Interview de Jean-Claude Mézières

Interview réalisée en public lors du café BD du samedi 20 mars 2010, Le Mans. Extraits (une partie de la bande son est hélàs inaudible)


Comment qualifieriez vous votre dessin ? Réaliste ou fantaisiste ?
Je suis incontestablement parti d’un dessin humoristique. Les grands maîtres, ce sont Franquin et Moebius. Mais j’ai aimé mélanger les styles. Mes influences sont diverses. Mon amitié va pour Jijé et son style de dessin que j’ai adoré -grands aplats noirs, personnages réalistes- c’était une tentation. Mais je ne suis pas un dessinateur réaliste et en plus, je n’aime pas dessiner la réalité. Ne me demandez pas de dessiner des bagnoles de courses, des avions, ou des chars d’assaut, c’est pas mon truc ! Par contre, je peux créer des chars d’assaut avec des formes très bizarroïdes. Je crois que mon dessin est au départ humoristique. Mais, pour la réussite de récits où il faut tout raconter, montrer des univers qui n’existent pas, qu’il faut rendre crédible, j’ai été poussé vers un certain réalisme. Mon dessin est donc humoristique qui tend à devenir réaliste ! Chacun exploite ce qu’il a envie avec son propre dessin. On ne dessine pas ce qu’on a envie dans la tête, on dessine ce qui arrive à sortir du crayon !

Est-il vrai que vous vous êtes inspiré pour les traits de votre personnage Valérian du chanteur Hugues Auffray ?
C’est vrai, ce n’est pas une légende ! Mon camarade Giraud s’est inspiré de Belmondo pour son Blueberry. Ca se voit au début. Moi, j’avais trouvé dans un magazine, peut être Salut Les Copains, une double page avec plein de photos du visage d’Hughes Auffray, avec plein d’expressions différentes et des cadrages divers.Ca m’aidait d’avoir ce modèle. Bon, je ne lui ai jamais dit, je ne l’ai jamais rencontré. Il verrait sa gueule dans les premières pages, il ne serait pas content !

J’aime beaucoup certains de vos titres, très évocateurs (Métro Châtelet- direction Cassiopée et Brooklyn Station terminus Cosmos), qui mêle le quotidien et l’inatteignable , le trivial et le rêve sur les étoiles. Comment choisissez-vous ces titres ?
Ah les titres, c’est Christin ! Sauf peut être au départ, je crois qu’il m’avait proposé « Métro Châtelet, correspondance Cosmos ». Je lui ai dit « Ah, ça, c’est trop long » je voyais déjà ça sur la couverture…
Autrefois, le sous-titre mentionnait « une aventure de Valérian, agent spatio-temporel », ce sous titre à partir du vol 40 intègre Laureline. C’est un effet de la parité, une reconnaissance a posteriori de l’importance de ce personnage ou une demande de l’éditeur pour faire les yeux doux au nouveau public féminin… ?
C’est vrai, on a démarré avec « Valérian, agent spatio-temporel ». Quand j’ai fait le bandeau au dessus de la première page de Pilote, je n’avais même pas encore dessiné Laureline. Elle n’existait pas, elle était encore dans l’encrier ! Alors, bien sûr, on n’avait pas d’idées précises. Maintenant Laureline a dépassé le prestige de Valérian qui n’est pas dans le placard mais parfois de côté dans certains albums. C’est tellement plus rigolo de raconter les choses vues par Laureline. Valérian, c’est le brave garçon employé de Galaxity, payé par le gouvernement. Laureline elle, c’est une rebelle et quand elle n’est pas d’accord avec le gouvernement, elle le dit !

La science fiction est un biais détourné mais formidablement stimulant pour parler de notre époque. La grande force de Valérian est d’avoir su amener au cœur même des intrigues des grands sujets de société (menace nucléaire, méfaits du capitalisme, écologie, manipulation des medias, colonisation…). Est ce une bonne définition pour vous de la série et de la science fiction : de l’action, de l’exotisme, de l’étrange, mais aussi de la réflexion, de la critique ?
Ce serait plutôt une question pour Christin ! Mais oui, Valérian aborde des grands sujets de société. Au passage, vous remarquerez une certaine similitude entre les scénarios de Bienvenue sur Aflol et Avatar. C’est exactement la même démarche sur le colonialisme. La science fiction peut effectivement agir comme une force de critique sociale. Mais, c’est pas du militantisme, on va pas monter un mouvement « Valérian et les Verts libèrent les forces nouvelles de la République » !

Vous avez reçu en 1984 le grand Prix de la ville d’Angoulême, ce qui est une reconnaissance importante du milieu de la bande dessinée. Est-ce que ça a changé votre rapport à la bande dessinée ?
Le Prix n’a rien changé pour nous ! A part que vous êtes contents, surtout quand ce sont les pairs, les collaborateurs, les professionnels qui vous le donnent… On peut être aussi Grand Prix et ne pas bien vendre. Ca ne booste pas forcément les ventes. C’est pour ça aussi que ce prix existe : reconnaître les talents et pas forcément les tirages.

L’Ouvre temps clôt la série et une trilogie entamée il y a 8 ans. C’est un peu comme un final de théâtre : de nombreux personnages de la série font leurs adieux dans cette ultime apparition, même si on comprend bien que rien ne finit jamais puisque ce final est aussi une ouverture, et qu’une nouvelle vie s’offre aux deux personnages. Et puis, Christin adapte Valérian en roman, il paraitrait que Besson penserait à un film pour Valérian, la série s’arrête mais une autre vie pour Valérian commence !
Oui, Christin adapte Valérian en roman pour la jeunesse, c’est une demande des éditions Mango. Pierre s’est beaucoup amusé à raconter une histoire inédite avec les personnages qu’on connaît. Pour lui, c’était la possibilité de se mettre dans la tête des personnages au cours de l’action. Dans un scénario de bande dessinée, on montre d’abord ce que font les personnages. Là, il peut se permettre de rentrer dans la tête des personnages. Serge Lehman, un scénariste de SF très connu en France s’attaque à écrire une histoire de Valérian pour le second numéro de cette collection.
Quant à une adaptation filmique, vous savez tout le monde peut dire « j’ai des projets de cinéma » et puis, c’est comme en cuisine, vous sortez le soufflé et y a plus rien ! Bon, Besson a acheté les droits de Valérian il y a deux ou trois ans. Il construit des bureaux gigantesques du côté de St Denis, ce serait bien qu’il puisse y tourner là Valérian ! Mais on n’en sait pas plus…
Sinon, que des dessinateurs s’accaparent l’univers de Valérian pour le raconter à leur manière, ça c’est un acte de création. Ce qui est autre chose que de reprendre la série. Il y a des dessinateurs qui ont envie que ça continue longtemps malgré eux. Moi, je n’ai pas envie de laisser un dessinateur maltraiter Laureline même si je suis six pieds sou terre !

Questions du public
Que pensez vous de la bande dessinée numérique ?
Je ne vois pas l’intérêt d’une bande dessinée sur un écran d’I-pod beaucoup trop petit. Ce qui serait intéressant, c’est d’inventer une nouvelle forme de narration adaptée à l’outil. Mais mon goût, c’est la bande dessinée : les grandes tartouilles où votre œil se balade !

Quels sont vos auteurs préférés ?
Un dessinateur blanchi sur le harnais n’est pas un lecteur lambda. Quand je regarde une bande dessinée, je lis et pense en tant que dessinateur. Je ne suis pas dans un désir de lecture ! Ceci dit, j’aime Morvan et Moebius, Druillet et Bilal. C’est vrai qu’à présent, il y a beaucoup de récits de SF, ce qui n’était pas le cas il y a 40 ans.

Envisageriez vous de collaborer avec d’autres auteurs ?
C’est assez difficile pour moi. Je n’ai jamais eu d’assistant pour me seconder. Pour moi, le fantastique ou la SF, c’est une création personnelle. C’est pourquoi je ne suis pas content quand Monsieur George Lucas vient regarder un album pour reprendre un truc. Quand je dessine un astronef, je n’ai pas été le recopier dans un catalogue de Manufrance. Sinon, mélanger les talents, c’est difficile.

Pour en savoir plus sur comment Georges Lucas a pillé Valérian pour la Guerre des Etoiles, voir les nombreux articles sur le net à ce sujet.
Présentation de l'auteur lors de sa venue au Mans, cliquer ici

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