Rencontre
avec Etienne Davodeau, auteur de bande dessinée, Benoît Collombat, journaliste à
France Inter, Francis Renaud, fils du juge Renaud et Frank Bourgeron, directeur
de La Revue Dessinée dans laquelle est
publiée
La mort d'un juge.
La mort d'un juge.
Rencontre
organisée par la librairie Bulle le vendredi 3 octobre 2014, au Mans, dans le cadre
de la 25ème heure du livre. Animée par Agnès Deyzieux.
La
rencontre a débuté avec Frank Bourgeron,
rédacteur en chef de la Revue Dessinée,
un magazine trimestriel, crée en septembre
2013 et qui propose reportages, documentaires et enquêtes en bande dessinée sur
des sujets très divers. C'est dans la revue que paraît La mort d'un juge, l'enquête
d'Etienne Davodeau et Benoit Collombat. Mais l'enregistrement n'ayant pas
correctement démarré, nous ne pouvons livrer que les dernières minutes de cet
entretien. Toutes nos excuses...
A.D. La revue a été bien accueillie par le public et ce, dès son lancement puisque le n°1 a été vendu à plus de 20 000 exemplaires et que les abonnements à présent assure une certaine stabilité à la revue. Savez-vous comment la presse elle même, la presse sérieuse, d'investigation ou de grand reportage a accueilli votre naissance et votre succès, vu le regard souvent un peu condescendant porté sur la bande dessinée perçue souvent comme un moyen d'expression pas très sérieux ?
F.B. Je ne crois plus à cela ! Les générations qui arrivent maintenant ont été formées avec ça, c'est de moins en moins vrai cette histoire de considérer la bande dessinée comme un ghetto... Je me trompe peut-être mais je ne crois pas ! On a été très bien accueilli partant du principe que la presse aime bien parler de la presse ! Et puis, sans nous jeter des fleurs, on essaie de faire pour le mieux et il y a un intérêt des journalistes pour une forme renouvelée du discours journalistique, c'est une corde supplémentaire à leur arc et du coup, il y a cet attrait.
F.B. Je ne crois plus à cela ! Les générations qui arrivent maintenant ont été formées avec ça, c'est de moins en moins vrai cette histoire de considérer la bande dessinée comme un ghetto... Je me trompe peut-être mais je ne crois pas ! On a été très bien accueilli partant du principe que la presse aime bien parler de la presse ! Et puis, sans nous jeter des fleurs, on essaie de faire pour le mieux et il y a un intérêt des journalistes pour une forme renouvelée du discours journalistique, c'est une corde supplémentaire à leur arc et du coup, il y a cet attrait.
A.D. Pensez- vous
que votre public est surtout composé
d'amateurs de bande dessinée, celui qui a suivi depuis les années 90 les
mouvements de la bande autobiographique et de reportage ou est-ce un public qui
cherche une presse avec une approche différente, décalée ou approfondie, qui
s'intéresse par exemple à des revues comme la revue XXI et ce serait donc un
public plus diversifié que le seul lectorat de la bande dessinée ?
F.B. : Oui, c'est
bien ça. On est parti de notre clientèle de base, les lecteurs de bande
dessinée. On a distribué en librairie bd et en librairie généraliste, et puis la surprise, c'est que l'accueil en
librairie généraliste s'est très bien passée et on pense toucher un public qui
est bien au delà du lectorat de bande dessinée. Mais pas suffisamment encore ! C'est là que le travail doit se faire, on doit aller chercher dans des publics
nouveaux. La bande dessinée est un outil formidable pour appréhender des choses
complexes, vu également le peu de temps dont on dispose pour comprendre de
nouveaux sujets. Et puis pour donner une vision différente des choses. Le
dessin est un exercice formidable de distance, d'interprétation;
d'explication...
A.D. Pouvez-vous nous
dire, Etienne Davodeau et Benoît Collombat, comment
vous êtes-vous rencontrés ? Est ce que vous vous connaissiez avant ? Et
comment est venue cette idée de collaboration de travail pour La Revue Dessinée ?
B.C. Alors, l'idée initiale vient de La Revue Dessinée puisque Franck Bourgeron
parlait précédemment de la formation de couples d'auteurs et de journalistes,
donc ça s'est fait comme ça, tout simplement. En ce qui me concerne, je ne
connaissais pas personnellement Etienne Davodeau mais je connaissais son
travail et l'idée m'a tout de suite emballé. C'est-à-dire je connaissais le
travail d'Etienne, la façon qu'il avait très fine de décrire le réel puisque
c'est un des premiers dans la bande dessinée qui a donné ses lettres de
noblesse à la bande dessinée documentaire, le reportage... je ne sais pas
comment il faut appeler ça. Il se mettait en scène mais d'une façon qui n'était
pas artificielle pour donner des éléments de compréhension aux lecteurs. Donc,
tout de suite, je me suis dit que ce serait un moyen formidable, sur ce sujet
là, qui était la violence politique dans les années 70, de donner à voir une
réalité peu connue, en tout cas pas très abordée. C'est un sujet qui me
passionne, sur lequel j'ai déjà travaillé. Donc voilà, donner à voir ce sujet et
construire quelque chose, en apportant chacun nos sensibilités, moi, j'ai tout
de suite dit oui !
E.D. Un peu symétriquement, je ne
connaissais pas Benoît Collombat personnellement mais je connaissais son
travail puisque, comme beaucoup d'auteurs de bandes dessinées, je travaille
avec la radio allumée. Du coup, je connaissais d'une part son travail de journaliste
radio et d'autre part, j'avais lu aussi ce formidable bouquin sur le suicide,
entre guillemets, de Robert Boulin, un très gros livre, un somme assez
sidérante, qui se lit comme un polar sauf que c'est une histoire vraie ! Je
suis resté avec cette idée forte que ce genre d'histoires peut créer des choses
extrêmement percutantes.
Et puis voilà, quand Franck et ses camarades ont créé La Revue Dessinée, ils se sont un peu
approchés de moi. Il se trouve que je fais de la bande dessinée documentaire
depuis une petite quinzaine d'années maintenant et du reportage documentaire,
on verra les terminologies exactes qu'il faut employer, je ne suis pas très au
point là-dessus moi-même ! Toujours est-il qu'ils m'ont proposé cette idée. On
s'est retrouvé dans un restau à Paris un jour glacial de janvier 2013 et puis,
au cours du repas, on a pris la décision de faire le bouquin. Ce qui est très
rare chez moi, car je suis un gars très hésitant, très lent à démarrer sur un
projet. A l'entrée, c'était juste une idée et au dessert c'était carrément un
projet, ce qui est assez sidérant ! J'avais très envie tout de suite de me
lancer. Car ce sont des sujets qui parlent beaucoup à ma génération. Je suis né
dans ces années 60-70, précisément en 65.
J'ai déjà fait un livre sur cette
période là Les Mauvaises Gens, dans
une veine très autobiographique, c'était l'expérience du milieu dans lequel
j'ai grandi. Là, je trouvais l'occasion de revenir sur cette période mais sous
un angle plus général, plus politique, plus national et surtout sous un angle
que les gens plus jeunes que nous ne connaissent pas forcément et qui sont
utiles de raconter. Donc voilà, très vite j'ai dit oui. Benoît et moi avions
des travaux en cours, ce qui nous a empêché de démarre immédiatement mais dès
qu'on a pu, on s'y est mis et voilà la première partie du travail !
A.D. La mort d'un juge, c'est le titre de ce reportage de 59 pages,
publié dans La Revue Dessinée,
reportage au cours duquel on va découvrir à quel point l'enquête sur
l'assassinat du Juge Renaud, abattu le 3 juillet 1975, a été mal menée, peu
approfondie pour aboutir 20 ans plus tard sur un non-lieu. Je voulais souligner
pour le public que ce reportage n'est que le premier épisode d'un projet
beaucoup plus vaste, que le second épisode sera publié dans La Revue Dessinée et que le tout sera au
final publié en bande dessinée. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce
projet global consacré à la violence politique en France dans les années 70 de
façon à ce qu'on comprenne en quoi l'affaire du Juge Renaud en est l'amorce ?
Et pourquoi également avoir choisi de publier cet épisode dans La Revue Dessinée plutôt que de sortir
directement un album ?
B.C. Ce projet est prévu pour 2015 chez
Futuropolis et s'appelle pour l'instant Cher
pays de notre enfance, vous entendrez sûrement l'ironie de ce titre... Ce
livre sera consacré à la violence politique et il y aura plusieurs chapitres. Le
Juge Renaud, c'est le premier chapitre. Il est emblématique parce que c'est le
premier juge d'instruction assassiné depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous en
parlerons au cours de ce débat, ce n'était pas n'importe quel juge, il
n'enquêtait pas sur n'importe quel dossier. Il grattait vraiment là où ça
faisait mal, où ça pouvait déranger, très très haut. Symboliquement, c'est la République
qui est attaquée quand on tue un juge, de la même façon que lorsqu'on assassine
un préfet des années plus tard ou quand on assassine un ministre de
la République. Donc, c'est très fort de partir déjà sur ce premier postulat.
Couverture de l'édition spéciale réalisée par la librairie Bulle |
Ensuite, on va décliner toute cette ambiance dans d'autres chapitres. On parle
notamment du service d'action civique, le SAC, qui était le service d'ordre du
parti gaulliste créé à la fin des années 50 et qui a dérivé vraiment dans une
espèce d'organisation mafieuse violente, criminelle, qui a commis de nombreux
homicides, les officiels et puis les officieux. C'était donc une organisation
qui était véritablement infiltrée par des truands, des hommes de main, qui a
rendu d'éminents services au régime gaulliste. C'était vraiment une sorte
d'Etat dans l'Etat, avec des complicités au sein de la police, au sein de la
magistrature. Quelque chose d'extrêmement puissant et qu'on retrouvait dans de
nombreuses strates de la société et qui, évidemment ne peut pas ne pas avoir
des effets sur la société française toute entière et aujourd'hui encore, il y a
un peu une omerta autour de ce sujet-là. Il y a eu une commission d'enquête au
début des années 80 à la suite d'un massacre, la tuerie d'Auriol en 1981 à
Marseille. Une famille à été massacrée dans des conditions effroyables, une
famille liée à un chef local du SAC justement. A la suite de ce massacre, la
gauche qui venait d'arriver au pouvoir a lancé une commission d'enquête et le
SAC a été interdit.
Cet épisode sanglant clôt toute cette période chronologique
sachant qu'au même moment, il y a un deuxième juge d'instruction, le juge
Michel, qui est assassiné à Marseille alors qu'il enquêtait sur le trafic de
drogues, la French Connection. On va également parler des milices patronales qui
essayaient de reprendre en main le syndicats considérés comme étant trop à
gauche, sachant que la CFDT, c'était déjà beaucoup trop à gauche ! Puis on va
reparler bien évidemment de l'affaire de l'affaire Boulin.
A.D. Donc, il y a vraiment aussi dans vos
motivations une dimension pédagogique. Vous montrez qu'il y a une continuité
finalement de cette époque avec la nôtre, à travers la criminalisation des
affaires financières.
B.C. L'idée, c'est vraiment d'aller à la
rencontre des témoins, de sortir les documents. C'est une enquête vraiment
menée à deux, pas un parti pris. Après, on a notre regard, chacun peut avoir le
jugement qu'il veut sur cette période. L'idée, c'est juste de dire que voilà,
c'est une page de notre histoire qu'on ne veut pas regarder, qu'on ne veut pas
lire tout simplement, et si on veut la tourner, peut-être faut-il déjà
commencer par la décrire, par la lire.
Le point de départ, c'est aussi de se
dire qu'il y a eu de nombreux ouvrages sur la violence en Italie, les années de
plomb, c'est une période absolument effroyable. Je viens de lire les mémoires
d'un des derniers juges d'instruction antimafia, Robert Scarpinato, un des
derniers survivants de cette période là qui raconte les légions de morts de
tous ceux qui ont essayé de s'opposer à la mafia, c'est hallucinant !
Evidemment, la violence en Allemagne également. Mais nous aussi, en France,
dans un autre contexte, avec d'autres personnes, il y a eu cette violence, une
violence d'extrême droite. Une cinquantaine d'assassinats politiques (au sens
large) en France ont été recensés dans les années Giscard (cf Histoire secrète de la Vème République, Ed. de la Découverte, 2006).
Donc, il y avait ce point de départ pour nous. Et puis, d'un point de vue
générationnel aussi, puisque ce sont des années qui nous concernent, dans
lesquelles on est né.
A.D. Lorsqu'on
travaille sur une affaire aussi complexe que celle du juge Renaud, qui met en
cause de nombreuses personnes et beaucoup d'informations, on amasse forcément
une documentation considérable. Comment faire
le tri de ce qui est important ou pas quand on doit réaliser 58 pages de
bande dessinée ?
E.D. Eh bien, ça
prend du temps, c'est un travail de longue haleine mais qui m'intéresse
vraiment ! Concrètement, on va à la rencontre des témoins de l'époque, des gens
qui peuvent nous parler au plus près de ce qui s'est passé, c'est la cas de
Francis qui sera légitime pour nous parler dans ce premier chapitre. Ensuite,
on revient sur ce qu'on a ramené comme informations et ensemble, on essaie d'en
extraire la substantifique moelle ! Une fois à ce stade là, celui de la
synthèse, de l'écriture, de la sélection, il faut dessiner les séquences, ce
qui est mon job ! Quand j'ai dessiné les séquences, je les repropose à Benoît,
on en reparle, et c'est un travail d'aller-retour.
B.C. Ce qu'amène
aussi Etienne, l'envie qu'il avait et que je partage, c'est d'écrire les
coulisses de l'enquête, par pour le plaisir mais pour amener du sens à tout ça.
c'est un point sur lequel, en tant que journaliste, on est frustré. Il y a des
sites d'infos comme Mediapart qui font ça, ils appellent ça la boîte noire où
ils racontent le contexte : a-t-on du mal à rencontrer des gens, les portes se
ferment-elles ? Ça donne des éléments intéressants au lecteur. Et donc là, on
s'était dit ça dès le début. C'est intéressant les refus, c'est aussi intéressant
que les personnes qui acceptent de vous parler ! Les difficultés qu'on peut
rencontrer dans le cheminement de l'enquête, pour avoir accès à certains
documents, tout cela fait partie de l'enquête !
A.D. Avez-vous hésité sur la forme de votre enquête ?
Pour vous, c’était évident qu’on vous voit sur le terrain en train d’interviewer
des témoins clés? N’avez-vous pas été tenté de glisser des passages
documentaires ou biographiques mettant en scène le juge par exemple ?
B.C. Evident, pour
moi non ! Pour Etienne, oui ! C'est la première question qu'il m'a posée lors
de ce fameux déjeuner : ça te dérange si je te dessine ? Evidemment, c'est un
point d'appui narratif, ça a du sens, ce n'est pas juste pour se montrer dans
la bande dessinée ! Ce n'est pas vraiment nous, ce sont nos avatars de
personnages de bande dessinée. Mais en même temps, c'est vraiment nous, les
situations sont réelles, j'enregistre les entretiens, puis on les travaille
avec Etienne, c'est au plus proche du réel. Après, c'est la tâche d'Etienne de
remettre ça dans le récit avec les personnages.
F.B. C'est à la
fois un reportage, un reportage sur l'enquête et c'est un documentaire. La
structure narrative qu'ils ont mis en place est intéressante car elle permet de
la profondeur. On a les deux journalistes sur les pages, on a les dialogues, ça
permet de se poser certaines questions, de changer de niveau, de plan. C'est
une structure narrative compliquée.
A.D. Dans cette
introduction, Etienne Davodeau, il
semble que vous jouez le candide pour aider le lecteur à entrer dans ce
contexte, sans même trop masquer l'artifice. Vous posez les questions simples
auxquels Benoît Collombat a toujours réponse. A un moment vous dites même
"tu peux nous rappeler ce qu'était le Sac? " le nous, c'est évidemment
nous, les lecteurs. Il semble
qu'ensuite, vous allez prendre un peu plus d'assurance dans le couple, en tout
cas faire moins le naïf et devenir autant enquêteur qu'interlocuteur de Benoît
Collombat. Est-ce seulement une astuce
narrative d'introduction pour accompagner le lecteur ou est ce que cela
reflète une réalité vécue ?
E.C. C'est
absolument les deux ! Sur le sujet dont on parle, je ne sais pas depuis combien
d'années Benoît travaille là dessus, mais il est clair qu'il a quelques longueurs d'avance sur moi. Il a les références, le déroulement historique de tout ça.
Moi évidemment, je me documente, je lis beaucoup. Il m'a donné une
bibliographie qui dépasse cette hauteur là, sur ma table, j'apprends plein de
choses. Mais en même temps, je tiens à garder cela, c'est à dire que, quand on
va voir quelqu'un et qu'on parle d'une situation, je suis celui des trois qui
en connais le moins. Ça me donne un inconvénient, je suis moins armé pour
discuter, je pose parfois des questions un peu neuneu mais ca me donne un petit
refuge latéral où j'observe plus facilement ce qui se passe.
C'est à dire que
quand j'assiste à la discussion entre Benoît et l'interlocuteur, j'ai une
position d'observateur qui est à la fois partie prenante du récit et en même
temps, je me demande comment je vais raconter ça. Telle chose ne concerne pas
directement le récit mais je vais l'utiliser, ca fait qu'on est assez
complémentaire là-dessus. C'est presque le procédé que j'ai utilisé dans Les Ignorants où je suis allé chez un
camarade vigneron, en lui disant : voilà
je ne connais pas le vin, fais-moi goûter, fais- moi travailler, fais-moi
découvrir. C'est une posture très fertile !
A.D. Durant cette
enquête, vous allez rencontrer huit personnes;
pour certains des témoins clés qui, pour la plupart n'ont été entendu dans
le cadre de l'enquête que 6 à 10 ans après les faits. Il y a le journaliste Robert
Daranc, ami du juge, Yves Boisset, réalisateur du film Le Juge Fayard qui s'inspire de cette affaire en passant par le Commissaire Richard, chargé de
l'enquête, la greffière du juge
Renaud, pour clore avec Francis Renaud,
son fils. Comment s'est effectué le
choix de ces personnes à interroger ? Ont-elles toutes accepté facilement
de témoigner sur cette période ? Comment ont-elles réagi à votre projet ? On sent par exemple que le premier,
Robert Daranc, est un peu dubitatif sur la forme documentaire en bande
dessinée...
E.D. C'est
typiquement l'exemple dont je parlais tout à l'heure ! On rencontre une
personne qui a dans les 80 ans, qui n'est pas habitué à la lecture de bande
dessinée. Benoît se présente comme journaliste, pas de problème. Je me présente
comme auteur de bande dessinée. Là, il lève un sourcil. Et quand on lui
explique qu'on fait un reportage en bande dessinée, voilà autre chose ! C'est
légitime ! Donc là, c'est typique de l'enquête, on parle du contexte, d'un
objet narratif en train de se créer...
B.C. La plupart des
personnes ont accepté facilement, mais il y a eu quelques réticences. Comme la
greffière, on le voit dans le récit, elle ne souhaite pas qu'on voit son
visage, comme une autre personne d'ailleurs. C'est intéressant car on peut
utiliser la bande dessinée pour raconter cela tout en lui donnant un autre
visage, donc le problème est résolu ! Sinon, la plupart des personnes ont non
seulement accepté mais ont même considéré que c'était de leur devoir de le
faire. Et là, on rejoint le fond de l'affaire, par rapport à ce qui s'était
passé. Certains étaient très proches du juge, avaient un immense respect pour
lui et vis à vis de son travail. Ils considèrent que c'est un véritable déni de
justice ce qui s'est passé avec l'enquête notamment, ce qui est paradoxal pour
un juge. Donc oui, la plupart des personnes se sentaient très investies et
ensuite, quand on leur a présenté le résultat, il n'y a pas eu de problèmes à
quelques petits détails près, de réglages.
A.D. Tous les
témoins interrogés sauf un, le
commissaire Richard reconnaissent ou affirment que le juge a été tué car il
approchait de trop près le lien entre
milieu politique, Sac et milieu du gang des lyonnais. Ce
commissaire Richard, vous allez le cuisiner et vous le montrez nerveux ou
silencieux en particulier lorsque vous lui mettez sous les yeux le rapport de
son enquête. Il a éliminé, l'hypothèse de la vengeance personnelle, qu’il
commente, l'hypothèse de la vengeance à caractère politique sans aucun
commentaire comme vous le soulignez, pour se diriger vers la troisième
hypothèse, celle qui sera au final retenue : celle des truands voulant se
débarrasser d'un juge trop tenace ou sévère dans le règlement des affaires
criminelles. Vous l'interrogez sur une
phrase de son rapport, "c'est
dans cette voie que l'enquête était orientée", phrase que vous mettez
en exergue dans la case avec sa typographie d'origine extraite du rapport.
Qu'est ce qui vous gêne dans cette phrase ? La façon dont elle est
formulée ? Est-ce que vous attendez qu’il complète qu'elle était orientée
par quelqu'un ? Ou qu’il prenne simplement conscience que vous n’êtes pas dupes
d’un certain parti pris qu'il aurait eu ?
B.C. Le commissaire Richard, c'est donc le policier
qui a travaillé avec le juge Renaud, dont il était assez proche et qui ensuite
a mené l'enquête sur son assassinat. Effectivement, lui, il est catégorique, il
écarte la piste politique. Sauf que dans sa propre enquête, il y a des éléments
qui allaient dans ce sens là. De nombreux témoins qui auraient pu aller dans ce
sens là ne l'ont pas été, comme Robert Daranc... Ce qui était intéressant,
c'était de voir sa réaction. On a passé beaucoup de temps avec lui, il nous a
retracé toute sa carrière.
Dans ce genre de dossier, il faut connaître le
dessous des cartes, surtout à l'époque. Pour planter un peu le décor, c'est une
période très troublée, Lyon est la capitale du crime, une des bases arrières du
Sac, ce fameux mouvement qui est en train de dériver. Lui a connu la guerre
d'Algérie, a rencontré une partie des truands qu'on retrouve au sein du Sac.
Cette histoire est indissociable de la guerre d'Algérie, des barbouzes, des
milieux interlopes, des membres du Sac utilisés en Algérie pour lutter contre
l'OAS, qui ont rendu des services, qui ont été protégés ensuite en revenant aux
affaires, qui tiennent les tables de jeux, les trafics illégaux, protégés par
la police... Le commissaire connaît tout ça, il sait aussi -ça fait partie des
révélations, j'ai été aussi le premier étonné- il sait que le juge travaille
sur cette piste. Il nous le dit lui-même.
Le juge Renaud enquête sur une série de braquages du gang des Lyonnais, un gang à la pointe, qui a fait une cinquantaine de braquages au début des années 70 avant de se faire arrêter en 1974. A la tête de ce gang, il y avait Edmond Vidal, dit Momon. Le juge s'intéresse en particulier à un braquage, celui de l'Hôtel des Postes de Strasbourg en 1971, un butin monumental de 11 millions de francs de l'époque. Un an plus tard, il y aura un autre braquage à Mulhouse, avec un butin quasi équivalent. Il se demande s'il y a un lien entre le braquage de Strasbourg où il y aurait eu d'ailleurs des complicités à l'intérieur et il se demande si cet argent ne va pas dans les caisses du parti gaulliste. Il commence à reconstituer les pièces du puzzle. Evidemment, c'est très dérangeant. Et le juge en parle au commissaire. Mais lui, il balaie ça d'un revers de main. On lui pose la question plusieurs fois et quand on essaie de rentrer dans les détails, il ne veut pas en entendre parler.
Le juge Renaud enquête sur une série de braquages du gang des Lyonnais, un gang à la pointe, qui a fait une cinquantaine de braquages au début des années 70 avant de se faire arrêter en 1974. A la tête de ce gang, il y avait Edmond Vidal, dit Momon. Le juge s'intéresse en particulier à un braquage, celui de l'Hôtel des Postes de Strasbourg en 1971, un butin monumental de 11 millions de francs de l'époque. Un an plus tard, il y aura un autre braquage à Mulhouse, avec un butin quasi équivalent. Il se demande s'il y a un lien entre le braquage de Strasbourg où il y aurait eu d'ailleurs des complicités à l'intérieur et il se demande si cet argent ne va pas dans les caisses du parti gaulliste. Il commence à reconstituer les pièces du puzzle. Evidemment, c'est très dérangeant. Et le juge en parle au commissaire. Mais lui, il balaie ça d'un revers de main. On lui pose la question plusieurs fois et quand on essaie de rentrer dans les détails, il ne veut pas en entendre parler.
A.D. Et ça ne vous
questionne pas ?
B.C. Oui, mais on
laisse aussi le lecteur juge, c'est ça qui est intéressant dans l'exercice,
c'est qu'on fait confiance à l'intelligence des lecteurs.
A.D. Francis
Renaud,
vous apparaissez dans la bande dessinée comme le dernier témoin interviewé.
Quel effet ça fait de se voir ainsi, dans une bande dessinée? Et de façon plus
large, comment avez vous accueilli le projet de cette bande dessinée ?
F.R. Oh, se voir dans une bande dessinée, c'est vrai que l'on
ne ressemble jamais réellement à ce que l'on est ! Mais l'essentiel est
d'accéder à la vérité, de remuer les vraies raisons de cet assassinat. Je ne
dis pas cela pour vous flatter mais j'ai trouvé ce récit remarquablement construit
et cohérent. Et surtout, vous prenez position. Le problème dans l'assassinat de
mon père, c'est que très rapidement, il y a eu deux thèses. Les assassins de
mon père ont été identifiés très rapidement. Dans les deux jours qui ont suivi son assassinat, des
gens qui étaient des indicateurs sont venus parler à la police, ils ont donné
des noms. Un homme s'est présenté le lendemain, quinze jours après c'était un deuxième, trois semaines après,
c'était un troisième. Leurs informations se recoupaient assez bien. Donc, la
police a su très rapidement. Mais par contre, l'enquête s'est arrêtée très brutalement.
Il était question de trois hommes, des tueurs à gage, qui n'ont pas été arrêtés
ni interrogés. Or, l'un d'entre eux a été éliminé dans des conditions troubles.
A partir de là, l'enquête s'est arrêtée. L'instruction judiciaire de son côté était incohérente avec une
succession de magistrats qui avaient l'air de se repasser le dossier, ils se
repassaient la patate chaude comme on dit vulgairement. Très rapidement, il
s'est avéré qu'il y avait une thèse politique, très crédible et compliquée et
puis, il y avait une thèse simple, l'assassinat crapuleux par le milieu. La thèse politique a été assez crédible
dans les années qui ont suivit l'assassinat de mon père, des années avec des
combines financières, et l’existence du Sac. Un sujet complètement tabou mais
dont on en parlait malgré tout, il y a avait quand même des journalistes
engagés. Et surtout, il y a eu Yves Boisset, un cinéaste qui a fait un travail
remarquable.
Dans les six mois qui ont suivi l'assassinat de mon père, lui, il
a eu l'intuition que c'était une affaire politique. Il est venu sur le terrain.
C'est assez paradoxal d'ailleurs car c'est la seule personne qui a vraiment
fait une enquête sérieuse et ce n'est pas un policier. Il a fait ce film
remarquable, Le juge Fayard dit le Shériff avec Patrick Dewaere, qui a une certaine
ressemblance physique avec mon père. Mais Boisset fait de ce juge un juge rouge,
ce que n'était pas mon père. C'était un juge de gauche mais ce n'était pas un
juge politisé, c'était un personnage tout en contrastes.
Collection BML, Fonds Lyon Figaro |
En tout cas, sur le
fond de l'affaire, il a complètement démantelé ce scénario de l'assassinat
politique : un juge intègre comprend que le gang qui domine la scène
criminelle de l'époque se met au service du pouvoir pour financer ses campagnes
électorales, il est menacé, il tient tête et il est tué. Ça, c'est exactement
l'histoire de mon père et c'est la thèse du film brillamment énoncée. Mais au
fil du temps, cette thèse est oubliée, parce que des informations se succèdent
et l'affaire est passée aux oubliettes. Et puis l'impunité elle-même, qui ouvre
la porte à toutes les hypothèses. L'affaire de mon père a été classée sans
suite au bout de 17 ans de procédure, affaire non résolue officiellement. On
n'a jamais pu identifier ni les auteurs, ni les commanditaires, ni les mobiles. On
a jamais voulu savoir en fait qui étaient les commanditaires. On a éliminé un
homme, ce truand qui s'appelait Marin qui avait peut être la clé de cette
affaire.
B.C. Par rapport au
film de Boisset, je voudrais insister sur le fait qu’il sort en 1977, très
vite. Premièrement, Boisset s'est extrêmement documenté. Il sera entendu par la
commission d'enquête parlementaire au début des années 80, un peu comme un
spécialiste, et c’est vrai qu’il a rencontré des gens du milieu à l'époque. A
tel point qu'il est entendu par les juges qui sont en charge d'instruire
l'assassinat du juge Renaud parce que dans son film, il indiquait des choses
qui n'étaient que dans le dossier d'instruction. Par exemple comment le juge
est tombé, qui l’a renversé, des choses qui étaient au plus près de la réalité !
Les juges étaient extrêmement troublés. Et deuxième point, les menaces. A
l'époque il en coûtait de s'intéresser à ces sujets. Alors qu'en même temps, il
y avait, là aussi c'est un peu paradoxal, une littérature militante assez
importante et assez documentée sur le sujet. Et c’est ce que nous raconte
Boisset : les menaces de mort, le fait qu’il a dû partir à l'étranger pour
faire protéger ses enfants, etc. Ce n'est pas une petite chose.
F.R. Merci pour ce complément. Je voulais
dire aussi c'est que c’est une "affaire classée sans suite" et là est
le problème. Devant la chose jugée, on s'incline. Devant la chose non jugée, on
se pose des questions, et on peut imaginer toutes sortes d'hypothèses. Et mon père était en plus une personnalité assez forte, flamboyante, un paradoxe
vivant, qui prêtait le flan à la critique. A la limite, il devenait presque le
coupable, parce qu'il avait des méthodes non orthodoxes. Finalement, il faisait
l'objet d'une revanche plus ou moins normale. J'ai entendu toutes sortes
d'aberrations sur la thèse de l'assassinat de mon père et sur sa personnalité
également… Donc, la thèse politique a été oubliée. Un jour, après tout un
cheminement, j'ai décidé d'écrire un livre sur mon père, chose que je me
croyais bien incapable de faire pendant de nombreuses années. Car c'était une
affaire très médiatique au départ, des journalistes, des cinéastes s'emparent
de cette histoire, je n'avais rien à dire. Et puis, des années plus tard, j'ai
trouvé le besoin de réparer cette injustice et de parler de qui il était
véritablement. Je raconte cela non pas pour parler de mon bouquin mais pour
évoquer la façon dont j'ai rencontré Etienne et Benoît, la façon dont je me
suis retrouvé associé à votre projet.
Au départ, j'ai voulu surtout rétablir la
mémoire de mon père et montrer quel homme il était. C'est cela qui m'a amené à
faire mon travail d'enquête, parce que je ne suis pas enquêteur, a fortiori, et
étant son fils, on peut penser que je ne suis pas objectif. Mais l'homme dans
sa vérité est indissociable de l'affaire de son assassinat. Si on prend la
thèse simple, règlement de compte ou revanche du milieu, d'un voyou humilié,
et bien là, on voit un magistrat assez ordinaire, qui était peut-être borderline à la limite. A l'inverse, si on prend la thèse politique, là, on voit un
homme qui a affronté un système corrompu, qui a été menacé, qui a tenu tête et
qui en est mort. J'ai été amené à aller assez loin dans cette enquête. Et de
fil en aiguille, à faire un parallèle avec l'affaire Boulin.
Robert Boulin |
A.D. Et est-ce que vous croyez qu'un
jour vous pourrez connaître la vérité, en avoir les preuves du moins ? Est-ce
que par exemple Edmond Vidal pourrait
avouer son rôle éventuel dans cette affaire ou est-ce qu'il faut définitivement
faire son deuil de la vérité ?
F.R. Je pense que des gens parleront
avec le temps. D'ailleurs, il l'a déjà fait, Edmond Vidal. Vous savez qu’il y a
eu un film sur le gang des Lyonnais, d’Olivier Marchal, dans lequel, avec son
approche à lui de cinéaste, il a héroïsé Edmond Vidal. C'est son choix, c'est
le choix du public. Moi, ça m'a fait réagir dans mon livre, non pas que je
veuille donner une leçon de morale aux gens pour leur dire "vous n'avez
pas le droit d'héroïser un voyou", mais je ne voulais pas que dans tout
cela, on oublie cette réalité sordide, à savoir l'assassinat d'un magistrat. En
tout cas, lorsque le film est sorti, Edmond Vidal se trouvait sur un plateau
télé d'une émission de Michel Drucker et là publiquement, il a dit : ben
oui. On l'a questionné sur ce fameux holdup, qui ironiquement, devient pour
beaucoup de gens, friands d'histoire de truands, un objet de fascination. Le
casse du siècle, c'est merveilleux. Alors qu'en fait, c'est une opération
télécommandée par certaines personnes au pouvoir. Et donc, on l'a questionné
sur la destination des fonds. Il a dit : "ben oui, on a partagé entre
copains, mais bon, avant cela, on l'a quand même partagé avec une certaine
organisation politique". Donc, il a lâché le morceau.
B.C. Non seulement il l'a dit, mais il
l'a écrit ! Dans un livre qui s'appelle Pour une poignée de cerises.
Alors qu'il y a encore assez peu de temps dans les livres consacrés au gang des
Lyonnais, c'était quelque chose qu'il niait totalement.
F.R. Effectivement, des gens parlent
avec le temps. Des gens inquiets, un pied sur la tombe, ont envie de soulager
leur conscience et parlent. Peut-être qu'Edmond Vidal en dira plus, à mon avis,
il a beaucoup plus de choses à dire. Maintenant, si la vérité doit éclater,
elle se fera en dehors de l'institution judiciaire, puisque l'affaire est
close. Pourrait-elle être réouverte ?
B.C. Oui, mais normalement au bout de
dix ans, il y a la prescription. Dans cette affaire là, il y a eu un non-lieu, confirmé en 1994. On a fait appel et la période de dix ans étant
écoulée, après il n'est plus possible de relancer le dossier. Par contre, il y
a un enjeu qui concerne les faits, la mémoire, cela concerne tous les citoyens. Pour l'affaire Boulin, par contre,
c'est un peu différent. Sur le papier, il y a encore une possibilité que le
dossier soit réouvert. C'est-à-dire que suite justement à la parution de mon livre et
une série de reportages, il y a eu interruption de la prescription.
C'est-à-dire que ça paraît un peu technique, mais disons qu'il faut qu'il y ait
un acte dans la procédure judiciaire, un acte nouveau, qui relance une période de dix ans en fait. S'il ne se passe rien pendant dix ans, le dossier est éteint
officiellement. Donc, pour le dossier Boulin, en gros, la période butoir, c'est
2017. Mais il n'y a absolument aucune volonté, malgré l'alternance politique, pour
que le dossier soit relancé. Pour connaître la vérité dans une affaire, il faut
la confier à un juge d'instruction, qui est le seul à pouvoir faire des
confrontations, à lancer des expertises, etc. Surtout quand les pièces à
conviction ont disparu, ont été détruites, ce qui est le cas dans le dossier
Boulin. Et on ne veut surtout pas ça ! Voilà, parce que dans cette affaire,
un peu comme pour le Juge Renaud, il y a un côté un peu "je te tiens, tu
me tiens par la barbichette". Et on part du principe, -moi je trouve que
c'est une analyse erronée-, que c'est quelque chose qui va éclabousser tout le
monde…
F.R. Pour que la vérité éclate
véritablement dans l'affaire de mon père, il faudrait que trois tabous soient
levés. Le premier, c'est les relations entre le pouvoir et le gangstérisme, à ce
moment donné de notre histoire dans les années 70. Alors, ce tabou est en
partie levé aujourd'hui. Pas totalement, mais au moins on reconnait aujourd'hui
que le SAC était une organisation subversive, criminelle et dangereuse, c'est
la définition donnée dans le rapport d'enquête. Deuxièmement, c'est le lien
entre le gang des Lyonnais, qui dominait la scène du crime dans les années 70 et
le fait que ces gens là étaient liés au pouvoir. Ça, c'est presque levé comme
tabou, puisque les protagonistes de l'époque en parlent aujourd'hui. Mais le
troisième point, ce serait de reconnaître qu'on a fait assassiner un juge et qu'on
a couvert l'assassinat d'un juge pour ne pas dévoiler cette magouille. Et ça,
c'est un tabou qui n'est pas prêt d'être levé parce que, de la part des
autorités, cela voudrait dire qu’on reconnaît officiellement qu'à un moment
donné, notre pays s'est conduit avec des méthodes d'état gangster ! Et je
pense que ce tabou ne va pas être levé de si tôt !
A.D. Comme Robert
Daranc, vous soulignez que le Juge Renaud n'a jamais été cité par la République
comme étant mort dans l'exercice de ses fonctions et qu'il n' y a jamais eu de
cérémonie officielle à sa mémoire. On se rappelle le ministre de la justice de l'époque,
Jean Lecanuet qui avait dit : "les assassins ne connaîtront pas de
répit" et ceux-ci n'ont même pas été inquiétés. Comment vous
sentez-vous à présent par rapport à la République ou la justice française, en
colère ou profondément écœuré ?
F.R. Il y a une injustice fondamentale qui
émane des institutions, puisque finalement, on a commandité et on a couvert
l'assassinat d'un juge. Mais il y a une certaine partie de l'opinion publique,
des médias qui a un petit peu caricaturé mon père, qui est devenu avec le fil
du temps un personnage politiquement incorrect. Mais je me suis exprimé, j'ai
quand même pu exprimer mon point de vue. Et puis, je vois que je suis quand
même suivi par des gens de très bon niveau. Je pense que cette injustice est en
voie d'être réparée.
B.C. "Politiquement
incorrect" : il faut rappeler en deux mots que le juge Renaud, c'était
quelqu'un qui avait des idées progressistes. Il était adhérent au syndicat de
la magistrature, c'était un syndicat à l'époque qui était classé à gauche, mais
en même temps, c'est quelqu'un qui était dur avec le crime, qui ne transigeait
pas avec les voyous. Donc voilà, ce n'était pas un personnage comme ça que l'on
pouvait ranger dans une case. En plus, il avait effectivement un tempérament,
une personnalité qui sortait un peu du cadre. Il portait des costumes un peu
voyants. Alors dans la société bourgeoise et policée de la société lyonnaise de
l'époque, il dénotait.
F. B. Comment vit-on avec ce choc
formidable que vous avez vécu ? Comment vit-on avec cette injustice pendant quarante
ans ?
F.R. Vous savez, il y a une histoire que
j'ai lue un jour qui m'a véritablement bouleversé, c'était le témoignage d'un
monsieur qui était le dernier survivant du naufrage du Titanic. Donc, ce
monsieur était très âgé, presque 90 ans. Et il racontait l'histoire suivante.
Il a vu son père le mettre dans une barque pour le sauver, se sacrifier pour
lui et rester sur ce bateau et lui dire alors que la barque s'éloignait : "dis
à ta mère que je l'aime". C'est bouleversant. Je ne veux pas dire que ce
que j'ai vécu se situe au même niveau de pathos, mais j'ai reçu un message
aussi de mon père de la même manière. C'est-à-dire que la dernière soirée que
l'on a passée ensemble, c'était la veille de sa mort, non, c'était l'avant-veille.
C'est une très belle soirée d'été, mois de juillet, ciel bleu, on avait un
appartement au dessus des quais de la Saône, avec vue sur les collines de
Fourvière. On dîne dans la cuisine qui donnait sur la terrasse, et mon père me
dit très calmement, il me dit : "voilà, fiston, il faut que tu saches, je
suis à un tournant de ma vie, je suis sur une très grosse affaire et il est
possible que je me fasse descendre. Donc, si je ne me fais pas descendre, voilà
quels sont mes choix de vie, voilà comment je vois l'avenir pour les années à venir.
Si je me fais descendre, tu feras ça, ça et ça". Et après, il passe à
autre chose, il dit "voilà, tu veux de la salade ?". Vous voyez,
parce que c'était un homme réellement courageux, c'est le vrai courage, pas le
courage face à un danger immédiat, c'est du courage face à un danger diffus, et
c'est la capacité à le surmonter. Donc, en fait, il m'a fait ses adieux, il m'a
passé le relais d'une certaine manière.
Et bien, je ne veux pas avoir l'air
pompeux, mais, je reprends la méthode que je citais toute à l'heure. Ce
monsieur a reçu un message de son père et il disait qu'il lui avait fallu
attendre des années avant d'être capable de parler de ça, parce qu'avant il
fallait qu'il fasse sa vie, qu'il fasse son chemin à lui, qu'il comprenne ce
que c'était la vie, d'ailleurs il est devenu prof de philo; alors il est
peut-être encore mieux placé pour en parler. Et bien moi, d'une certaine
manière, il fallait que je fasse mon chemin pour arriver à formuler tout cela,
pour en être capable. Parce qu'au début, je prenais les informations à droite,
à gauche, je ne comprenais pas trop ce qui se passait, je voyais bien qu'il y
avait quelque chose de pas très clair dans cette affaire, mais j'étais
incapable de le formuler. Et puis, j'étais incapable d'affronter les médias, j'étais
facilement intimidable, je n'avais pas les arguments, je pouvais être
désarçonné très rapidement, alors que là, je vous attends pour me démasquer !
Donc, il fallait que je prenne de la maturité pour être capable de faire naître
tout cela.
B.C. Par rapport aux messages qui sont
passés avant sa mort, je vois un point commun assez puissant aussi avec l'affaire
Boulin. Ce sont deux anciens résistants, des vrais résistants, pas des
résistants de la dernière heure. Ce qui est très intéressant de voir dans les
deux cas, c'est qu'il sont menacés avant, tant Robert Boulin que votre père. Les
émissaires du SAC, devant les avocats, viennent clairement lui dire : "arrêtez,
sinon ça va mal finir pour vous". Pareil pour Boulin. Donc, il en parle à
certains de ses proches. Et là, il y a de nombreux témoignages qui convergent.
Et donc, qu'est-ce qui se passe ? En fait, ce sont des hommes seuls, avant
d'être éliminés, parce que le système ne va pas les protéger. Et vers qui ils
se tournent ? Vers d'anciens compagnons de résistance, dans les deux cas et qui
vont plus ou moins les soutenir. Dans le cas de votre père, il y avait un
ministre qui était André Jarrot.
F.R. C'était un copain de fac.
E.C. Voilà. On a appris qu'effectivement
il avait tenté de le rencontrer juste avant d'être assassiné, probablement pour
lui faire passer un message. Pareil pour Boulin qui contacte Maurice Plantier,
qui était un secrétaire d'État aux Anciens combattants, qui était dans son
réseau de résistance. C'est intéressant de voir qu'ils se tournent vers les
quelques personnes qui se comptent sur les doigts d'une main, des personnes
fiables face au danger, les anciens compagnons de résistance.
F.R. Oui et de voir qu'ils éprouvent
aussi le besoin d'en informer leurs proches. Puisque Robert Boulin a remis une
lettre à sa fille où il fait son testament moral.
B.C. Oui, il lui dit "Voilà, s'il
m'arrive quelque chose, prends soin de ta mère, etc". Vraiment les
analogies sont extrêmement troublantes. Et parce que toute cette histoire-là
renvoie à toute cette période historique que balayent les années 70, la guerre
d'Algérie et l'histoire de la résistance. Et en fait, notre histoire actuelle
est le produit de cette histoire-là. D'ailleurs, de nombreux membres du
personnel politique aujourd'hui, encore en activité, ont connu cette période-là.
En France, il y a une longévité politique exceptionnelle !
A.D. Je vais revenir à deux thèmes plus
légers de la bande dessinée. Lors de l'entretien avec Colcombet, il vous reçoit
chez lui et vous déjeunez sur sa terrasse. Très rapidement une guêpe énervante vous tourne autour et vous irrite et là, très
sobrement, au milieu de la conversation très sérieuse, Colcombet vous dit : "vous
devriez la tuer". C'est assez drôle et en même temps dérangeant ! Alors,
cette scène a-t-elle vraiment eu lieu ? Ou est-ce que vous la racontez comme
une anecdote légère, décalée ? Ou doit-on l'interpréter dans sa dimension
métaphorique : quand quelqu'un vous ennuie, il suffit
de le tuer ? Ou alors ne souligne-telle pas le caractère exaspérant de cette
affaire où finalement, on tournera toujours en rond puisqu'il n'y aura jamais
de fin réelle?
E.D. Ben voilà ! D'abord, la question
est-ce que ça a vraiment eu lieu ? Oui, bien sûr, il n'y a rien dans ces pages
qui n'ait pas eu lieu, absolument !
B.C. Je tiens les enregistrements à votre
disposition !
E.D. Donc oui, ces guêpes étaient là, pour tout vous dire,
il y avait sur la table des choses très sucrées. Depuis le début du repas, il y
avait des guêpes qui nous tournaient autour, alors qu'on évoquait toutes ces
histoires-là et qu'on était fascinés par ce que notre interlocuteur nous
racontait et qu'on était aussi parasité par ces bestioles qui nous tournaient
autour. Et voilà, il a eu simplement cette phrase :"vous devriez la tuer"
qui est totalement anecdotique. Ça revient à ce dont on parlait toute à
l'heure, c'est-à-dire que la façon dont se passe notre enquête nourrit notre
enquête, même avec des éléments aussi latéraux et anecdotiques. Et pourquoi j'utilise
cette séquence-là ? Parce que ça parle de ça. Ca parle de tout ce dont tu viens
de parler : l'idée de la mort qui traîne tout autour, l'idée du danger
permanent et puis l'idée que c'était comme ça, des principes fondamentaux qui
étaient maniés en permanence. Et cette guêpe s'est invitée dans le récit comme
elle s'est invitée dans le repas !
A.D. A la fin de cet entretien, on voit
votre voiture s'éloigner et vous avez un très bref échange plutôt sarcastique, où
manifestement s'exprime le refus d'adhérer à ce qui vient d'être dit. Pourquoi
faites-vous ce commentaire ? En général, vous faites peu de commentaires sur
les entretiens, et là, on dirait que vous n'avez pas pu vous en empêcher,
c'était le cas ?
E.D. Je ne crois pas que ce soit parce
qu'on ne croyait pas à ce qu'il venait de dire. C'est à propos de la ligne de
démarcation ? Alors pour ceux qui n'ont pas encore lu La Revue dessinée, je remets
dans le contexte. François Colcombet est un des fondateurs du syndicat de la
magistrature, c'est aussi un élu, il a été maire je crois de
Dampierre-sur-quelque chose, à deux heures au nord de Lyon. Et il se trouve que
sa maison, dans laquelle il est né et dans laquelle il vit toujours, une belle
petite demeure, un peu fatiguée mais avec beaucoup de cachet, était pendant la
guerre sur la ligne de démarcation. Donc, il nous explique qu'il a grandi tantôt
avec des soldats français, tantôt des soldats allemands, selon l'endroit où
était la limite. Et la ligne de démarcation, au delà de son aspect historique bien
connu, c'est aussi la ligne de l'endroit où on peut faire les choses, ou on ne
peut pas les faire. C'est une ligne qui nous intéresse beaucoup dans l'histoire
du Juge Renaud, parce que le juge Renaud, lui, il allait au-delà de la ligne de
démarcation, il la franchit beaucoup !
A.D. Cette enquête
sur la France secrète d’il y a trente ans est possible aujourd'hui car le recul
et la distance permettent l’accès à des documents d’archives, à des travaux
d'historiens ou de journalistes. Pensez-vous qu’il aurait été possible de faire
ce reportage quelques années après la mort du juge ? Et de la même façon,
pensez vous qu'il serait possible d’enquêter
sur le financement illégal actuel des partis, un problème récurrent de la Vème
république, remis sur le devant de la scène avec l’affaire Bygmalion ?
B.C. Oui et non ! Oui,
parce qu'il y a des personnes qui acceptent aujourd'hui plus facilement de
parler des faits qu'à l'époque, c'est incontestable Non, parce que il y a
encore énormément de documents qui ne sont pas encore déclassifiés. On est en
train, avec Etienne, de travailler sur les travaux de l'enquête de la
commission parlementaire sur le Sac. On a réussi à avoir accès à un certain
nombre de documents mais il y a des choses qu'on ne peut pas consulter. En même
temps, on se demande pourquoi des témoins refusent encore de parler, notamment
sur l'affaire Boulin. Malgré les années passées, il y a toujours une crainte.
Dans les affaires de financement politique, aujourd'hui, il y a des procédures en
cours sur des soupçons illégaux de campagnes électorales. Aujourd'hui, on ne
tue plus, on utilise d'autres méthodes ! Mais cela reste compliqué de
travailler sur ces sujets là. Sur le Sac par exemple, il n'y a pas un livre
fait par un historien. Si on compare avec l'Italie, sur l'enlèvement et
l'assassinat d'Aldo Moro, ancien président du Conseil, il y a pléthore de
livres, des kilos de littérature sur le sujet ! Il y a un déni en France de
notre propre histoire.
E.D. Les gens qu'on
rencontre pour ce livre sont plutôt âgés. On pourrait penser que le temps a
passé, qu'ils pourraient parler. Pour le chapitre suivant, on a rencontré
l'ancien patron des renseignements généraux qui approche les 90 ans. La
première chose qu'il dit en ouvrant sa porte, c'est : je me suis auto
perquisitionné mais je n'ai rien trouvé ! Alors, on a insisté, on l'a un peu
cuisiné, on a pris le temps. Et quand sa femme est rentrée, il a dit "ils
m'ont passé à la question, ils essaient de m'extorquer des aveux !". Malgré
voilà, le temps passe, et les langues ne se délient pas !
Questions du public
Public. On a
l'impression en lisant votre reportage que vous avez franchi une ligne de
démarcation. Vous ré-ouvrez l'enquête à votre manière. N'avez-vous pas peur
d'être inquiétés par des hommes politiques comme Chirac, Pasqua ou Giscard ?
B.C. Si on avait peur,
on ne ferait jamais rien !! Ça fait longtemps que je travaille sur ce type de
sujets. Quand j'ai rassemblé suffisamment d'éléments convergents, que je suis
sûr de ce que je raconte, je considère que c'est de ma responsabilité, en tant
que journaliste, de le présenter au public. Ce travail après a une autre vie.
Bien sûr néanmoins qu'un danger existe et qu'il y a des enquêtes délicates.
E.D. Je reviens sur le
livre de Benoît sur l'affaire Boulin que je vous recommande de lire. Ce livre
existe depuis plusieurs années (Affaire
Boulin, un homme à abattre, 2007). Il y a des révélations fracassantes. S'il avait
pu être attaqué par les gens qui sont concernés, ils se seraient jetés dessus
avec des armées d'avocats. Ils ne l'ont pas fait ! Ça prouve aussi la solidité
du truc. La limite, elle est là ! Si on ne raconte pas trop de bêtises, si on
ne dit rien d'autre que la vérité, on ne devrait pas être embêté judiciairement.
Et puis, ce sera Frank Bourgeron qui aura les ennuis !
Public. Monsieur Bourgeron, est-ce
que vous vous seriez lancé dans ce projet si vous n'aviez pas souscrit à cette
thèse politique ?
F.B. Oui, bien sûr. Dès
lors que l'on parle d'un sujet de cette nature, et qu'on demande à des auteurs ou
des journalistes de travailler sur un sujet d'enquête, on ne préjuge pas de ce
qui va arriver. On leur fait confiance, et cela va de soi de laisser la liberté
totale d'enquête aux auteurs, d'autant que ces deux là sont expérimentés !
Sinon, en effet, je suis responsable de la publication, responsable
juridiquement. S'il y a à un moment des éléments dans l'enquête qui sont de
l'ordre de la diffamation, il y a un certain nombre de discussions et de
contrôles éventuels. Dans ce cas précis, il n'y a pas de souci de ce genre là !
Public. Est-ce
que vous n'avez pas l'angoisse de réveiller des démons ? Même si la plupart des
personnes sont à présent grabataires et donc plus trop susceptibles de tenir un
pistolet, des gens ne pourraient-ils pas vous menacer physiquement ?
E.D. Le temps a passé...
Le courage qu'a mobilisé Yves Boisset pour faire son film... c'était à peine
deux après les faits, là, tout était chaud, l'énergie était à vif. Le temps a
passé, les passions sont moins vives. Encore une fois, si les faits qu'on
raconte sont avérés, si les témoins qu'on sollicite sont fiables, si on ne
présente rien qui soient factuellement inexacts, les risques sont minimes.
B.C. Le vrai courage, il
a été effectivement du côté de ceux qui ont fait des choses à l'époque. Je
reviens sur une série de livres et en particulier, l'éditeur Alain Moreau qui
publiait à l'époque des ouvrages très incisifs. Je pense à celui de James
Sarazin, un journaliste qu'on a rencontré d'ailleurs pour l'épisode 2, pour le
travail sur le Sac. Il a écrit un livre M
comme milieu, où il donne des noms. Il a été menacé à l'époque, comme il
nous l'a raconté...
Le vrai courage, il était là. Il faut le faire quand on est
en situation de le faire, prendre la responsabilité au poste où on est de dire
les choses, de faire ce que notre conscience nous dicte. Après, c'est vrai qu'
il y a aussi beaucoup d'autocensure. Je peux vous raconter une anecdote. J'avais
rencontré Olivier Guichard, ancien Garde des Sceaux, un des derniers dinosaures
du gaullisme, qui était très proche de Robert Boulin. Il me dit au cours de
l'interview : bien sûr que non, Robert Boulin ne s'est pas suicidé ! C'était quand
même énorme d'entendre, de la bouche d'un ancien gaulliste, tailler en pièce la
version officielle du suicide. Mais il n'allait pas plus loin. Quelque temps
après, après avoir écrit mon livre dans lequel je relate le fait, je le
rencontre de nouveau, lui dis que je travaille toujours sur l'affaire Boulin,
il me dit : ce n'est pas très raisonnable. Il me redit la même chose concernant
Boulin mais il ne dit pas plus, il avait sa ligne de démarcation. Il avait dit déjà quelque chose
d'énorme avec cette petite phrase. Quand je lui demande : qui pourrait me dire
qui c'est ? Il me répond : vous savez, les gens meurent vite ! Effectivement, c'est
un problème de rencontrer des témoins vivants de l'époque.
E.D. Par exemple, on
aurait bien aimé rencontré Jean Charbonnel, qui est mort il y a quelques mois
(février 2014). Ancien ministre de Gaulle, il prétendait connaître le nom des
assassins. Il l'a dit sur un plateau télévisé. Mais il est décédé...
Public. Je me
rappelle bien de cette époque dans laquelle j'ai vécu, et du film de Boisset dans
lequel le terme Sac avait été censuré. Je me rappelle que les gens dans la
salle criait SAC ! (pour couvrir les bip-bip de la censure). Dans ces années là, les années Pompidou, il y a eu aussi
deux autres assassinats dont on a moins parlé, ceux de De Broglie et Fontanet.
Est ce que vous avez l'intention d'en parler ?
B.C. On n'a pas
l'intention de développer ces deux affaires là, qui ne sont pas vraiment les
mêmes cas. De Broglie était quelqu'un qui était très impliqué dans des affaires
douteuses. Il y a eu de nombreux mobiles possibles pour cet assassinat, y
compris un règlement de compte avec les personnes douteuses avec qui il était
en affaire. C'était un giscardien qui est passé du côté de Chirac, il y a donc aussi
un arrière-plan politique très important. Jospeh Fontanet, lui, a un profil
plus à la Boulin. C'était un acharné du travail, un personnage intègre, avec
des valeurs républicaines très fortes, ancien ministre du Travail et qui s'est fait fusiller
devant son domicile. On n'a jamais élucidé vraiment l'affaire. Il y a peut-être
d'autres explications qui peuvent nous mener aussi au contexte de l'affaire du
Juge Renaud. Je m'explique : Pierre Mérindol,
un journaliste, un des meilleurs connaisseurs des affaires lyonnaises, a beaucoup
écrit sur ces années là.
Il montre qu'il pourrait y avoir peut-être un lien possible
entre toutes ces morts douteuses, y compris celle du juge Renaud en expliquant
qu'en arrière-plan, il y a ce trésor de guerre des partis politiques. Par
rapport à Fontanet, il indique qu'en 1974, Chaban-Delmas, candidat naturel des
gaullistes, est trahi par Chirac et d'autres qui vont soutenir Giscard qui sera
élu. Une partie de l'argent destiné pour le 2ème tour, dont l'argent du hold-up
de Strasbourg, aurait financé un journal censé contrer le Monde, lancé dans les
années 70 et dirigé par Fontanet. Mérindol s'interroge et se demande si Fontanet n'a
pas été assassiné pour cela. Par des truands en lien avec le monde politique qui
auraient réclamé une partie de leur dû. Pour donner un élément de contexte,
juste après l'assassinat du juge Renaud, il y a l'enlèvement du fils Mérieux qui
était le fils d'Alain Mérieux en lien avec le fameux labo pharmaceutique. Les
Mérieux étaient très liés au parti gaulliste, il était de notoriété publique
qu'ils versaient de l'argent à ce parti. Cet enlèvement va durer un certain
moment, les ravisseurs vont demander une somme astronomique. Mérindol se
demande là aussi si on n'est pas encore dans ce grand jeu autour de la cagnotte
électorale pour récupérer cet argent. Pour finir de répondre à votre question,
on essaye de se concentrer sur des cas emblématiques. Dans la bande dessinée
comme dans le journalisme, on doit faire des choix ! On est obligé de prendre
les sujets les plus éclairants mais vous avez raison, tout cela s'inscrit dans
une série plus importante de meurtres politiques. Mais les affaires Boulin et
du juge Renaud sont des affaires structurantes qui permettent de voir l'ensemble
du tableau.
Public. Frank Bourgeron, vous êtes auteur de
bande dessinée et aussi éditeur, ce n'est pas trop compliqué de gérer des
personnes de votre confrérie ?
F.B. Je trouve cela
plutôt agréable ! Etienne parlait tout à l'heure de l'aspect moine copiste
qu'est l'auteur de bande dessinée, je sais ce que cela veut dire ! Je connais
les angoisses du créateur face à sa planche, je sais par quoi on passe quand on
se lance dans une telle bande dessinée de 200 pages, ce que cela implique.
Cette connaissance là n'est pas celle des éditeurs en général. Face à un
auteur, je prends des précautions. Je trouve agréable d'être dans ce rapport, assez simple, dégagé des scories qu'on
peut avoir avec un éditeur lambda. Et puis, on n'est pas un éditeur au sens
classique du terme, on s'engage pour 20 ou 50 pages, on ne fait pas des albums,
les enjeux ne sont pas les mêmes. Chez nous, c'est un laboratoire où les
auteurs essaient des trucs, font des expériences et où on n'est pas parti pour
trois ans de boulot ! Il y a des auteurs qui viennent en disant : moi je veux
faire autre chose, je veux faire autrement, être à contre-emploi, quelque chose
qui sorte de l'ordinaire. Il faut bien voir que le métier d'auteur de bande
dessinée est une routine. Personnellement, je suis content d'en être sorti un
peu...
Merci à tous ! La suite de la bande dessinée
d'Etienne Davodeau et Benoît Colllombat est à lire dans le n° 7 de la Revue Dessinée
en mars 2015. A très bientôt !
Merci à Magali pour son aide à la retranscription.
Les photos de la rencontre sont celles de Stéphane Mahot, A retrouver sur son site !
Une video chez Etienne Davodeau. Ouest France.
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