Je tue des géants de Ken Niimura

Barbara Thorson n’est pas une jeune fille ordinaire. Elle porte des oreilles de lapin (très expressives par ailleurs), se passionne pour des parties de Donjons et Dragons dont elle est le maître de jeu et est régulièrement convoquée dans le bureau du directeur de l’école pour ses répliques insolentes et son désintérêt pour les études. C’est vrai aussi, et ce n’est pas le moins inquiétant chez elle, qu’elle affirme avoir déjà un métier qui l’occupe à plein temps : chasseuse et tueuse de géants…
Si Barbara semble vivre dans un monde imaginaire, se trimbalant un marteau légendaire dans son sac et dévorant des récits épiques où titans et géants menacent le monde, elle n’en a pas moins de vrais problèmes, en particulier avec les autres enfants et sa famille. Tyrannisée par une énorme fille de l’école, harcelée par une psychologue soucieuse d’en savoir plus sur sa vie familiale qui semble de fait mystérieuse (elle vit avec sa grande sœur et son frère dans une maison isolée), Barbara qui vient à peine de se faire une nouvelle amie voit son fragile univers se fissurer de toute part…
Le récit est raconté du point de vue de notre héroïne, ce qui est délicieusement perturbant pour le lecteur. Car ce qu’elle voit - tout un monde invisible, peuplé de lutins, fées et autres créatures bien plus angoissantes- est-ce réel ? Ou n’est-ce que le fantasme d’une jeune fille déprimée et déséquilibrée qui imagine une invasion imminente de géants pour exorciser sa peur du monde réel ? Pourtant le monstre terré à l’étage de sa maison qui la terrorise semble lui bien exister…
L’auteur joue bien avec les nerfs du lecteur en laissant flotter le malaise et l’instabilité permanente de point de vue. En effet, au final, il se pourrait bien que Barbara ne soit pas si folle que ça. Il faudra néanmoins attendre le tome 2 qui clôturera le récit pour en être certain…

Ce récit d’une fille qui lutte avec énergie et entêtement pour vaincre des monstres réels et imaginaires est assez original et réussi. Le scénariste américain Joe Kelly qui œuvre majoritairement sur des comics de super héros montre ici sa capacité à créer un univers original, destiné à des adolescents comme à des adultes. Le découpage et la mise en page sont aussi à remarquer. A la fois inspiré par la bande dessinée américaine dans son traitement narratif et par le manga dans son graphisme, l’album reste néanmoins inclassable.
Le dessin de Ken Niimura, d’origine japonaise et espagnole, reflète ces influences tout en étant très personnel. Bien qu’en noir et blanc, le dessin joue sur des variations d’épaisseur de pinceau noir et de nombreuses nuances de gris, créant des effets de lavis et des ambiances variées, allant de l’insouciance gaie à la noirceur horrifique. Les créatures féériques représentées dans un autre style graphique (un ténu crayonné blanc) viennent s’insérer dans les images révélant aux lecteurs le monde tel que le voit Barbara. Les émotions des personnages par l’intensité des expressions des visages sont particulièrement bien rendues.
Un album à la croisée de plusieurs influences oscillant entre bande dessinée indépendante, comics et manga qui pourra impressionner (dans le bon sens) nos lecteurs de bande dessinée, prêts à sortir des sentiers battus. A partir de 13/14 ans.

1 commentaire:

  1. Très belle analyse pour une bd atypique. Malheureusement, Quadrant peine à nous livrer le tome 2...

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