Rencontre avec Sylvain Savoia
Les esclaves oubliés de Tromelin
Vendredi 19 juin, à la Libraire Bulle,
Le Mans
Nouveau !!! vous pouvez écouter le podcast de l’interview !!
Prise
de son et montage, DAVID
Grégory, artiste numérique
Et si vous préférez lire, c’est
par ici !
AD. Tu as obtenu le
succès avec deux séries très différentes : Nomad en collaboration avec Jean-David Morvan et Marzi avec Marzena Sowa. L’une est une
série de SF, d’anticipation mêlant espionnage, cyberpouvoirs, univers high
tech. L’autre est basée sur le témoignage de Marzena, sa jeunesse en Pologne dans
les années 80. Des récits très différents avec des styles graphiques également
différents. Et on va le voir aussi, avec ce nouvel album, quelque chose de
nouveau, et de peu courant, entre récit historique et reportage. Qu’est-ce qui motive tes choix en matière
de récit dessinée ?
SS. Ce qui
m’intéresse particulièrement quand je travaille, c’est de parler de l’humain.
Dès le début, quand j’ai commencé ma collaboration avec Jean-David Morvan, sur
la série Nomade, c’était une série de science-fiction certes mais c’était une
série un peu décalée. Elle mettait vraiment déjà l’humain au centre de
l’histoire. Et surtout, on avait un décalage par rapport au thème, c'est-à-dire
que la plupart des récits de science-fiction son basés sur des personnages très
urbains ou ça se passe souvent aux Etats-Unis. Là, on avait un peu une idée
particulière puisque le personnage principal est un touareg, ce qui dans la
science-fiction n’est quand même pas très commun. Ça a été un peu le départ, ça
reste une œuvre de jeunesse, Nomade, qui est assez éloignée maintenant de ce
que je fais. Ma rencontre avec Marjena Sowa a été décisive et déterminante dans
mes choix maintenant de bande dessinée. Le fait que ce soit une histoire
réelle, qu’on parle de son enfance dans la Pologne des année 80 et qu’on
l’aborde du côté vraiment du quotidien d’une famille et pas du tout par le coté
politique de la grande Histoire, même si ça intervient aussi dans la bande
dessinée, ça m’a donné vraiment envie de m’accrocher à quelque chose de plus
réel et de plus direct dans le rapport avec la réalité. Je me suis rendu compte
qu'en fait toutes les histoires qu’on avait pu écrire avant avec mon scénariste
Jean-David Morvan, parce qu’il y a eu une autre série entre les deux qui
s’appelle Alto'go, qui est une série policière aussi, toutes ces histoires
qu’on a écrites étaient assez manichéennes. La fiction est souvent plus simple
que la réalité, et le fait de travailler sur Marzi, ça donnait vraiment une
telle ampleur au personnage et au contexte que c’était vraiment absolument
passionnant de travailler là-dessus. Maintenant, j’ai forcément envie de me
confronter un peu plus à ça, d’où Tromelin !
AD. Comment as-tu
pris connaissance de cette incroyable
histoire de ces esclaves abandonnée de l’île de Tromelin ? Une histoire au potentiel romanesque
incroyable, tragique faite d’abandon et de trahison mais aussi incroyablement
porteuse d’espoir, d’énergie, d’humanité.
(Note : À la fin du XVIIIe siècle, un
navire fait naufrage sur une île de l’océan indien avec à son bord une
"cargaison" d’esclaves malgaches. Les survivants construisent alors
une embarcation de fortune. Seul l’équipage blanc peut y trouver place,
abandonnant derrière lui 80 esclaves. Les rescapés vont survivre sur ce bout de
caillou traversé par les tempêtes. Ce n’est que le 29 novembre 1776, quinze ans
après le naufrage, que le chevalier de Tromelin récupérera les huit esclaves
survivants : sept femmes et un enfant de huit mois).
SS : Alors de
manière complètement liée au hasard, je lisais le journal sur internet le soir
chez moi. J’avais une vague idée de travailler seul pour un prochain album. Comme
je lisais les informations régulièrement, il y avait des choses qui
m’intéressaient et que je mettais un peu dans un coin. Et puis, je suis tombé
sur un tout petit article sur le site du journal Le Monde, qui parlait de la
première mission archéologique sur Tromelin, une mission plutôt sous-marine, qui
s’occupe normalement essentiellement d’épaves. Et donc ce groupe d’archéologues
avait fait une première mission en 2006. Ils ont eu beaucoup d’articles dans la
presse dont notamment ce petit article que j’ai lu dans le Monde. En quelques
lignes, on résumait l’histoire des esclaves, ces malgaches abandonnés sur ce
bout de terre au milieu de nulle part.
C’était plein de thèmes que je sentais intéressants : à la fois l’esclavage bien sûr, mais aussi l’exil, l’abandon, le fait que ça se passe sous les tropiques sur une île déserte, ça faisait aussi écho à plein de littératures d’enfance qui m’avaient marqué. Ça m’a vraiment interpellé tout de suite et donc, j’ai été très curieux. J’ai commencé à regarder un peu sur internet, j’ai trouvé les contacts de ce groupe d’archéologues et puis embarqué par la motivation de cette histoire, je leur ai écrit un mail en leur demandant si éventuellement ça leur plairait de mettre à disposition leurs recherches pour que j’en fasse une histoire de bande dessinée. J’étais un peu présomptueux parce que je n’avais jamais écrit de scénario mais voilà, je me sentais un peu parti avec ce thème ! Ils m’ont répondu le lendemain matin, enfin Max Guéroux qui est le chef de cette mission, m’a répondu le lendemain matin, et il m’a dit : formidable ! On a envie de mettre en valeur cette histoire donc rencontrons nous ! Et voilà, je suis parti quelques mois après au bout du monde
C’était plein de thèmes que je sentais intéressants : à la fois l’esclavage bien sûr, mais aussi l’exil, l’abandon, le fait que ça se passe sous les tropiques sur une île déserte, ça faisait aussi écho à plein de littératures d’enfance qui m’avaient marqué. Ça m’a vraiment interpellé tout de suite et donc, j’ai été très curieux. J’ai commencé à regarder un peu sur internet, j’ai trouvé les contacts de ce groupe d’archéologues et puis embarqué par la motivation de cette histoire, je leur ai écrit un mail en leur demandant si éventuellement ça leur plairait de mettre à disposition leurs recherches pour que j’en fasse une histoire de bande dessinée. J’étais un peu présomptueux parce que je n’avais jamais écrit de scénario mais voilà, je me sentais un peu parti avec ce thème ! Ils m’ont répondu le lendemain matin, enfin Max Guéroux qui est le chef de cette mission, m’a répondu le lendemain matin, et il m’a dit : formidable ! On a envie de mettre en valeur cette histoire donc rencontrons nous ! Et voilà, je suis parti quelques mois après au bout du monde
Ile de Tromelin |
AD. Au moment où tu
te joins à cette seconde campagne organisée par Max Guérout, sais-tu ce que tu
vas faire de cette expérience ? Un carnet de voyage, de reportage ou as-tu immédiatement l’idée d’entremêler le récit
des naufragés au journal de bord archéologique ?
SS. Pas du tout !
Ce drame des malgaches, ce fait divers du 18ème siècle me donne envie de me
concentrer dessus. C'est une histoire suffisamment forte. Au départ,
d'ailleurs, il n'est pas question que je parte sur l'île avec eux. Je bénéficie
simplement de leurs recherches, on en parle, ils mettent tout à disposition et
me tiennent au courant de leurs trouvailles. Une nouvelle mission se monte en
2008. Normalement, une équipe de télévision devait partir avec eux. Au dernier
moment, l'équipe fait faux bond, il y a juste un caméraman qui va partir, une
place se libère. Ils m'envoient un mail alors que je suis en vacances en
Espagne avec cette proposition : est-ce que tu veux venir avec nous sur
Tromelin ? J'ai réfléchi à peu près une demi-seconde et j'ai répondu oui ! On
est parti en octobre 2008 jusqu'en décembre. En partant là-bas, j'étais
vraiment dans l'idée de raconter l'histoire des malgaches et de leur survie sur
cette île. Et je pensais faire une sorte d'appendice à l'album en relatant la
mission archéologique. Mais le fait de se retrouver avec ce groupe
d'archéologues très motivés qui sont tous là de manière bénévoles, qui
investissent leur temps pour mettre en valeur la mémoire et essayer de lutter
contre l'oubli et ce drame terrible de l'esclavage, en plus dans cette partie du
monde entre Madagascar, la Réunion, l’Ile Maurice, leur engagement m'a semblé
passionnant. En plus, c'était un chantier archéologique très gratifiant car
toutes les recherches aboutissaient à quelque chose de conséquent. On a trouvé
beaucoup plus de choses qu'on imaginait au départ. Ça m'a semblé alors
difficile de ne pas l'évoquer dans l'histoire.
AD. Au départ, tu souhaitais donc plutôt te concentrer sur le récit
historique ?
SS. Oui, c'était
le 18ème siècle avec une sorte de carnet de voyage à la fin. Mais finalement,
la relation entre les deux était tellement forte que je me suis dit que c'était
important de le faire fonctionner de cette manière là : une sorte de ping pong
entre les deux époques et puis l'implication de leur survie laissée comme trace
250 ans après.Ça permettait de jouer sur des ellipses et de faire passer le
temps.
AD. Ce qui est
intéressant, c’est que tu intercales les
pages du récit avec les pages du journal archéologique, en essayant de
garder une trame commune. Par exemple, au début on suit l’embarquement des
esclaves malgaches dans un port de Madagascar et en parallèle on suit votre
départ en avion pour la Réunion, puis la découverte de l’île par les naufragés
et ensuite par votre groupe. Ce montage
particulier qui se lit d’ailleurs de façon très fluide n’a pas été trop
complexe à penser, à organiser ?
SS. Oui, cela a été
complexe ! Car il y a beaucoup
d'éléments à faire passer et il n'y a au final que 100 pages. C'est un exercice
de synthétisation qui nécessite de se concentrer sur les choses essentielles.
Le montage en parallèle est bien pensé de cette façon là, de manière à ce qu'il
y ait une progression commune. Le problème était de ne pas aller plus vite dans
un récit plutôt que dans l'autre pour ne pas dévoiler trop !
AD. Pour
caractériser nettement les deux parties, tu optes pour deux styles graphiques très différents : un carnet de bord plutôt
illustratif à l’aquarelle, tandis que les planches historiques sont plus
traditionnelles dans leur découpage et mise en page. Tu as travaillé la
réalisation des deux récits à des moments différents ou
conjointement ? Le journal par exemple, l’as-tu réalisé sur place ou
retravaillé après ?
SS. J'ai tout
redessiné après. J'ai commencé par la partie historique : l'embarquement et le
naufrage, c'est le début de l'album. C'était assez complexe mais c'était ce
qu'il fallait que je dépasse pour me sentir un peu plus à l'aise avec
l'histoire. L'album est en deux grandes parties. J'ai d'abord travaillé la
partie historique de la première partie, puis j'ai réalisé la partie reportage
de tout l'album. Et j'ai terminé par la partie historique de la deuxième
partie. Sur place, j'ai fait des croquis, bien sûr, mais je n'ai rien utilisé
directement, j'ai tout redessiné.
AD. Il y a un contraste fort entre les textes de ces deux récits, un texte
plutôt soutenu pour la partie du récit des naufragés et un texte plus intimiste,
plus personnel pour la partie reportage. Vous souhaitiez aussi ce contraste
entre les textes ?
SS. Les choses sont
venues assez naturellement au niveau du texte. Et j''ai fait à peu près
l'inverse de tout ce qu'on doit faire en bande dessinée et de ce que j'enseigne
quand je fais des ateliers ! C''est à dire qu'on doit écrire le scénario de
manière parfaite et avoir tout le texte et après on peut commencer à attaquer
le découpage et le dessin. J'ai eu la structure du scénario mais j'ai fait tous
les dessins et après j'ai écrit le texte.
AD. C'est vrai
qu'on sent la primauté du récit en image dans cette première partie.
SS. Il faut dire
que le lieu aussi est très visuel. Les éléments, la lumière sont très forts.
J'avais le texte dans la tête je pense mais j'avais besoin de m'appuyer sur les
images pour pouvoir l'écrire de manière vraiment définitive
AD. Concernant le
récit des naufragés, tu t'es appuyé sur de la documentation ou as-tu plutôt
fait fonctionner ton imagination ? Pour la première partie, il y avait le
journal de bord de l’écrivain sur lequel s’appuyer mais pour la seconde partie
qui concerne la survie et l’adaptation au milieu des malgaches, c’est plutôt le
résultat des fouilles qui t'a aidé à reconstituer les parties manquantes ?
SS. Effectivement,
sur le naufrage et les deux premiers mois de survie, il y a ce journal de bord
qui est très précis et donc très pratique pour raconter leur histoire. Le point
un peu compliqué, c'est que j'ai choisi le point de vue des malgaches, c'est
cela qui m'intéressait dans cette histoire, de ne pas être du côté des français
mais être du côté de ceux qui sont abandonnés sur cette île. Et donc, ne pas
comprendre forcément ce qui se passe ! J'ai rendu les dialogues entre les
français incompréhensibles pour les malgaches car je trouvais cela plus fort et
important dans l'histoire. Que ces naufragés soient effrayés par le fait qu'ils
soient capturés par des gens dont ils ne comprennent pas la langue.
Après je me suis appuyé en effet sur les fouilles qui nous permettent de comprendre comment ils ont construit leurs abris, ce qu'ils ont consommé comme nourriture, comment ils se sont organisés pour le feu. On savait ce qu'ils avaient récupéré sur le bateau. Il y avait aussi un morceau de récit du chevalier de Tromelin qui les a secourus et qui les a fait parler. On avait donc aussi quelques bribes de témoignage de la part des sept femmes qui ont survécu, le fait que certains soient partis sur un radeau. Tout cela est avéré. Après, des choses me manquaient, en particulier sur leur culture. Leur rapport à la mort, aux ancêtres, à la terre, des choses très importantes pour eux. Je suis donc parti un an et demi après ce voyage à Madagascar pendant un mois. Je me suis baladé entre plusieurs ethnies pour découvrir leur culture, la comprendre et pour ne pas raconter n'importe quoi ! Ça me semblait important de ne pas passer à côté de ce sujet là.
Après je me suis appuyé en effet sur les fouilles qui nous permettent de comprendre comment ils ont construit leurs abris, ce qu'ils ont consommé comme nourriture, comment ils se sont organisés pour le feu. On savait ce qu'ils avaient récupéré sur le bateau. Il y avait aussi un morceau de récit du chevalier de Tromelin qui les a secourus et qui les a fait parler. On avait donc aussi quelques bribes de témoignage de la part des sept femmes qui ont survécu, le fait que certains soient partis sur un radeau. Tout cela est avéré. Après, des choses me manquaient, en particulier sur leur culture. Leur rapport à la mort, aux ancêtres, à la terre, des choses très importantes pour eux. Je suis donc parti un an et demi après ce voyage à Madagascar pendant un mois. Je me suis baladé entre plusieurs ethnies pour découvrir leur culture, la comprendre et pour ne pas raconter n'importe quoi ! Ça me semblait important de ne pas passer à côté de ce sujet là.
AD. L’idée de
faire de Tsimiavo, une des esclaves
survivantes une héroïne, est-elle venue assez facilement ?
SS. C'est forcément
le personnage fort de l'histoire. Elle est une sorte d'héroïne : elle est
arrivée jeune sur l'île avec sa mère et ces deux là ont survécu parmi les 160
qui ont été embarqué, c'est déjà assez incroyable ! Et en plus, c'est la
seule à avoir un bébé qui ait survécu. Elle représente un point entre trois
générations. Et entre celle qui vient vraiment de Madagascar et celle qui est
une nouvelle génération créole qui va continuer à vivre à l'Ile de France.
C'est un personnage vraiment fort en soi !
AD. On sent que tu
as une estime particulière pour le premier lieutenant Castellan dont d’ailleurs tombe un peu amoureuse Tsimiavo.
C’est effectivement le seul blanc qui paraît un peu humain et qui est le seul à
se battre pour venir les rechercher. C’est un personnage qui t'a intéressé ?
SS. C'est un
personnage fort et touchant parce que je pense qu'il est réellement honnête. Il
s'est retrouvé embarqué dans cette histoire à cause du capitaine qui voulait
s'enrichir. Mais lui n'était pas dans cette optique là. Au moment où il quitte
l'île, c'est le seul qui s'engage réellement à venir les rechercher, il donne
sa parole. Le fait que ça n'a pas pu se faire restera une douleur très profonde
pour lui. Il a écrit pendant des années des lettres de requête. On a retrouvé
des lettres qu'il a envoyées au gouverneur de l'île Bourbon 7 ans après le
naufrage pour qu'il envoie un bateau pour les survivants. C'est un personnage
vraiment humain. Quand il construit le bateau pour s'échapper de l'île au début,
il espère vraiment pouvoir emmener tout le monde. Il n'a pas ce plan
d'abandonner les Malgaches.
AD.J’avais
une question sur le feu parce que ça revient souvent ce problème de maintien du
feu. Les femmes ont a priori entretenu le feu pendant quinze ans. Mais il n’y a
pas d’arbre sur l’île, comment est-ce qu’elles s’en sont sorties ?
SS : Alors, c’est
ce qu’elles ont dit quand elles ont été sauvées, qu’elles avaient conservé le
feu pendant quinze ans, mais à la dernière mission les archéologues ont retrouvé
des briquets de l’époque Des silex avec une armature de métal, et donc ça a
certainement servi pour rallumer le feu régulièrement parce que comme il y a
des cyclones tous les ans qui passent sur cette île, qui sont assez violents,
je pense que le feu a pas pu être conservé dans ces conditions là. Pour le
bois, par contre il y avait l’épave qui a permis d’alimenter en bois pendant
très très longtemps, et même quand ils sont partis il y avait encore des restes
de l’épave.
AD. Finalement,
qu’est- ce- qui dans le récit des naufragés relève de la pure fiction ? Y-a t-il des évènements que tu as inventés ?
SS. Il y a des éléments
de fiction car il faut faire vivre ces personnages, les rendre attachants,
avoir de l'empathie avec eux, développer une relation entre eux. Je ne sais pas
qui ils étaient réellement, donc je suis obligé d'inventer un peu. Tsimavio ne
développe pas forcément un rapport amoureux avec Castellan mais en tout cas un
lien fort. Je ne sais pas si c'est vrai le fait que le marin (Béraud) soit le
père de l'enfant survivant bien qu'on ait de fortes présomptions. J'ai choisi
cette option là parce qu'elle est forte et a un sens !
AD. Cette campagne
de fouilles de 2008 va être riche en découverte : des habitations en dur,
des objets, mais aussi des squelettes… Comment tries-tu toutes ces informations ? Comment décides-tu de ce que tu
vas exploiter ou pas ?
SS. Je me fie
surtout aux archéologues qui ont une réelle expérience et qui sont très
prudents dans leurs analyses. Ce sont des gens très scientifiques qui ne
s'emballent pas pour un rien. C'est très bien de travailler avec cette rigueur
et de donner du sens à chaque découverte. Je me suis beaucoup appuyé sur leurs
analyses et sur toutes les discussions qu'on a pu avoir. Ce qui est terrible c’est
qu’on a beaucoup de questions quand on arrive. Et chaque élément de réponse
ouvre sur encore plus de questions. C'est sans fin et fait fonctionner le
cerveau en permanence !
AD. Tu choisis à
un moment, à la fin de la première partie, de t'isoler du groupe en t'installant
dans un ancien hangar à l’écart. Est-ce que cet isolement a été important voire nécessaire pour réaliser ce récit ?
SS. Je pense que
c'est ce que je cherchais en partant sur l'île : expérimenter cet isolement et
d'y être le plus possible confronté. Quand on s'est installé, qu'on a monté
cette tente militaire et que je me suis retrouvé à dormir dans cette grande
chambrée alors que je n'ai même pas fait mon service militaire, je n'avais pas
envie d'avoir cette expérience là ! Je suis resté deux nuits dans la tente
et je me suis vite isolé ailleurs et c'était très bien ! En plus, je dors très
peu, alors cela me permettait d'avoir une vie nocturne sur l'île, d'aller voie
les tortues géantes, un spectacle extraordinaire. Et surtout être isolé pour
avoir le temps de vraiment réfléchir et de m'approprier les lieux
personnellement.
AD. À quel point est-ce important pour
un dessinateur de se confronter avec une
certaine réalité ? Qu’as-tu trouvé sur place ? Quel détail ou quelle rencontre
t'a le plus touché durant la création de cet album ?
SS. Ça fait beaucoup de questions ! Le
plus important à mon sens c'est de ne pas fantasmer trop les histoires
surtout quand on est dans une réalité comme celle là. Il faut essayer de sortir
de schémas classiques qu'on pourrait avoir quand on invente une histoire. En
s'y confrontant, on trouve des choses qu'on n’aurait pas
raconté autrement je pense. Même en ayant tous les documents des archéologues,
si je n'étais pas allé sur place, je n'aurais pas raconté du tout la même
histoire. Parce que l'émotion est présente et on ne peut la ressentir qu'en
allant sur place. Expérimenter d’être au milieu de rien, sur un bout de caillou de
l'Océan indien. Quand on voit l'avion repartir, on se dit : là, on est vraiment
seul. Cela fait une impression très particulière. Le fait de vivre dehors tout le
temps pendant un mois et demi, c'est aussi une expérience. Ce sont des choses
fortes qu'il faut ressentir nous-même si on veut faire passer ensuite une
émotion aux lecteurs.
AD. Entre le
moment du reportage, 2008 et celui de la publication, 2015, pas mal de temps s’est
écoulé. Est-ce un album qui a demandé particulièrement du temps et de l’investissement personnel ? Ou tu avais
d'autre projet en cours ?
SS. Les deux. Quand
je suis parti, c'était l'occasion de faire ce voyage que je ne pouvais pas
reporter. Mais dans mon planning de travail et dans les engagements que
j'avais, ce n'était pas du tout le bon moment ! En 2009, on a fait une énorme
promotion de Marzi, pour l'anniversaire de la chute du communisme. Quand je
suis rentré de Tromelin, j'ai fait deux albums de Marzi, un album de Al'Togo
aussi. J''avais beaucoup de choses à terminer avant d'attaquer cet album. En
même temps, cela m'a permis d'avoir un peu plus de maturation de l'histoire,
d'y réfléchir, de l'assimiler, de continuer à me documenter puisqu'il y a eu
deux autres missions archéologiques (en 2010 et 2013).
AD. Est-ce que les
résultats de ces deux autres missions archéologiques t'ont servi ?
SS. Elles m'ont
servi pour déterminer l'ampleur du hameau construit par les Malgaches. Après il
n'y a pas eu d'élément fondamental qui aurait fait changer l'histoire.
AD. Les planches de l’album sont
actuellement exposées au Centre belge de
la bande dessinée à Bruxelles puis seront visibles à Nantes à partir
d'octobre 2015 puis à Lorient, Bordeaux, Bayonne et Marseille, des villes qui
des près ou de loin ont participé au commerce de l’esclavage. Qui est à
l’origine de cette exposition itinérante ?
SS. Il y a effectivement une exposition
au musée de la bande dessinée de Bruxelles, qui se termine cette semaine et qui
a duré deux mois. A partir du 2 juillet, il y aura une autre exposition à
Bruxelles dans une librairie-galerie qui s’appelle Brüsel. Sinon, à Nantes il y
aura effectivement une exposition sur Tromelin, à l’initiative du Musée du Château
des Ducs de Bretagne, un musée extraordinaire où se manifeste beaucoup de
volonté de travail sur l’esclavage. Il y a d’ailleurs un mémorial extrêmement
touchant qui a été inauguré à Nantes qui vaut vraiment le détour. Et donc ce
sera à leur initiative, ils ont mis beaucoup de moyens pour réaliser une très
belle exposition de 450 m2 qui retrace vraiment toute l’histoire depuis la
construction et l’armement du bateau, le voyage, l’achat des esclaves, le
naufrage…
AD. Il y aura des objets aussi ?
SS: Et voila, il y aura toute une
deuxième partie sur les fouilles archéologiques, une reconstitution, et une
partie de mes dessins va servir de fil rouge pour cette exposition. En
parallèle, dans une autre salle, il y aura une exposition des pages originales.
Il n’y aura pas toutes les pages mais il y en aura beaucoup. Et puis, aussi des
dessins qui ne sont pas dans l’album mais qui sont des croquis qui ont été
faits pour les recherches. Une exposition très complète
AD. C’est ton
premier album en solo. As-tu
apprécié cette prise de risque, ce défi ?
SS : Alors j’ai
souffert, j’ai eu très peur, je me suis angoissé mille fois, mais je suis hyper
content d’avoir fait cet album tout seul parce que je me sens responsable
complètement de l’album pour la première fois. J’ai fait une vingtaine d’albums
jusqu’à maintenant, donc il était temps que j’en fasse un seul, pour savoir si
j’en étais capable déjà ! Et puis surtout, c’est une implication totale
dans l’histoire et ça m’a beaucoup plu effectivement donc maintenant j’ai très
envie d’en faire un autre !
AD. Tout
seul ?
SS. Tout seul !
AD. Sinon, des projets
précis en cours de route ?
SS Là, je repars
sur des travaux qui sont avec d’autres scénaristes parce qu’entre temps, on m’a
proposé plein de choses et que c’était intéressant ! Donc, je vais quand
même continuer Marzi. Il y a encore trois albums de Marzi à faire, qui vont
sortir entre l’année prochaine et l’année suivante. Et en ce moment, je suis en
train de travailler sur un album avec Jean-David Morvan au scénario, sur Henri
Cartier-Bresson un des fondateurs de l’agence Magnum. Et c’est un album encore
ancré dans la réalité, avec une part assez humaniste aussi qui parle de son
engagement de photo reporter pendant la Seconde Guerre mondiale quand il est
parti en camp de travail en Allemagne. Donc, c’est un album qui sortira en
partenariat avec l’agence Magnum et la fondation Henri Cartier-Bresson, au
printemps de l’année prochaine.
AD. Ah oui, comme
le Robert Capa… ?
SS : Exactement,
dans la même collection sauf qu’il ne sera pas à l’italienne mais dans un
format plus classique.
Merci à Sylvain Savoia !
Merci à la librairie Bulle pour son accueil !
Merci à Stéphane pour les photos. Pour en voir plus, c'est toujours iciEt merci à Grégory pour la bande son !
Pour
en savoir plus sur les esclaves oubliés de Tromelin :
Film
documentaire
de Thierry Ragobert et Emmanuel Roblin, 52m., visible sur Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x19lrcq_esclaves-oublies-de-l-ile-tromelin_music
Interview
de Max Guérout par universciences.tv
Et
tout plein de documents passionnants sur le site du TAAF !
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