump. In E.International
Relations, 1/10/2017. https://www.e-ir.info/2017/10/01/pop-culture-trump-interviewing-r-sikoryak-creator-of-the-unquotable-trump/
Heather Dockray. Artist turns Trump into a comic
book villain and it works too damn well. In Mashbable, 06/11/2017. https://mashable.com/2017/11/06/trump-comic-book-villain-sikoryak/?europe=true#fVnOj8nzisq7
Terms and
Conditions. The Graphic novel
Interview de
Robert Sikoryak. In The Comics Journal,
15/03/2017
Abraham Riesman.
How R. Sikoryak Turned the iTunes Terms
and Conditions into a Comics Masterwork. In New-York Magazine, 13/03/2017. http://nymag.com/intelligencer/2017/03/r-sikoryak-itunes-terms-conditions-comic.html
Joe Coscarelli. An Artist Helps
iTunes’ User Agreement Go Down Easy. In The New York Times. 06/03/2017
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