Interview publique de Pat Mills
Rencontre organisée par la librairie Bulle
Jeudi 30 octobre 2014, Médiathèque du Mans
Interview et propos recueillis par Agnès Deyzieux



Nous tenons particulièrement ce soir à rendre hommage à M. Pat Mills que nous sommes très honorés de recevoir. Il nous a livré avec La Grande Guerre de Charlie une oeuvre magistrale et essentielle sur la Première Guerre mondiale. Cet auteur, comme Jacques Tardi, a changé notre vision de la grande Guerre. Beaucoup de personnes, en effet, ont été impressionné et bouleversé par la lecture de Charley's war. C'est une oeuvre qui transmet beaucoup à son lecteur : elle décrit des faits connus de la grande guerre et en dévoile d'autres, souvent cachés. Elle rapporte des grandes batailles mais aussi des petits événements, en racontant la guerre à hauteur d'homme qu'il soit anglais, français ou allemand. Elle dénonce l'attitude inhumaine des gradés durant cette grande guerre, l'extrême violence des combats; la grande souffrance des soldats et pourtant malgré les atrocités qu'elle met en scène, elle parvient à garder une fraîcheur, une drôlerie même parfois, un aspect tragicomique et transmet au final une énergie et une chaleur humaine incroyables. Pour tout cela, merci beaucoup M. Pat Mills !

La genèse de Charlie
-Pouvez vous nous dire quelques mots sur la revue Battle dans laquelle est parue La Grande Guerre de Charlie à la fin des années 70 ? Dans quelle condition avez vous crée ce magazine ? N'y avait-il pas une contradiction entre ce magazine dédié aux récits de guerre et votre projet de récit antimilitariste ?
Oui, je pense qu'il y avait une contradiction entre cette revue de guerre et Charley's war. Tout le monde a toujours eu envie de lire une histoire à propos de la 1ère Guerre mondiale mais pense que c'est impossible, d'abord parce que c'est trop déprimant et ensuite parce que s'il s'agit des tranchées, c'est très limité comme contexte, mais tout le monde est intéressé. La question est comment la mettre en scène et la dramatiser. La réponse est qu'il faut l'écrire bien mieux que la Seconde Guerre mondiale, écrire à un niveau plus élevé. Je n'avais pas le choix car on m'a donné le meilleur artiste Joe Colquhoun ! Avec quelqu'un d'aussi brillant, il fallait que j'écrive encore mieux... Quiconque écrit autour de la seconde guerre mondiale ne peut s'empêcher de glorifier la guerre. Avec la 1ere Guerre mondiale, c'est plus facile de faire une histoire antimilitariste, ce qui est difficile avec la Seconde Guerre, tout le monde accepte cette idée. Mon rêve secret serait d'écrire une histoire antimilitariste sur la Seconde Guerre mondiale, mais ce serait très dangereux en Grande Bretagne, peut être aussi en France. Churchill est perçu comme un grand héros ce qui n'est pas mon opinion !

-Comment est née La Grande Guerre de Charlie ? Y a t-il eu un élément déclencheur pour l'écriture de ce récit ? Quelles étaient vos motivations ?
Il y avait cette comédie musicale "Que la guerre est jolie !"qui m'a inspiré et aussi l'envie de parler de l'injustice vécue par ces héros issus de la classe laborieuse. Dans Charley's war, ce qui est très apparent, c'est la division entre les classes dirigeantes et les gens ordinaires.


-La Grande Guerre de Charlie comporte plus de 1000 pages. Aviez-vous dès le début l'ensemble du récit en tête ou seulement quelques grands épisodes clés ?
J'avais une idée approximative à cause de la chronologie de la guerre et il fallait que le héros survive ! Je voulais montrer en particulier la mutinerie britannique, l'invasion française et britannique de la Russie et aussi montrer que, contrairement à ce que pensent les britanniques, il n'y a pas que les britanniques et un peu les américains qui participent aux guerres mondiales mais aussi entre autre, les français ! Je voulais changer cette attitude stéréotypée, chauviniste et insulaire des britanniques concernant la Grande Guerre.

Travail de documentation
-Aviez vous déjà beaucoup lu de documents sur la Grande Guerre avant de commencer ce récit ? Comment cette documentation a-t-elle nourri votre récit ? Faisiez-vous des recherches sur des sujets précis, que ce soit les batailles importantes ou la vie quotidienne dans les tranchées ?
Ayant commencé ce projet avant l'ère d'internet, j'ai dû faire beaucoup de recherches, utiliser les bibliothèques qui m'ont été très utiles car les livres coûtaient très chers. A présent, tout serait plus facile grâce à Internet !

Vos lectures ont elle changé le sens de votre récit ?
Je m'étais déjà forgé une opinion avant de commencer l'écriture mais au fur et à mesure de mes recherches, mon opinion s'est précisée. Plus je lisais, plus j'étais en colère contre les autorités !

La publication de la série
-Charlie est donc une série qui paraissait sous forme d'épisodes, au rythme de 3 pages par semaine. Comment s'organisait la publication ? Dans les notes de fin d'album, vous précisez que vous deviez fournir un script à l'avance à la rédaction qui devait l'approuver. Est ce arrivé souvent qu'on vous demande de changer ce script ?
C'est un format effectivement très différent de la bande dessinée, il y a un rythme très rapide. On s'adressait à des jeunes garçons d'environ 11 ans qui étaient très critiques, ils voulaient beaucoup d'actions, d'émotions, d'histoires, le tout en 3 pages ! La série est devenue très vite populaire alors on me laissait tranquille, je n'ai pas trop eu à subir cette censure sinon en quelques occasions pour des détails assez anodins, sans importance majeure. Un exemple, on m'a demandé d'enlever une scène où il y avait un soldat américain qui était raciste avec un autre soldat, noir. Le rédacteur en chef a dit qu'il ne voulait pas vexer qui que ce soit. Mais quand vous lirez cette scène, vous sentirez qu'il manque quelque chose car le rédacteur a coupé dans le sous texte moral.


-Vous soulignez souvent dans les notes de fin d'album de ne pas avoir eu une totale liberté de création, en particulier sur les images de couvertures du magazine qui n'étaient pas assez racoleuses ou trop dénonciatrices de la guerre pour le journal. Avez-vous toujours avec le recul ce sentiment de n'avoir pas pu vous exprimer librement ? 
Comme Charley était populaire, on nous a proposé d'apparaître en couverture mais il fallait faire une image spectaculaire. Or, je pense que les lecteurs étaient sophistiqués, et pouvaient apprécier un bon dessin de qualité mais sympa à l'oeil aussi. Mais le rédacteur en chef n'était pas toujours d'accord. La preuve que je suis gêné de vous révéler, est qu'on nous demandait d'inscrire sur la couverture "to be continued", "la suite à la page suivante" comme s'ils étaient bêtes à ce pointt. Parfois, on proposait des couvertures trop élaborées pour le rédacteur mais qui convenaient très bien aux lecteurs ! Ces images d'ouverture auraient plutôt eu leur place à l'intérieur plutôt que sur la couverture.


 Joe Colquhoun

-Ensuite, vous faisiez parvenir ce script à votre dessinateur, Joe Colquhoun. Est ce lui qui faisait le découpage ? Est ce que vous pouviez en discuter ou travailliez-vous à distance sans vous voir ?
Le travail à distance est assez rare en bande dessinée mais c'est pas plus mal car cela permet de garder des relations professionnelles. J'avais perçu quelles étaient les forces de Joe et j'essayais de créer mon histoire en fonction de ses forces. J'ai découvert que c'était un génie qui avait la capacité de camper les personnages. Dans un contexte où l'uniforme efface le personnage, et transforme tout le monde en chair en canon, chaque personnage dessiné par Joe apparaît comme un être humain et un individu.





-Le dessin de Joe Colquhoun est à la fois d'une grande richesse dans le détail et d'une extraordinaire énergie et aussi souvent aussi d'une fine subtilité dans les expressions des visages. Il dessine souvent une case ronde où n'apparait sur fond noir qu'un visage suspendu, en gros plan, jouant ainsi sur des expressions très fortes. C'est une technique peu courante, en tout cas dans notre bande dessinée francophone. Etait ce une astuce typique de ce dessinateur ou une pratique usitée dans la bande dessinée britannique de l'époque?
C'était assez courant dans la bande dessinée britannique d'une génération un peu plus ancienne. Je ne pense pas que c'était nécessaire car Joe était un très bon dessinateur et il n'avait pas besoin de ces effets là. A l'époque, Frank Bellamy était très populaire et le rédacteur a demandé à Joe de faire quelque chose qui ressemble à Bellamy. Il travaillait beaucoup sur des lignes très irrégulières ; on a demandé à Joe de s'inspirer de cet artiste. Joe était tellement humble qu'il ne se rendait pas compte de sa stature et de la qualité de son art.



-Une grande image en silhouettage vient souvent clore un chapitre. Elle apparait aussi en page de garde. C'est une très belle image, très évocatrice. Est -elle issue de l'imagination de Joe ? ou s'est il inspiré d'une photo ? Comment avez vous décidé de l'utiliser comme emblème de la série ?
Joe avait beaucoup de références photographiques et picturales sur la guerre et celle ci est inspirée d'une photo célèbre. Mais les meilleures images que Joe a dessinées venaient de son coeur ! Sans faire de flagornerie, Joe avait vraiment un don de magicien pour le dessin. Il pouvait imaginer l'intérieur d'un tank ou d'un char sans aucune photo de référence. Il avait un don magique !




Charlie
-Comment avez vous conçu le personnage de Charlie ?
Je voulais une image iconique du jeune soldat anglais de la Première Guerre mondiale, en tout cas l'idée qu'on en a en Grande Bretagne, Charlie était un exemple parfait de cette représentation : un jeune garçon mineur, pas trop intelligent...

-Dans le premier volume, vous utilisez beaucoup les lettres que Charlie envoie à sa famille. Le décalage entre ce qu'il vit et ce qu'il dit , associé à sa candeur du début, est à la fois source d'humour et de réalité brutale pour le lecteur. Vous avez ensuite arrêté ce reproduire ces lettres. Pourquoi ? Est ce que cela devenait un procédé trop systématique ou est ce que l'évolution du personnage plus mature ne collait plus à cette approche ? difficile de maintenir l'ironie ?
Oui c'était tout ça ! Je ne voulais pas que ce soit trop forcé. J'ai mis aussi des cartes postales que j'ai emprunté à des membres de la famille, j'aurais aimé en voler davantage mais ce sont les seules que j'ai réussi à chiper !



-Comment avez-vous pensé l'évolution de Charlie ? De maladroit et naif, il devient ingénieux et assez fin psychologue. Il ne perd pas ses valeurs et ne cède pas à l'accablement malgré la perte de ses amis. Il est pragmatique mais a en même temps de la grandeur d'âme. Est ce que vous diriez que c'est à la fois un héros et un anti héros ?
Pour moi, je dirais que c'est tout à fait un héros plutôt qu'un anti héros ! Son système de valeurs et la façon dont il  regarde la vie reflète vraiment les soldats de l'époque. Ils réprimaient leur sentiment d'opposition à la guerre parce que leur patriotisme et le respect pour le roi et la nation dépassaient leur dégoût pour la guerre. Il [Charlie] devait croire en son pays. Joe croyait aussi en la nécessité du patriotisme. Nous n'étions pas de la même génération et moi, je méprise tout ce qui concerne le patriotisme, surtout dans ce contexte de la guerre.


-Charlie est entouré de nombreux personnages très divers; certains sont terribles et donnent des envies de meurtre au lecteur, je pense au lieutenant Snell ou à La Brute, un policier militaire qui porte bien son surnom. D'autres sont infiniment plus sympathiques. Tous ces personnalités même entrevues parfois rapidement donnent une épaisseur, une densité au récit. Comment avez vous réussi à gérer autant de personnages et de situations différentes ? Aviez-vous dressé un fichier des personnages par exemple ?
Oui, à l'époque tout était sur papier, ça aurait été plus facile à notre époque grâce à Internet j'avais un gros classeur, qui avait de nombreuses pages, et des notes sur tous les personnages.




Les thèmes de Charlie
-Vous abordez des épisodes très durs et écœurants de la guerre, en particulier le traitement inhumain des soldats par leur propre commandement. Je pense à la punition de campagne n°1 administré à Charlie (volume 2), au manque de soin apportés aux soldats renvoyés malades ou blessés au combat, à l'exécution sommaire des "lâches", aux camps d'entrainement à l'arrière où les soldats sont si maltraités que cela provoque une mutinerie, celle d'Etaples dont vous parlez dans ce volume 7. On a souvent l'impression en vous lisant que la guerre dans sa dimension hypocrite et horrifique n'a pas été assez dénoncée ensuite en Grande Bretagne, à savoir que la souffrance des soldats n'a jamais été prise en considération, et que cette guerre n'a pas été suffisamment dénoncée comme une guerre des classes. Vous dites même que certains historiens ont contesté votre récit, que l'épisode de la mutinerie d'Etaples par exemple est à peine reconnue comme un fait par l'armée. Est ce que c'est toujours votre avis ? est ce que l'historiographie en Grande Bretagne n'a pas évolué depuis 20 ans ?

Malheureusement, je dirais presque que c'est pire. Il y a ces quinze dernières années en Grande Bretagne, un mouvement révisionniste d'historiens qui réécrit l'histoire de manière simpliste. Il y a un historien célèbre de la BBC, Jeremy Paxman, sa conclusion est que la Première Guerre mondiale a aidé la classe laborieuse britannique ! Pour moi, c'est proche de la conspiration. Parce que ces gens ont été éduqués à Oxford, à l'université, il y a toujours eu ce genre de mouvement à Oxford en lien avec le gouvernement. Il y a même aussi eu une tentative de réinstituer le général Haig qui était pourtant un boucher et qui appartenait à une secte. Pour moi, c'est inquiétant et dramatique que cela puisse arriver au 21ème siècle.



-Il y a des épisodes particulièrement marquants dans Charlie, peut être parce que très originaux ou peu racontés. Je pense à l'épisode du zeppelin détecté par le vieil aveugle à Londres qui permet d'aborder les bombardements subis par la capitale, ou à cet épisode (dans le vol.6) de la guerre souterraine de Messine où l'on découvre ces fameux "pousseurs de terre" qui creusent des galeries selon la méthode assise ou allongée des ouvriers du métro de Londres. On découvre des détails incroyables de cette guerre. Mais au delà de la dimension pédagogique, on est emporté par le rythme et les personnages. On est immergé comme si on y était. A quoi tient cette force selon vous ? Au rythme particulier, au dessin, à la précision des détails, à l'originalité de ces thèmes abordés ?
Je faisais beaucoup de recherches mais je cherchais particulièrement ce qui allait nourrir l'esprit de ce que je voulais faire. Par exemple j'ai lu un livre de Conan Doyle sur la bataille de la Somme. Qui est d'ailleurs très pénible et dont vous pouvez vous épargner la lecture ! Ca m'a couté l'équivalent de 10 ou 15 livres mais j'en ai tiré un élément : le fait que les soldats allemands étaient sur la ligne de front enchainés à leurs mitraillettes. Probablement pour être sûr qu'ils n'allaient pas s'enfuir, et ensuite parce que c'était considéré comme une arme sale, de destruction massive et capturés, ils auraient été exécutés.
(précision d'un historien dans la salle : lorsque les tranchées étaient prises, on prenait les armes à l'ennemi. Si le soldat était enchainé, il était plus difficile de s'en emparer immédiatement).





L'aspect steampunk de la guerre
-Vous donnez à cette guerre des aspects fantastiques ou rétro futuristes, soulignant combien la réalité dépasse de loin la fiction. Il y a des images marquantes : je pense aux chevaux portant des masques à gaz ou alors vous faites allusion à des machines incroyables comme la machine à creuser des galeries ou encore la machine géante à deux roues pour détruire les tranchées. On est parfois en plein 19ème siècle avec la cavalerie, la baïonnette ou l'aérostat, ou en plein Moyen Age où on se bat avec des pelles et des pioches. Et avec ces images, vous donnez un aspect encore plus cauchemardesque de la guerre. Comment avez vous pris conscience de cet aspect là quasi fantastique ou steampunk de cette guerre ?


C'est une fascination mais tout est authentique ! Lors d'un sondage auprès des lecteurs de Battle, un jeune garçon a critiqué un élément pourtant historique, disant que la bande dessinée était stupide : comment un chien pouvait porter un maque à gaz !! un vétéran de ma famille (de la Seconde Guerre mondiale) m'a aussi fait remarqué que c'était impossible de porter l'armure des soldats, j'ai dû lui montrer des photos pour le convaincre. Dans les magazines de l'époque, on mentionnait aussi ces inventions, ces machines réelles qu'on tentait de fabriquer et qui pouvaient paraitre fantastiques. Et c'est vrai que le style steampunk de Robida (graphiste du 19ème siècle qui a imaginé une guerre du 21ème siècle) était vraiment annonciateur de ce qui allait se passer dans les faits durant cette guerre !



-Dans ce vol.7, il ya un passage assez étonnant qui nous extrait de la guerre de Charlie pour nous projeter dans le monde contemporain avec un personnage de vétéran que Charlie a sauvé (pendant la période où il est brancardier) et qui revient à Ypres en 1982. Pourquoi avez-vous eu envie de mettre en scène ce personnage dans notre monde actuel ?
Je voulais monter l'héritage de la Première Guerre mondiale dans le monde actuel. C'est probablement une de mes scènes préférées de tout le livre, celle que je choisirais car c'est celle qui me touche le plus dans toute l'histoire.



-Pensez vous qu'il y aura encore des choses à raconter sur cette grande guerre, notamment avec l'ouverture des archives militaires prévue en 2017 ?
Je pense qu'il y aura des petites choses mais pas en Grande Bretagne ! La mutinerie britannique, qui a été de même ampleur que celle en France, restera cachée malgré l'ouverture des archives. J'ai trouvé les preuves de cette mutinerie. Les mouvements socialistes étaient très forts en 1917, 1918, 1919 , ils auraient pu donner lieu à une révolution et la Grande Bretagne est passée très près. Mais personne ne veut en parler. Ailleurs en Europe, ils se sont débarrassées de cette royauté puante. Cette racaille royale, [britannique] qui est d'ailleurs allemande, ils ont eu vraiment peur qu'on se débarrasse d'eux aussi. Leur talent, en Grande Bretagne, est qu'ils ont survécu en mentant et racontant des conneries aux gens et ont réussi à rester en place !

En France

-Avant cette édition du label Delirium débutée en 2011, ce récit a été publié en France dans des magazines de petits formats, Bengali et Pirates, chez l'éditeur Aventures et voyages. Mais pour un public assez restreint. A présent, la publication est en album, et parfaitement accompagnée par des dossiers complémentaires très intéressants. Comment avez vous accueilli cette proposition de publication en France ? et êtes vous satisfait de cette édition française ?
Je suis particulièrement satisfait car les volumes sont bien identifiables avec des couleurs différentes qui permettent de bien se repérer, ce qui n'est pas le cas de l'édition anglaise. Et puis, Jacques Tardi a accepté de faire la préface de ce 7ème volume, et j'en suis très honoré !

-Vous avez été invité récemment à l'inauguration de l'exposition Une représentation anglaise de la Grande Guerre au Musée de la Grande Guerre de Meaux où 17 planches originales de Charley's war sont présentées. Comment avez vous trouvé cette exposition ? Que pensez vous que Joe Colquhoun aurait pensé de voir ses planches dans ce musée ? Est-ce une forme de reconnaissance de votre travail qui vous touche ?
Je pense que Joe aurait été ravi. Je suis triste qu'il n'ait pas pu voir ça.
Cette reconnaissance en France est bien plus grande qu'en Grande Bretagne (dans les musées).
Il y a quelques années le musée impérial de la guerre a fait une exposition sur Charley's war; mais rien de plus lors du centenaire. Ils ne peuvent pas montrer quelque chose d'antimilitariste au musée impérial de la guerre qui fait plutôt l'apologie de la guerre. C'est un choix politique. A mon avis, c'est une attitude de la part de l'Establishment envers tout ce qui est contre la guerre. Il y a plus de liberté créative ici qu'en Grande Bretagne. La seule exception, c'est le musée des chars d'assaut dans le Dorset, mais c'est vraiment pour les fans de tanks !




-Vous sous-entendez dans les notes que La Grande Guerre de Charlie n'a pas eu l'impact ou l'influence que vous auriez souhaité sur les auteurs britanniques pour créer de série anti guerre. Vous maintenez cette affirmation ?
La série a eu un impact sur les lecteurs, c'est sur les musées qu'elle n'en a pas eu où il y a une censure. Certains enfants qui lisaient cette série dans les années 80 sont devenus professeurs d'histoire, ils me l'ont écrit, mais j'aurai préféré qu'ils m'écrivent qu'ils étaient devenus anarchistes !!

Questions du public
Quel a été l'impact de la série sur le public ?
Les garçons qui lisaient la série, même si c'était publié dans un magazine de bande dessinée de guerre, disaient qu'ils aimaient ca. J'ai beaucoup d'admiration pour les lecteurs de Charley.Beaucoup de lecteurs se seraient normalement engagés dans l'armée, mais grâce à cette lecture, ils ne l'ont pas fait.

-Vous avez dit que Charley était une bande dessinée pour les filles. Pourquoi ?
En théorie, les garçons préfèrent les histoires où il y a de l'action, pas d'émotion et éventuellement des tuerie ! Mais Charley's War défie cette règle. J'ai auparavant été auteur de bande dessinée pour filles. Celles ci veulent des émotions, des personnages et des histoires où on ne tue pas nécessairement les gens ! Ces bandes dessinées pour filles se vendaient très bien à l'époque , mieux que celles pour les garçons. Mais à cause du sexisme et de l'industrie de la bande dessinée britannique, elles ont disparu. J'ai adapté ce que j'avais appris à faire dans ces bandes dessinées pour filles en terme d'émotions et de caractérisations des personnages et je l'ai transposé dans les bandes dessinée pour garçons. La grande différence au final, c'est que les filles aiment les mystères et les garçons, eux, s'en fichent !














La série se vend-elle toujours bien en Grande Bretagne ?
Oui, elle se vend bien, nous envisageons de faire une série télévisée par une société qui a réalisé des séries à succès ("Call the Midwife" "Appelez la sage femme" et Shameless). Evidemment ce n'est qu'encore un projet... J'essaie d'écrire une autre série sur la Première Guerre mondiale, j'ai un bon dessinateur. Tout devrait bien se passer. Mais c'est très difficile, et j'en suis triste car il ya plein de bonnes histoires encore à raconter sur cette période. Par exemple, ce qui m'intéresse, c'est de dépeindre le rôle de la musique ragtime à cette époque. Pour certains soldats, c'était comme le rock dans les années 60. Ca a été complètement ignoré car les historiens britanniques s'intéressent plus aux armes et aux idées de l'Establishment ! Sur les photos, les soldats britanniques ont l'air de robots; ils sont figés alors que c'est faux de les dépeindre de cette façon. Je voulais montrer que c'était des êtres humains qui aimaient la musique, qui voulaient avoir une vie sexuelle et s'amuser ! Les images de pin ups, tout cela a disparu, tout cela manque ! Comme s'ils n'étaient pas humains.
C'est vrai qu'il ya un dicton anglais qui dit "pas de sexe s'il vous plaît, on est anglais !" c'est très différent de votre culture ! Mais durant la Première Guerre mondiale, en Grande Bretagne, il ya eu une révolution sexuelle plus importante que dans les années 60. C'était presque un instant animal, beaucoup d'hommes allaient mourir, se reproduire était une nécessité vitale. Une fois la guerre terminée, on a mis tout ça de côté ! Plus personne n'en a parlé ! On est redevenu anglais !

Pourquoi La Grande Guerre de Charlie commence en 1916 ?
D'abord parce que la Bataille de la Somme était très importante pour la Grande Bretagne. Ensuite, c'était risqué de faire un récit sur la Première Guerre mondiale, car les britanniques n'allaient pas aimer un récit trop historique. La première partie de la guerre est visuellement plus marquée 19ème siècle alors que le seconde semble plus moderne. C'était donc plutôt pour être sûr que l'histoire marche commercialement, c'était une histoire de visuels. Les casques par exemple évoluent à cette période là, en 1916. Les allemands aussi avaient une sorte de prototype du casque qu'ils auraient pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais si je peux écrire une nouveau récit sur la Première Guerre mondiale, ce que j'espère, je commencerai dès 1914, je parlerai des gaz à Ypres, de Mons...


-Votre série a été publiée dans d'autres pays européens ?
Oui, il ya une édition italienne, en Allemagne, je crois que la Première Guerre n'existe pas trop pour les jeunes. On prétend toujours en Grande Bretagne que la Première Guerre a été une guerre juste. Je suis en lien avec un historien qui démontre que la Grande Bretagne était responsable de la 1ère Guerre, ce livre paraîtra en Allemagne mais ne sera pas vendu en Grande Bretagne, il faut dire que l'historien est écossais !

-Comment la Première Guerre mondiale est enseignée aux enfants en Grande Bretagne ? Elude- t- on certains faits comme par exemple les mutineries ?
Elle est enseignée à l'école et d'une façon tellement intelligente qu'on a l'impression qu'il disent la vérité alors qu'ils ne disent n'importe quoi. Il y a des poètes de cette période et des poèmes très émouvants qui parlent aussi de résistance et de pacifisme. Or, on minimise beaucoup le pacifisme et la résistance à la guerre. Sur la base de données de la fondation Welcome qui détaille la 1ere Guerre, il n'y a que deux articles sur le pacifisme. Je travaille avec une université écossaise pour essayer de mettre en scène la vie d'un pacifiste écossais, John S. Clarke, dont la vie ferait un excellent film. On a besoin de héros pour mettre en scène ces thèmes, pour les mettre en vie. Si vous cherchez cet homme sur internet, vous en verrez les nombreuses possibilités dramatiques. Il a commencé comme dompteur de lion dans un cirque pour finir comme député au parlement britannique ! Et entre les deux, il a dirigé une « ligne de fuite» pour les déserteurs. J'ai beaucoup d'admiration pour lui.

-Quel type de collaboration peu- il y avoir entre un scénariste antimilitariste et un dessinateur patriotique  ? Est ce que ca a toujours été évident, au prix de quel compromis ? Est ce possible d'envisager aujourd'hui une coopération en bande dessinée alors qu'on a des idées si différentes ?
Ceci n'a jamais été un problème avec Joe car c'était un grand professionnel. Il ya des épisodes qu'il n'aimait pas mais il ne s'en est jamais plaint ! Ce serait aussi possible aujourd'hui. La tragédie, c'est que Charley's war a suscité des carrières d'historiens mais pas d'auteurs de bande dessinée. La plupart ne veulent dessiner que du fantastique !

-Y a t-il eu des membres de votre famille qui ont été concernés par la Première Guerre mondiale ?
Mon grand père était un personnage intéressant, il figure dans Charley's War à travers le métier du père de Charley qui est policier. Mon grand père était policier dans un port où il y avait beaucoup de déserteurs, mais il détestait arrêter les déserteurs. Plutôt que de faire ce travail horrible, il a préféré s'engager. C'est fou ! j'aimerai dire comme Tardi que j'ai été inspiré par mon grand père. Mais je pense que c'est plutôt mon attitude anti etablishment qui m'a poussé, c'est ma façon à moi de détruire les images d'autorité que je déteste.




Un dernier mot de l'auteur !
La Hollande, avec la ville de Haarlem, est très intéressée par les planches de Tardi et de Charley's War. Je voudrais parler du rôle de la Hollande durant la Première Guerre qui est très intéressant parce qu'ils étaient neutres et faisaient du commerce avec les deux parties. Un auteur hollandais a écrit un roman "Le vendeur de cocaïne". Il révèle que la Hollande vendait des tablettes de cocaïne à la France, à l'Allemagne, à la Grande Bretagne. Ces tablettes données aux soldats s'appelaient "la marche forcée". Cet auteur hollandais a révélé ce secret, un des derniers de la guerre. Les historiens britanniques ont complètement ignoré ce travail de recherches pourtant impeccable. Cela explique l'héritage horrible de cette guerre : l'addiction, le recours très courant aux drogues dans les années 20 qu'on appelait les Flappers.
(Pour en savoir plus, voir ce lien )

Un grand merci à Pat Mills pour sa gentillesse et disponibilité !

Un très beau portflolio a été réalisé pour la rencontre par la librairie Bulle qui regroupe 11 planches extraites de La Grande Guerre de Charlie, 100 exemplaires numérotées et signé par Pat Mills.



A la libraire 








1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Je me permets de référencer votre article sur comines-warneton.blogspirit.com

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