Rencontre avec Li Kunwu et Philippe Otié autour de Une vie chinoise


Rencontre avec Li Kunwu et Philippe Otié autour de Une vie chinoise
Le lundi 10 octobre 2011 à la Bibliothèque Universitaire du Mans
Rencontre organisée par la librairie Bulle, Le Mans
Interview et propos recueillis par Agnès Deyzieux
Traduction assurée par Geneviève Clastres


-Il y a quelques jours, vous nous avez confié que c’est un éditeur français Yves Schlirff qui vous a encouragé à raconter l’histoire de votre vie sous forme de bande dessinée. Je crois que c’est la première fois que vous publiez un livre dans un autre pays que le vôtre. Que connaissiez-vous de la France à ce moment là ? Aviez-vous des amis français ? Un intérêt particulier pour ce pays qui fait qui vous aurait aidé dans votre décision de publier un livre en France ?
Li Kunwu
Je suis très heureux d’être ici au Mans, d’avoir pu participer au Salon de la 25ème heure, je ne pensais pas recevoir un aussi bon accueil dans ce salon et de vendre autant de livres ! J’ai été très agréablement surpris et très touché. Je suis très heureux d’être ici à l’université du Maine et de rencontrer mes compatriotes et de parler à la nouvelle génération qui étudie ici !
Je fais de la bande dessinée en Chine, j’ai rencontré Philippe Otié et j’ai eu envie de faire une bande dessinée avec lui.
P. Otié
A l’origine, nous sommes amis et nous avions en projet de livre autour de Marco Polo. On l’a présenté à Pékin, à deux éditeurs différents Delcourt et Dargaud. Ils nous ont répondu tous les deux la même chose : le scénario leur plaisait, le dessin aussi mais pas ensemble ! Par contre, ce qu’ils prendraient bien, ce serait l’autobiographie d’un chinois tel que Li Kunwu. On a été très surpris. A 15 minutes d’intervalles, les deux principaux éditeurs français de bande dessinée nous donnaient cette occasion inespérée de faire cette autobiographie.

-Pourquoi vous ont-ils à votre avis fait cette proposition ? Une envie de mieux comprendre la Chine ?
P. Otié
C’était il y a six ans, on sortait juste d’un grand succès de librairie qui allait aussi devenir un grand succès de cinéma qui était Persépolis. C’est à mon avis la raison principale ! En tant qu’éditeurs, ils étaient conscients d’être passés à côté de quelque chose d’énorme. Persépolis, pour nos amis chinois ici présents qui ne connaissent pas forcément ce livre, c’était l’autobiographie d’une jeune femme qui venait d’Iran, un pays pour nous très lointain, très mystérieux, mais bien moins gros que la Chine ! Ils ont dû se dire, si ça marche pour l’Iran, ça doit marcher aussi pour la Chine !

-Qu’est ce qui vous a aussi aidé ou qu’est ce qui vous a motivé à écrire ce livre sur votre vie ? L’envie de vous raconter, de réfléchir sur votre vie ou plutôt l’envie de raconter tous les évènements de l’histoire de la Chine que vous avez vécus de près ?
Li Kunwu
En fait depuis tout petit j’aime dessiner et raconter. J’ai trouvé que c’était un bon moyen à travers ce livre de témoigner de l’histoire de la Chine et de mon histoire.
-Comment avez-vous travaillé avec Li Kunwu, plutôt sous forme de dialogue ,puisque je crois que vous parlez bien le chinois ? ou d’échange de textes ? Est-ce qu’il a fallu lui tirer les vers du nez ou il se confiait facilement ? Est ce qu’il y a des épisodes particuliers sur lesquels vous n’étiez pas d’accord sur la façon de le représenter ou même de le faire figurer ?
P.Otié 
Sur la méthode, ce n’est pas une bande dessiné classique, puisqu’il s’agissait d’une autobiographie. Dans une bande dessinée classique, il y a un scénariste et un dessinateur ; le scénariste écrit l’histoire et a une grande liberté d’invention et d’expression. Dans notre cas, Li Kunwu amenait sa vie, tout ce qu’il a vécu, moi j’amenais la façon d’ordonnancer cela, de le présenter. Les dialogues aussi, même si nous les avons composés à deux, c’est moi qui les ai rédigé en français.Ca a été une collaboration très complexe, parfois compliquée, complexe toujours. D’autant plus que nous habitions à des milliers de kilomètres de distance. A l’époque, j’habitais au Sud Vietnam, Hô-Chi-Minh Ville, lui dans le sud de la Chine. Depuis trois ans, je suis en Chine de nouveau mais quand même très loin de lui. Heureusement qu’il y a les technologies modernes ! Ce projet là , il ya dix ans, nous n’aurions pas pu le faire ! On s’envoyait sans arrêt des fichiers volumineux, et on ponctuait tout ça de réunions tous les 2 ou 3 mois environ pour mettre tout à plat. On explique tout ça dans le troisième tome. On se réunit tous les deux et on mettait tout par terre, toutes les pages étalées, parfois il y en a 100 ! On raisonne par tranche, et ça peut parfois être une tranche de 100 pages. On met tout ça au sol et là, on bouge ! Comme ce n’est pas une histoire normale, on peut faire des coupes, on enlève, on rajoute, on modifie. Certains passages peuvent se retrouver 30 pages plus loin que prévus. Heureusement, Li Kunwu dessine très vite ! Un dessinateur occidental n’aurait pas pu tenir ! Il a beaucoup travaillé en plus, sur des choses qu’au final on a retirées… On a  travaillé cinq ans dessus, c’est énorme.
Pour répondre à la seconde partie de votre question, je reprends cet exemple qu’on a mis dans la bande dessinée, dans le volume 3 où on se retrouve avec toutes nos pages par terre. On se retrouve là pour une réunion très importante, ça faisait 6 mois qu’on était en négociation, quasiment houleuse, pour savoir comment traiter le Printemps 89. On a mis quand même 6 mois avant de se sortir de ce problème là ! On s’en est sorti par une pirouette, tout simplement en se mettant en scène et en montrant au lecteur qu’il y a des fois où on n’arrive pas à se mettre d’accord.
-Et là, je me souviens de ce passage, vous insistez sur la neutralité que vous tenez à garder dans l’ensemble du livre. Pourtant, ce n’est pas un livre neutre et il ya une vraie subjectivité qui s’exprime !
P. Otié
Au début, on pensait qu’on aurait qu’une difficulté, ce serait de retranscrire le caractère autobiographique : j’ai fait ça, puis ça et ceci…etc. En fait, ce n’était pas du tout ça le plus difficile ! Le plus difficile, c’était d’arriver à trouver ce que j’ai appelé la ligne de crête, c'est-à-dire quelque chose qui ne soit ni critique ni propagande ; sachant que Lao Li, son boulot, c’est de faire de la propagande, il est artiste de propagande du parti communiste. Le problème pour nous, c’est d’arriver à trouver cette neutralité…
-C’est plus un équilibre en fait ?
Oui, d’accord, je pense que cet équilibre, on l’a trouvé grâce au témoignage. A aucun moment, on amène le personnage à dire ce qu’il pense. On voit ce qu’il voit mais pas forcément ce qu’il pense. Le lecteur se fait son idée par lui-même. Je ne sais pas si nous y sommes arrivés, mais c’était notre ambition ! Pour cela, on avait une seule paire d’yeux, ceux de Li Kunwu mais avec deux éclairages différents : parfois il vient d’un endroit, parfois d’un autre !
Li Kunwu
C’est un problème à la fois compliqué et facile ! Moi je crois que j’ai surtout cherché à raconter ma vie, à témoigner et c’est ensuite au lecteur de juger. Que ce soit subjectif ou objectif, ce n’est pas important. Pour moi, c’était juste raconter les choses comme elles m’étaient arrivées.

-Vous avez aussi écrit à la première personne en essayant de penser comme lui. ! C’est un exercice difficile de se glisser dans la peau d’un autre ? Vous dites dans la préface du tome 3 , que vous êtes allés aux frontières de la schizophrénie. Est-ce qu’au fur et à mesure de l’écriture, cela devenait plus facile, plus naturel de devenir Li ?
P. Otié
Aller aux frontières de la schizophrénie, c’était une figure de style ! Il se trouve qu’on a passé cinq ans ensemble, on a décortiqué sa vie… Je pense qu’à un moment, j’arrivais assez bien à comprendre certaines choses. C’est très difficile de s’exprimer de façon à ce que des occidentaux parviennent à comprendre ce qu’un chinois a vécu.
La vision que Lao Li a de lui-même et celle qu’il a de la Chine et celle que les jeunes chinois qui sont là ont de la Chine ne correspond pas du tout à la vision que nous, nous avons de la Chine, sur plein de sujets. Il ya des choses qui vont nous choquer ! Le problème ici, ce n’est pas la schizophrénie, c’est encore d’arriver à trouver l’équilibre, une crête qui fait que tant lui, il s’y retrouve que le lecteur chinois et aussi le lecteur occidental. Il n’ya a pas beaucoup d’oeuvres aujourd’hui que tout le monde puisse accepter.
Li Kunwu
Un proverbe chinois dit « Etre érudit, avoir des connaissances vastes et profondes » C’est passionnant de discuter des différences culturelles entre la Chine et la France parce que c’est à la fois très simple et très profond ! On pourrait en parler pendant des heures !
-On voit dans Une vie chinoise que vous tenez un journal intime. A quel moment avez-vous commencé à écrire ce journal et dans quel but ? A quel point vous a t-il servi pour ce livre ?
Li Kunwu
Notre génération n’avait pas Internet ! C’est vrai qu’on aimait bien tenir des journaux intimes. J’ai commencé à l’école à écrire.
Vous ont-ils servi pour votre livre ?
Non, c’est vraiment dommage mais je n’ai pas gardé ces journaux !

-On vous voit dans le volume 3 lors de votre passage à Paris que le dessin permet de communiquer avec les autres qui ne parlent pas votre langue. Vous découvrez aussi le Festival de bande dessinée d’Angoulême. On voit que le dessin a toujours une grande importance dans votre vie. Qu’auriez-vous fait si vous n’aviez pas dessiné ? Vous sentez-vous plus à présent comme un artiste que comme un soldat ?
Li Kunwu
Depuis tout petit, je n’avais pas d’idée précise de ce que je voulais faire. Les choses sont venues naturellement…
-Dans le volume 3, on vous voit travailler dans un journal, le Yunam Ribao comme journaliste dessinateur. Exercez vous toujours cette profession ? Et en quoi consiste telle ? Y-a t-il beaucoup de journalistes dessinateurs en Chine ?
Li Kunwu
J’ai effectivement pendant 30 ans dessiné pour le quotidien du Yunam, cela représente 30 à 40 000 dessins, c’était mon métier ! Depuis 5 ans, j’ai complètement arrêté pour me consacrer entièrement à l’écriture de mon livre
P. Otié
Il a tellement travaillé pour ce journal qu’ils ont accepté de le laisser partir !

-Est-ce que vous pensez que ce livre va marquer un tournant dans votre carrière en tant que dessinateur ?
Li Kunwu
Oui, c’est un vrai tournant dans ma carrière. Mes collègues l’ont remarqué. Ce que je faisais pour le Yunam Ribao et ce que j’ai fait dans ce livre, c’est très différent. Il y a un proverbe très connu au Yunam, ce sont les 18 bizarreries du Yunam. Vous connaissez ? Et bien maintenant, il y en a 19 ! Vous pourrez voir une différence entre les trois tomes, dans le premier on sent encore l’influence du Yunam, ensuite c’est différent.
Les lecteurs français ne sont pas habitué à nos bandes dessinées traditionnelles, il leur manque des clés pour comprendre, « les instruments de cuisine pour manger ». Le fait qu’on a réussi à vendre autant de livres montre qu’on a trouvé un outil juste, entre la fourchette et les baguettes !
P. Otié
Je vais rajouter un mot sur les 18 bizarreries du Yunam. En fait c’est un peu le logo de cette région, la façon qu’a le Yunam de se présenter au reste de la Chine. C’est une province de 55 millions d’habitants environ. Li Kunwu a une notoriété très forte dans cette province car pendant 30 ans, il a été l’illustrateur du principal quotidien. Ce serait un peu comme Cabu ou Wolinsnki en France. Il a été réellement lancé lorsqu’il a inventé les 18 bizarreries que de nombreux chinois connaissent, d’autant que c’est la province la plus touristique de Chine.

-Mais quelles sont ces bizarreries ?
Geneviève Clastres
Ce sont des particularités comme par exemple que le fait que les hommes fument le tabac dans une pipe en bambou, que le train communique avec l’extérieur et non l’intérieur car le chemin de fer du Yunam a d’abord rejoint le Vietnam, le fait que quand on vend des œufs, on les vend dans des petits paniers tressés, que les paysans ont des chaussures en paille… Ce sont des caractéristiques très marquées qui font que la province du Yunam se différencie des autres provinces.
P. Otié
C’est Li Kunwu qui a décidé qu’il y en avait 18 ! Il les a dessinées, en a fait des livres et les gens en parlent !

-Est-ce que ce livre va changer votre carrière professionnelle ? C’est votre première bande dessinée, y en-aura-t-il d’autres ?
P. Otié
J’attendais cela depuis longtemps ! C’était un rêve d’enfance de faire de la bande dessinée et de dessiner. Mais le temps a passé, je n’avais pas le niveau, le rêve s’est effacé et là, tout d’un coup, le rêve se matérialise. C’est extraordinaire ! Si j’ai l’occasion de le refaire, je le referai avec grand plaisir. J’ai un autre travail actuellement pour gagner ma vie, mais si un jour, j’ai le choix de gagner assez ma vie en ne faisant que cela, je n’hésiterai pas !
-Avez-vous été surpris de son accueil plutôt remarqué en France (le volume 2 a reçu le prix Ouest-France Quai des Bulles en 2010) ? Est-ce que cela dépasse les espoirs que vous aviez ?
Li Kunwu
Effectivement, j’ai été un peu surpris au début. Je n’avais pas pensé qu’on recevrait aussi vite un tel accueil. Le livre commence à être traduit dans d’autres pays et grâce à ce livre, tout le monde va un peu mieux connaître la Chine.

-Vous allez devoir partir en voyage dans toute l’Europe alors ?
Li Kunwu
C’est la barrière de la langue qui va m’en empêcher…
Geneviève Clastres
Il fait référence à un passage du volume 3 où il retranscrit ses problèmes de communication en France, l’épisode des toilettes ! Il voulait aller aux toilettes et ne savait le dire, il avait donc dessiné et recopié ce qu’il y avait sur une porte croyant que c’était le terme toilettes et il montrait son papier à tout le monde, mais en fait il avait inscrit « poussez svp ! » Quiproquo culturel !
Questions du public
Etudiant chinois
Quel est le message que vous souhaitez transmettre aux générations futures avec ce livre ? Et quelles sont les pensées que les gens devront étudier ?
Li Kunwu
Pour moi, c’est de faire ressentir aux jeunes générations les changements profonds et importants que la Chine a connu au cours de ces 50 dernières années, des changements qu’on aurait même pas pu imaginer avec une telle rapidité
P Otie
Li Kunwu insiste sur le fait qu’il y a deux aspects dans son travail : la communication vers les jeunes, montrer ce qui s’est passé, témoigner. Mais c’est aussi un message adressé à sa génération à lui, l’envie de laisser une trace. Faire acte de mémoire.
Ce qui s’est passé il ya 40 ou50 ans en Chine, c’est une période de l’histoire qui est peu discutée dans les familles. Combien parmi vous qui êtes jeunes savez ce qui s’est passé dans vos familles ? Les gens en parlent peu, pourtant beaucoup ont eu la vie de Li Kunwu. Je pense que beaucoup de chinois qui ont maintenant 70 ans vont avoir envie de parler et de laisser une trace de ce qui c’est passé. Essayons tout simplement d’en parler, même si on a fait des erreurs, on peut essayer d’en parler aujourd’hui. On est en train de toucher du doigt ce mouvement, qui a déjà débuté avec certains cinéastes. Je pense à  Zhang Yimou avec Huozhe (Vivre), un cinéaste très connu à l’étranger. Le premier à avoir osé faire un film témoignage sur ce qu’il avait vécu.
Je voudrais rajouter une autre préoccupation qui est la mienne : à savoir essayer de s’approcher d’un outil de communication qui puisse être partagé tant par les chinois que par les étrangers. J’espère qu’il y aura de plus en plus d’ouvrages où on puisse avoir une lecture commune, un plus petit dénominateur commun qui nous permette d’avoir une idée commune de ce qu’est la Chine. Moi, c’était mon ambition !
Li Kunwu
Un lecteur m’a dit un jour : « avec tout ce que vous avez vécu, comment ne pas être devenu fou ? » Non seulement, je ne suis pas devenu fou mais je suis devenu encore plus heureux, encore plus tranquille, encore plus serein.

Etudiant chinois
J'ai commencé à lire le premier volume et je trouve que ce livre est plutôt une vie politique chinoise. Qu’avez-vous voulu exprimer vraiment ? Quelle est votre idée sur la révolution chinoise ?
Li Kunwu
Merci d’avoir lu mon livre et de poser cette question. Mon point de vue est vraiment très objectif et ce n’est pas évident pour moi de répondre. Il y a eu tellement de changements dans la société et dans la politique ces dernières années, je n’y peux rien, je n’ai pas pu l’éviter, j’ai été pris dans ce tourbillon. Ce qu’a vécu ma génération pendant son enfance, c’est une période vraiment très difficile et très dure. On n’y peut rien. C’est parce qu’on a connu ces trente ans de révolution qu’on est arrivé là où on est aujourd’hui. C’est pour ça que j’ai voulu témoigner pour les jeunes générations. Ce qu’est la Chine d’aujourd’hui est issu de ce que nous, nous avons vécu dans le passé. Bien des gens sont plus compétents que moi pour parler de la politique chinoise. Moi, j’ai voulu surtout avec mon crayon et mon dessin témoigner de ce que j’ai vécu pendant cette période. Une fois que vous aurez lu les autres volumes, vous aurez une vision plus complète de mon histoire et ma façon de voir les choses. Je voulais dire aussi, dans ma vie, j’ai tout fait : ouvrier, paysan, soldat. On me voit aussi dans la Chine d’aujourd’hui. Je raconte toutes mes expériences, tout ce que j’ai fait et tout n’est pas politique !
P Otie
Si l’on ne regarde que le premier volume, on peut penser que c’est un manifeste politique ou que sais-je...  Ce n’était pas du tout l’intention. Quand on regarde toute la série, certes il ya un background politique mais nous sommes tous impactés par les décisions politiques. Sur le premier livre, c’est vrai que ce background est extrême. Ca vous donne l’impression que c’est un ouvrage politique mais c’est un témoignage, de quelqu’un sur une période où la politique était tout. C’est la politique qui décidait que vos parents étaient encore aujourd’hui avec vous mais que demain, ils se retrouveraient dans un camp de reprogrammation pendant 10 ans. Ce n’est pas politique, c’est juste du témoignage. On s’est limité à faire du témoignage et on ne veut pas toucher au domaine politique. Si vous, vous en tirez des conclusions politiques, vous êtes libres de penser ce que vous voulez !
Etudiant chinois
La plupart des auteurs chinois nous présentent des images de la Chine ancienne. Pourquoi ne pas présenter une chine moderne ?
Li Kunwu
Je ne savais pas que les étudiants avaient tant de livres sur l’histoire de la Chine, ma prétention n’est pas de reparler de l’histoire de Chine mais juste de livrer un témoignage. Je vais écouter vos conseils et peut être dans le futur, j’aurai l’occasion de parler d’une Chine plus moderne !
P Otie
Je voudrais partager une expérience. J’ai déjà assisté en Chine à une présentation d’un film fait par un auteur français sur une ville chinoise, Wuhan. Dans le cinéma, il y avait une moitié de chinois et une moitié d’expatriés français. Tous les français ont trouvé le film super, on avait tous l’impression que cette ville qu’on nous montrait correspondait à notre expérience, la caméra se promenait près du fleuve dans des quartiers très typiques, pas très beaux mais très vivants. Notre Chine à nous, c’était celle là ! Mais de jeunes chinois ont dit que c’était pas du tout cette vision là qu’ils avaient de Wuhan et ils ont dit au réalisateur : vous n’auriez dû pas faire ce film car vous transmettez une image de la ville qui est fausse et qui ne nous convient pas. Pourquoi ne pas être allé filmer les gratte-ciels, les zones commerciales modernes de la ville ? Dans la salle, personne n’imaginait qu’on puisse dire ça mais je pense que c’était une façon de voir différente. Je voulais parler de cette expérience car votre question touche à cela. Quand on est jeune chinois, on imagine que la Chine que l’on représente et qu’on a envie de projeter à l’extérieur, c’est celle du modernisme et de l’avenir. Mais il se trouve que les étrangers, on a aussi envie de connaître d’où vous venez, qui sont vos parents, ce qui c’est passé, pourquoi les chinois d’aujourd’hui se comportent d’une certaine façon et pas d’une autre…etc  C’était ça mon intérêt de participer à ce projet
Geneviève Clastres
Ce que dit Philippe est très important ! Je vais compléter ! Je suis aussi journaliste et vais en Chine depuis 20 ans. C’est évident que tout le monde sait aujourd’hui en France que la Chine est développée, qu’il y a des villes avec des grands immeubles. La richesse de ce travail de Li et de Philippe, c’est d’avoir eu le courage de livrer un témoignage d’une Chine dont on a justement peu de témoignage de cette génération. Pour vous qui êtes jeunes, et qui connaissez la Chine d’aujourd’hui, vous savez ce qu’elle est, moderne et développée. L’important, ce n’est pas de voir ça, l’important, c’est d’avoir le courage de vous pencher sur ce qu’ont vécu vos parents et grands parents, pour mieux comprendre aussi les problèmes de la Chine d’aujourd’hui, cet espèce de surconsommation, cette espèce de frénésie qui a de bons côtés mais qui peut avoir des aspects problématiques pour le futur. Il faut que vous ayez le courage de voir ça, de vous interroger là-dessus ! D’abandonner des sentiments trop patriotes ou nationalistes qui peuvent vous desservir. Li a eu un courage extraordinaire de témoigner, ce livre est exceptionnel ! Que des personnes de cette génération aient pu témoigner ainsi de ces choses très dures qu’ils ont vécues  : la famine ou ces moments où on se dénonçait les uns les autres, ça aujourd’hui, c’est inestimable et il faut en prendre conscience !

3 commentaires:

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  2. Auriez vous le contact de Philipe Otier avec qui j'aimerais collaborer pour un projet artistique sur le Yunnan (province de Li Kunwu) ?
    mon mail: perrin.capucine@gmail.com

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  3. Bonjour, je tombe sur cet article et j'étais alors la traductrice de l'échange, vous pouvez donc remplacer le mot "Traductrice" par Geneviève Clastres. Merci.

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