Interview d'Etienne Davodeau réalisée en public, au café BD St Pierre (Le Mans), le jeudi 25 mars 2010 pour la sortie du tome 2 de Lulu femme nue. En partenariat avec la librairie Bulle et Ouest France. Les débats sont menés et retranscrits ici par Agnès Deyzieux.
Avez- vous découvert la bande dessinée assez jeune par goût de la lecture ou du dessin ? Qu’est ce qui vous a intéressé dans la bande dessinée ? Quand avez-vous pris conscience que vous vouliez en faire ?
Depuis toujours, j’aime dessiner, j’aime les livres, j’aime les histoires… Au carrefour de tout cela, il y avait la bande dessinée, c’était pour moi assez naturel. Quand j’étais jeune -si vous avez lu Les Mauvaises Gens –j’ai grandi dans l’univers ouvrier et le travail avait pour moi le sens étymologique de tripalium, c'est-à-dire de torture ! Je voulais un truc pour ne pas travailler ! En tout cas, quelque chose qui ne m’enferme pas 8 heures par jour dans le même endroit obligatoire. Comme je lisais beaucoup de bandes dessinées étant jeune, j’ai compris un jour que ça pouvait être un métier. C’est devenu une obsession maladive. Comme je voulais échapper à l’usine, que je ne travaillais pas bien à l’école et qu’on me menaçait sans cesse : si tu travailles pas bien à l’école, tu iras à l’usine… Je ne savais pas qu’ils n’attendraient pas que je sois arrivé à l’âge de bosser pour fermer ! ! Bref, la bande dessinée me semblait une échappatoire possible pour éviter l’usine ! Ce n’est pas une raison glorieuse, mais c’est un vrai moteur ! J’avais un goût certain pour le dessin depuis toujours. Quand on a un goût et qu’on le travaille, il est possible qu’on s’améliore et que le goût s’en trouve augmenté. C’est un cercle vertueux, ce doit être la même chose pour la musique ou le football, enfin je suppose ! J’ai beaucoup dessinée toute ma vie. Mais dessiner et faire de la bande dessinée, ce n’est pas la même chose ! J’ai blindé les murs de ma chambre de dessins jusqu’à 10 ans et puis progressivement, je me suis mis à la bande dessinée.
Cela fait à peu près 20 ans que vous faites de la bande dessinée. Et au regard de votre bibliographie assez importante, on pourrait vous demander si vous vous sentez plutôt dessinateur, scénariste ou simplement auteur de bande dessinée ?
La plupart de mes livres, je les ai fait seul. Je ne me découpe pas en tranche, je fais des livres ! Je n’établis trop de frontières entre le scénario et le dessin. Plus j’avance, moins je fais de différence entre les deux, plus j’avance moins j’écris mes livres ! Quand je travaille avec d’autres auteurs, en général, ce sont des gens avec qui je m’entends suffisamment bien pour qu’il y ait une espèce de fusion. J’ai travaillé beaucoup avec Joub pour une série pour enfants Max et Zoe, Géronimo pour ados-adultes dont les deux derniers tomes sortent ces jours-ci. Joub, je le connais depuis longtemps, on a les mêmes façons de concevoir la bande dessinée. On peut très bien écrire et dessiner à 4 mains, on est une sorte de monstre avec des mains partout qui dessinent ! On écrit ensemble, je dessine le story board de la page que lui finalise. On se partage plus les tâches sur Max et Zoé c’est du récit jeunesse, un peu plus difficile à faire pour moi. Avec David Prudhomme pour La Tour des Miracles –adaptation de Brassens-, là j’ai tenu réellement un rôle de scénariste, j’ai livré un story board à David, qu’il n’a pas du tout respecté ! Mais bon, c’était la consigne ! Mais finalement, ce sont des expériences un peu marginales. Je me considère donc comme auteur de bande dessinée.
Avez-vous autant de plaisir dans ces trois étapes : étape scénario, étape dessin, étape couleurs ?
C’est comme un menu ! On ne trouve pas le même intérêt dans l’entrée, le plat et le dessert ! Le scénario est pour moi néanmoins la partie la plus importante, la plus difficile, la plus angoissante. Je reste persuadé que le scénario d’un livre, c’est sa structure, c’est ce qui en fait l’intérêt. Le meilleur dessinateur du monde avec un scénario débile, ça fait un livre débile. Et en bande dessinée, on en a plein ! C’est de cela dont crève la bande dessinée, à mon avis. Bref, le scénario, c’est la partie la plus déterminante, celle qui met le plus de pression ! Je ne suis pas un excellent dessinateur, je le sais, mais j’adore ça, dessiner ! Je me fous de ne pas être un excellent dessinateur ! Pour moi, ça va tout seul, ça coule, c’est du plaisir pur ! Et la couleur, c’est un peu le dessert…
Pourtant de nombreux dessinateurs insistent sur la difficulté de tenir la longueur et sur l'aspect fastidieux du dessin ?
La longueur ne me gêne pas, j’ai mis trois ans à dessiner Lulu, presque 4 en comptant le scénario et je ne me suis pas emmerdé une seconde ! Je conçois que les lecteurs se disent un an et demi, entre les deux tomes, c’est long ! Mais c’est quand même 80 pages que je fais seul, je bosse régulièrement et je ne vois pas passer les mois !
On remarque également que vous êtes attiré par des aspects qui étaient jusqu’à ces dernières années peu explorées en bande dessinée : la bande dessinée de reportage. Les mauvaises gens, un homme est mort, Rural… Est-ce que vous vous définiriez comme un auteur sinon engagé du moins concerné par ce qui vous entoure ?
Je voudrais préciser qu’à mon avis la bande dessinée de reportage existe depuis plus longtemps qu’on ne le dit. Je pense à la bande dessinée qui paraissait dans la presse : les reportages de Cabu dans Charlie Hebdo ou dans Hara Kiri. C’était des formats courts prévus pour la presse. Le documentaire sous forme de livre de bande dessinée et sur le long terme est effectivement plus récent. On peut citer les bouquins de Joe Sacco au début des années 90 surla Palestine , Gorazde, son dernier sur la bande de Gaza, ceux de Guibert, de Squarzoni… Les frontières sont assez floues : les livres qui sont de l’autobiographie ne sont-il pas aussi du reportage ? Et vice versa ? Cela reste néanmoins ultra minoritaire, sur les 4000 titres qui sortent dans l’année, peut-être cela tient en une dizaine de titres ? Je ne suis même pas sûr… Au final, je ne suis pas un auteur engagé mais je m’intéresse effectivement à ce qui se passe autour de moi et je m’en sers comme matière première pour mes livres…
Cette bande dessinée de reportage demande probablement beaucoup de travail et d’investissement en termes des recherches, des rencontres, de repérages…. Beaucoup plus que pour une œuvre de fiction probablement ?
Un jour, un auteur de bande dessinée -dont je tairais le nom par charité !- m’a dit « c’est facile le reportage ! Y a pas de scénario à faire ! » C’est évidemment l’inverse ! Le scénario est sous contrainte : on doit écrire que ce qu’on trouve, sans modifier la réalité… On une liberté moindre, on engage le nom des gens, des faits. Je ne prétends pas raconter la vérité, je raconte ma vision d’une situation que je découvre. C’est donc une écriture sous contrainte supplémentaire, plus longue, plus difficile à faire et toute cette partie qui sont des interviews, des recherches de documents, des déplacements…etc, s’ajoute aux étapes traditionnelles de la bande dessinée. Ce sont des bouquins plus longs à faire et qui sont aussi plus lourds pour l’éditeur, qui sont plus incertains puisque je ne peux pas donner un scénario à mon éditeur, juste lui dire, j’ai envie de faire un bouquin sur tel sujet, mais je ne sais pas ce que je vais trouver ! Toutes ces étapes compliquent l’affaire mais sont intéressantes, c’est une bande dessinée qu’on ne peut pas faire chez soi, en roupillant, il faut se bouger, aller voir les gens...
C’est comme un travail de journaliste ?
Non, c’est un travail d’auteur mais qui ressemble à un travail de journaliste ! Toute cette dimension là, je la fais de façon totalement empirique, je n’ai jamais appris à faire ça, mais ç’a m’intéresse beaucoup ! Ceci dit, j’aime bien aussi faire des livres de fiction, c’est pourquoi j’alterne !
Pour vos œuvres de fiction comme Chute de Vélo, Anticyclone, Le réflexe de survie, on voit que ce sont les gens ordinaires qui mènent une vie banale qui vous intéressent ; pas de super héros ni même d’aventuriers. Pour Lulu, vous avez choisi une femme comme personnage principal : Pourquoi une femme ? C’était plus intéressant comme personnage à travailler ?
Oui, je cherchais à écrire l’histoire de quelqu’un qui sature de sa vie quotidienne et qui se barre comme ça. Il me semblait que dans ce cas là, une femme, c’était plus intéressant parce qu’il me semble que les femmes subissent des pressions supplémentaires à celles des hommes ou du moins ont des contraintes de vie supplémentaires. C’était pour moi assez naturel d’animer un personnage féminin. Et du coup ça a enclenché autour d’elle une galerie de personnages féminins de différents âges.
Sa fille ado, puis la vieille Marthe ?
Oui, on pourrait presque considérer que ces différents personnages féminins représentent quatre générations de femmes –n’oublions pas Jenny- ou les différentes étapes de la vie d’une femme.
Lulu n’est pas très sexy, ce n’est pas une héroïne qui est là pour faire fantasmer les lecteurs !
Alors oui, c’est vrai que Lulu n’est pas sexy ! C’est une remarque récurrente, bon normalement en bande dessinée, on trouve plutôt des femmes pulpeuses alors que les personnages masculins, on leur demande pas grand-chose ! Il y a une espèce de stéréotype du personnage féminin qui domine la bande dessinée contre lequel j’ai fait Lulu ! Il y a une partie de la bande dessinée qui s’adresse aux hormones des lecteurs mâles. Quand on dessine une femme qui est une femme normale qui n’est pas non plus un laideron, qui est dans la moyenne, tout le monde vous demande : pourquoi elle est comme ça ? Les femmes de bande dessinée si on les croisait dans la rue nous apparaîtraient comme des monstres, des espèces de Barbie ! Quand on quitte ce stéréotype là, ça se remarque, ce qui est assez paradoxal. Moi, je veux revenir dans la moyenne, dans le flot des femmes qui sont comme nous tous, avec des hauts et des bas.
Le titre Lulu femme nue qui peut avoir un double sens a pu donc décevoir certains lecteurs ?!
Oui peut être ! Mais regardez aussi les hommes dans cet album : ils sont aussi un peu bedonnants, chauves, ils ont 40 balais, le temps a fait son effet, et ça personne n’en parle !
De plus, ils n’ont pas le beau rôle dans le récit, autant on voit des femmes qui évoluent, qui s’adaptent, autant les hommes restent figés dans leurs certitudes, vous en faites des portraits moins avantageux …
Je ne sais pas, c’est au lecteur de se faire son idée, je ne vais pas jusque là, je ne veux pas donner de clés, c’est aussi pour ça que je ne veux pas entrer dans la tête de Lulu.
Oui, j’ai trouvé cette technique de narration intéressante. L’histoire de Lulu va être rapportée au cours d’un repas par deux narrateurs différents, l’ami Xavier pour le 1er volume et sa fille Morgane pour le 2nd. Ce qui va permettre de varier les points de vue sur le personnage avec une voix off à la personnalité différente et peut être de conserver une apparente neutralité en tant qu’auteur pour laisser au lecteur le soin de se faire tout seul une idée : aucun narrateur n’est omniscient, chacun ne détient qu’un bout de l’histoire… Quand vous avez pensez à cette histoire, vous l’avez tout de suite pensée en diptyque, avec ce procédé qui permet de donner de l’épaisseur au personnage et aussi du rythme au récit ?
Oui, dès les premières idées, je savais qu’il y aurait deux narrateurs pour deux livres. Je pense qu’un livre est fait autant par son auteur que par son lecteur (sauf que les droits d’auteur ne sont que pour moi !) Il faut savoir laisser de la place au lecteur, pour qu’il s’installe dans le personnage. Si j’avais fait ce récit en faisant une description pointue de Lulu, en donnant ses états d’âme, il n’y a plus de place pour que le lecteur s’installe dans sa tête. Mon projet, c’est m’installer au plus près de Lulu sans jamais rentrer dans sa tête ou sa psychologie. C’est inviter donc un autre narrateur qui lui s’approche de Lulu, regarde ce qui se passe, nous fait part de ses opinions à lui, on reste à la fois à distance de Lulu dans ses états d’esprit et en même temps, on est au plus près de ce qui lui arrive concrètement. Et puis, il y a aussi des gens autour de la table qui écoutent, ce sont aussi un peu comme des lecteurs dans le livre qui se posent des questions, qui relancent, etc… Donc, ça c’était mes premières idées un peu théoriques, je ne devrais pas d’ailleurs lever le capot pour vous montrer comment ça marche !
Quand vous jetez Lulu sur la route, est-ce que vous saviez ce qui allait lui arriver ?
Le scénario que j’ai remis à mon éditeur pour ces 180 pages, ce sont 4 pages dactylographiées. C’était juste le cadre. J’ai juste dit à Claude Gendrot, mon éditeur, c’est l’histoire d’une femme qui se barre, quelqu’un raconte son histoire dans les deux tomes, il y a une veillée funèbre où on est réunit… Je savais qu’elle allait rencontrer quelqu’un dans le tome un, et puis un autre dans le tome 2, mais c’est tout ! Alors, finalement j’avais un cadre précis, je savais comment les choses allaient s’articuler, mais au milieu de tout ça, il y avait des grands blancs dans lesquels j’ai lancé Lulu, je l’ai suivie et puis j’ai regardé ce qui lui arrivait !
La toute fin était également construite depuis le début ?
Non, la toute fin m’est tombée dessus au dernier moment ! J’avais eu plusieurs hypothèses… Mais j’avançais derrière Lulu, je suivais ce personnage, je regardais ce qui lui arrivait et puis je choisissais la suite. C’est un peu comme si je lisais le livre à un rythme extrêmement ralenti et à chaque fois que quelque chose est sur le point d’arriver, je décide ou pas qu’elle arrive ! Parfois, il y a des choses qui commencent et ne finissent pas forcément, parfois il y a des choses gratuites… La structure générale du livre n’a pas bougé, même si les toutes dernières pages ont été changées…La fin m’est apparue soudainement, j’en ai parlé avec mon éditeur, on a hésité un peu et finalement j’ai bouclé comme ça.
Vous avez beaucoup de contact avec votre éditeur, il vient souvent mettre son nez dans votre histoire ?
Non, je suis trop jaloux de mon indépendance. Je lui envoie des pages régulièrement, ce que je lui demande, c’est de garder une vue globale sur le livre que moi, je perds très vite. Au début, je sais ce que je vais faire, je fonce et au bout de 6 mois, je suis trop dans le détail. Lui donc conserve le regard du début et me confirme si je suis toujours dans la bonne voie. Il peut aussi faire des remarques techniques dont je tiens ou pas compte !
Sur quoi portent ces remarques techniques, sur le découpage, le dessin ?
Oui, mais aussi les dialogues sur lesquels il est extrêmement attentif. On peut se pinailler des heures sur des détails… Mais c’est son boulot ! S’il s’avère que je ne peux pas défendre réellement une position, c’est peut être qu’elle est faiblarde. Au bout du compte, je garde l’absolue maîtrise. Son boulot, c’est juste de dire, attention tu quittes la route, et je peux très bien répondre, je m’en fous, j’ai le droit ! C’est une relation assez souple ! Si tout se passe bien, on peut rester trois mois sans correspondre.
Sur les couvertures, l’éditeur donne aussi son avis ?
Pour les couvertures, ça se passe à trois avec en plus le directeur artistique, Didier Gonord qui est en charge de tout l’habillage des livres Futuropolis auxquels il essaie de donner une sorte de cohérence, d’appartenance à la même famille. On cherche ensemble des images qui synthétisent sans en dire trop sur l’histoire. C’est totalement informel, on lance des idées et puis ça émerge ! Le directeur commercial aimerait que l’on fasse des couvertures de façon plus rationnelle avec tous les éléments qu’il faut mais c’est précisément ce que je ne veux pas faire !
Au niveau du travail des couleurs, on voit que vous avez choisi de rester dans une tonalité homogène, une gamme chromatique douce et volontairement limité avec des ocres, des jaunes, des bleus… Qu’est ce qui a motivé ce choix ?
La couleur n’a pas un rôle décoratif. Dans Tintin, par exemple, les couleurs servent à coder les personnages, c’est une couleur à la fois de décoration et de codage. La couleur, je l’utilise de façon strictement narrative, elle me sert à conforter le récit. C’est que j’en ai besoin dans le cade de ce que je raconte. Quand je décide de faire un livre en couleurs, je délimite une gamme de couleurs très restreintes, souvent deux ou trois. Pour Lulu, c’est effectivement cet ocre et ce bleu. L’histoire se passe sur la côte, en octobre. J’ai besoin de cette lumière un peu particulière, plus franche et plus fraîche d’une certaine manière que celle de l’été. J’ai fabriqué ces deux couleurs qui sont le sable ou la terre, et la mer ou le ciel, mais c’est aussi la fraîcheur/ la chaleur, l’ombre et la lumière… Dans les intérieurs, le brun domine, dans les extérieurs le bleu. En fait, c’est plus de la mise en lumière, en ambiance qu’en couleurs !
Vous pouvez nous dire quel est le décor exact où se passe le récit ?
C’est une fiction ! Bon, je ne le dis nulle part, mais le premier tome est très très inspiré de St Gilles Croix de Vie, mais le camping n’existe pas ! Le second volume, c’est un peu le décor des Sables d’Olonne.
Votre public est plutôt féminin ou masculin ? Il semble que ce que vit Lulu peut trouver écho chez beaucoup de lectrices. Il y a par exemple ce soir autant de femmes que d’hommes…
Réponse du libraire : c’est rare qu’il y ait autant de filles à un café BD ! Je pense que le public de ce titre est pour ¾ des femmes et pour un quart des hommes.
Bien, je l’apprends en même temps que vous !
Libraire : Quand je présente l’album en quelques mots à un homme, en général, il me dit : « ben, tu le reposes vite sur le rayon et tu me parles d’autres choses ! »
C’est vrai que j’ai rencontré des hommes qui ont été choqués ou gênés par cette femme qui quitte mari et enfants, les femmes non, elles comprennent ! Pourtant, il y a plein de bandes dessinées à mon avis hyper choquantes, violentes et ce qui les choque eux, c’est la femme qui se barre !
Combien d’albums vendus ?
Entre 30 et 35.000 pour le premier volume, pour le second, le premier tirage était de 27 000, il est en réimpression… Je suis loin de Titeuf ! Mais ça me permet de continuer ! Je suis content de pouvoir faire des livres dont les éditeurs n’ont pas à souffrir et de pouvoir continuer !
Vos projets ?
Je viens de terminer avec Joub le 3ème et dernier volume de Géronimo qui sort en avril. Ce sont de longs projets que j’ai menés en 3 ou 4 ans qui se terminent en même temps. Je reviens à présent à une formule plus proche du documentaire. J’ai rencontré un vigneron dont le travail m’intéresse et qui lui visiblement ne connaît rien à la bande dessinée. Je lui ai fait remarqué et lui m’a dit : tu connais quelque chose au vin et au travail de vigneron ? Donc depuis un mois et demi, je suis ouvrier viticole, je taille la vigne, je plante, je passe la charrue… En contre partie, je le force à lire de la bande dessinée et il m’a accompagné chez l’imprimeur pour le tome de Lulu ! Je vais le faire travailler aussi ! Donc, c’est un livre qui va raconter cette initiation croisée, je dois aussi goûter du vin, pendant que lui goûte des livres puis on rencontre des auteurs et des vignerons… je pars d’une idée qui reste à vérifier qu’il y a autant de façon de faire du vin que des livres ! Il faut que ce pressentiment, cette hypothèse se vérifie sinon je suis dans la merde !
Ca va durer longtemps votre initiation ?
Au moins un an ! Le vin que je suis en train de préparer, j’aimerais y goûter avant que le livre ne soit fini ! La vendange sera faite en septembre, et courant 2011, vous pourrez lire ça ! Ca s’appellera Les ignorants !
Comment ça se passe ? Comme pour Rural ? Vous partez avec votre carnet de croquis dans les vignes ?
Oui, je vais dans les vignes avec mon appareil photo et mon carnet de croquis sauf que c’est difficile parce que j’ai envie aussi de bosser avec lui, je veux avoir des sensations concrètes… Quand on a planté 1500 pieds de vignes, on a des sensations musculaires ! J’ai envie de passer par cette immersion, mais il faut aussi que je dessine ! Donc, j’essaie de partager mon temps entre le coteau, la cave et mon atelier !
Parallèlement à ce projet, j’ai un projet de livre collectif depuis deux ans, avec 5 ou 6 camarades auteurs. On avait envie de discuter avec nos collègues qui dessinaient il y a 15 ou 30 000 ans. Donc, on écume les grottes de France qui sont ornées et on va essayer de faire un livre de dialogues. C’est un livre où il y aura du dessin, de la bande dessinée et du texte. Il sortira chez Futuropolis à la fin de l’année, je ne connais pas encore le titre !
Comment ça se passe réellement ?
On passe des jours le cul dans la glaise et dans l’obscurité avec des lampes frontales à dessiner ! Ces gens là dessinaient des bestioles qu’on ne peut pas dessiner –des aurochs, des tigres- mais techniquement ils ont tout ce qu’on a. Leurs dessins n’ont pas plus ou moins de défaut que les nôtres. On a une approche rayonnante, on ne cherche pas à singer leurs techniques, même si on va faire quelques expériences pour nous… On ne cherche pas à se rapprocher d’eux techniquement ou à faire comme eux…on joue plutôt sur l’écartement, sur ce qui nous rapproche et ce qui nous oppose. On se pose des questions : quel rapport avaient-ils avec ce qu’ils dessinaient ? Pourquoi dessinaient-ils là toutes ces bestioles? .Pourquoi ne dessinaient-ils pas d’êtres humains, alors qu’ils dessinaient parfaitement les animaux… ?
Questions du public
Une adaptation ciné pour Lulu, ça vous tenterait ?
Je n’ai pas de fascination particulière pour le cinéma !
Parce que quand on lit, on a l’impression de voir le film, on entend la musique, etc..
«On dirait un film » : vous n’êtes pas la première à me dire en effet, Dès qu’on lit une bande dessinée un peu fluide, on ramène ça au cinéma. Or, le cousinage ciné/bande dessinée, c’est un truc sur lequel je suis très prudent et même méfiant… En même temps, on me dit ça comme un compliment, « c’est comme un film » mais j’entends ça presque par défaut, « c’est pas comme de la bande dessinée ». Alors que moi, ce qui m’intéresse, c’est de faire ce genre de chose en bande dessinée ! Maintenant, si je le prends comme un compliment, c’est sur cet aspect fluidité du récit qui donne une idée de mouvements qui est plus propre au cinéma qu’à la bande dessinée. Pour être franc, plusieurs de mes livres ont été approchés pour être adaptés en bande dessinée, mais c’est long et très lourd financièrement… Moi, personnellement je n’attends rien. Je n’ai ni frustration particulière envers le cinéma ni opposition de principe ! Si une adaptation m’est proposée et qu’elle me plait je dirais oui ! Mais ce ne sera pas moi qui m’y collerai, ce n’est pas mon boulot ni mon langage. En plus, la liberté qu’on a en bande dessinée de faire des histoires, personne d’autre ne l’a !
Merci à Etienne Davodeau pour sa participation chaleureuse !
Cela fait à peu près 20 ans que vous faites de la bande dessinée. Et au regard de votre bibliographie assez importante, on pourrait vous demander si vous vous sentez plutôt dessinateur, scénariste ou simplement auteur de bande dessinée ?
La plupart de mes livres, je les ai fait seul. Je ne me découpe pas en tranche, je fais des livres ! Je n’établis trop de frontières entre le scénario et le dessin. Plus j’avance, moins je fais de différence entre les deux, plus j’avance moins j’écris mes livres ! Quand je travaille avec d’autres auteurs, en général, ce sont des gens avec qui je m’entends suffisamment bien pour qu’il y ait une espèce de fusion. J’ai travaillé beaucoup avec Joub pour une série pour enfants Max et Zoe, Géronimo pour ados-adultes dont les deux derniers tomes sortent ces jours-ci. Joub, je le connais depuis longtemps, on a les mêmes façons de concevoir la bande dessinée. On peut très bien écrire et dessiner à 4 mains, on est une sorte de monstre avec des mains partout qui dessinent ! On écrit ensemble, je dessine le story board de la page que lui finalise. On se partage plus les tâches sur Max et Zoé c’est du récit jeunesse, un peu plus difficile à faire pour moi. Avec David Prudhomme pour La Tour des Miracles –adaptation de Brassens-, là j’ai tenu réellement un rôle de scénariste, j’ai livré un story board à David, qu’il n’a pas du tout respecté ! Mais bon, c’était la consigne ! Mais finalement, ce sont des expériences un peu marginales. Je me considère donc comme auteur de bande dessinée.
Avez-vous autant de plaisir dans ces trois étapes : étape scénario, étape dessin, étape couleurs ?
C’est comme un menu ! On ne trouve pas le même intérêt dans l’entrée, le plat et le dessert ! Le scénario est pour moi néanmoins la partie la plus importante, la plus difficile, la plus angoissante. Je reste persuadé que le scénario d’un livre, c’est sa structure, c’est ce qui en fait l’intérêt. Le meilleur dessinateur du monde avec un scénario débile, ça fait un livre débile. Et en bande dessinée, on en a plein ! C’est de cela dont crève la bande dessinée, à mon avis. Bref, le scénario, c’est la partie la plus déterminante, celle qui met le plus de pression ! Je ne suis pas un excellent dessinateur, je le sais, mais j’adore ça, dessiner ! Je me fous de ne pas être un excellent dessinateur ! Pour moi, ça va tout seul, ça coule, c’est du plaisir pur ! Et la couleur, c’est un peu le dessert…
Pourtant de nombreux dessinateurs insistent sur la difficulté de tenir la longueur et sur l'aspect fastidieux du dessin ?
La longueur ne me gêne pas, j’ai mis trois ans à dessiner Lulu, presque 4 en comptant le scénario et je ne me suis pas emmerdé une seconde ! Je conçois que les lecteurs se disent un an et demi, entre les deux tomes, c’est long ! Mais c’est quand même 80 pages que je fais seul, je bosse régulièrement et je ne vois pas passer les mois !
On remarque également que vous êtes attiré par des aspects qui étaient jusqu’à ces dernières années peu explorées en bande dessinée : la bande dessinée de reportage. Les mauvaises gens, un homme est mort, Rural… Est-ce que vous vous définiriez comme un auteur sinon engagé du moins concerné par ce qui vous entoure ?
Je voudrais préciser qu’à mon avis la bande dessinée de reportage existe depuis plus longtemps qu’on ne le dit. Je pense à la bande dessinée qui paraissait dans la presse : les reportages de Cabu dans Charlie Hebdo ou dans Hara Kiri. C’était des formats courts prévus pour la presse. Le documentaire sous forme de livre de bande dessinée et sur le long terme est effectivement plus récent. On peut citer les bouquins de Joe Sacco au début des années 90 sur
Cette bande dessinée de reportage demande probablement beaucoup de travail et d’investissement en termes des recherches, des rencontres, de repérages…. Beaucoup plus que pour une œuvre de fiction probablement ?
Un jour, un auteur de bande dessinée -dont je tairais le nom par charité !- m’a dit « c’est facile le reportage ! Y a pas de scénario à faire ! » C’est évidemment l’inverse ! Le scénario est sous contrainte : on doit écrire que ce qu’on trouve, sans modifier la réalité… On une liberté moindre, on engage le nom des gens, des faits. Je ne prétends pas raconter la vérité, je raconte ma vision d’une situation que je découvre. C’est donc une écriture sous contrainte supplémentaire, plus longue, plus difficile à faire et toute cette partie qui sont des interviews, des recherches de documents, des déplacements…etc, s’ajoute aux étapes traditionnelles de la bande dessinée. Ce sont des bouquins plus longs à faire et qui sont aussi plus lourds pour l’éditeur, qui sont plus incertains puisque je ne peux pas donner un scénario à mon éditeur, juste lui dire, j’ai envie de faire un bouquin sur tel sujet, mais je ne sais pas ce que je vais trouver ! Toutes ces étapes compliquent l’affaire mais sont intéressantes, c’est une bande dessinée qu’on ne peut pas faire chez soi, en roupillant, il faut se bouger, aller voir les gens...
C’est comme un travail de journaliste ?
Non, c’est un travail d’auteur mais qui ressemble à un travail de journaliste ! Toute cette dimension là, je la fais de façon totalement empirique, je n’ai jamais appris à faire ça, mais ç’a m’intéresse beaucoup ! Ceci dit, j’aime bien aussi faire des livres de fiction, c’est pourquoi j’alterne !
Pour vos œuvres de fiction comme Chute de Vélo, Anticyclone, Le réflexe de survie, on voit que ce sont les gens ordinaires qui mènent une vie banale qui vous intéressent ; pas de super héros ni même d’aventuriers. Pour Lulu, vous avez choisi une femme comme personnage principal : Pourquoi une femme ? C’était plus intéressant comme personnage à travailler ?
Oui, je cherchais à écrire l’histoire de quelqu’un qui sature de sa vie quotidienne et qui se barre comme ça. Il me semblait que dans ce cas là, une femme, c’était plus intéressant parce qu’il me semble que les femmes subissent des pressions supplémentaires à celles des hommes ou du moins ont des contraintes de vie supplémentaires. C’était pour moi assez naturel d’animer un personnage féminin. Et du coup ça a enclenché autour d’elle une galerie de personnages féminins de différents âges.
Sa fille ado, puis la vieille Marthe ?
Oui, on pourrait presque considérer que ces différents personnages féminins représentent quatre générations de femmes –n’oublions pas Jenny- ou les différentes étapes de la vie d’une femme.
Lulu n’est pas très sexy, ce n’est pas une héroïne qui est là pour faire fantasmer les lecteurs !
Alors oui, c’est vrai que Lulu n’est pas sexy ! C’est une remarque récurrente, bon normalement en bande dessinée, on trouve plutôt des femmes pulpeuses alors que les personnages masculins, on leur demande pas grand-chose ! Il y a une espèce de stéréotype du personnage féminin qui domine la bande dessinée contre lequel j’ai fait Lulu ! Il y a une partie de la bande dessinée qui s’adresse aux hormones des lecteurs mâles. Quand on dessine une femme qui est une femme normale qui n’est pas non plus un laideron, qui est dans la moyenne, tout le monde vous demande : pourquoi elle est comme ça ? Les femmes de bande dessinée si on les croisait dans la rue nous apparaîtraient comme des monstres, des espèces de Barbie ! Quand on quitte ce stéréotype là, ça se remarque, ce qui est assez paradoxal. Moi, je veux revenir dans la moyenne, dans le flot des femmes qui sont comme nous tous, avec des hauts et des bas.
Le titre Lulu femme nue qui peut avoir un double sens a pu donc décevoir certains lecteurs ?!
Oui peut être ! Mais regardez aussi les hommes dans cet album : ils sont aussi un peu bedonnants, chauves, ils ont 40 balais, le temps a fait son effet, et ça personne n’en parle !
De plus, ils n’ont pas le beau rôle dans le récit, autant on voit des femmes qui évoluent, qui s’adaptent, autant les hommes restent figés dans leurs certitudes, vous en faites des portraits moins avantageux …
Je ne sais pas, c’est au lecteur de se faire son idée, je ne vais pas jusque là, je ne veux pas donner de clés, c’est aussi pour ça que je ne veux pas entrer dans la tête de Lulu.
Oui, j’ai trouvé cette technique de narration intéressante. L’histoire de Lulu va être rapportée au cours d’un repas par deux narrateurs différents, l’ami Xavier pour le 1er volume et sa fille Morgane pour le 2nd. Ce qui va permettre de varier les points de vue sur le personnage avec une voix off à la personnalité différente et peut être de conserver une apparente neutralité en tant qu’auteur pour laisser au lecteur le soin de se faire tout seul une idée : aucun narrateur n’est omniscient, chacun ne détient qu’un bout de l’histoire… Quand vous avez pensez à cette histoire, vous l’avez tout de suite pensée en diptyque, avec ce procédé qui permet de donner de l’épaisseur au personnage et aussi du rythme au récit ?
Oui, dès les premières idées, je savais qu’il y aurait deux narrateurs pour deux livres. Je pense qu’un livre est fait autant par son auteur que par son lecteur (sauf que les droits d’auteur ne sont que pour moi !) Il faut savoir laisser de la place au lecteur, pour qu’il s’installe dans le personnage. Si j’avais fait ce récit en faisant une description pointue de Lulu, en donnant ses états d’âme, il n’y a plus de place pour que le lecteur s’installe dans sa tête. Mon projet, c’est m’installer au plus près de Lulu sans jamais rentrer dans sa tête ou sa psychologie. C’est inviter donc un autre narrateur qui lui s’approche de Lulu, regarde ce qui se passe, nous fait part de ses opinions à lui, on reste à la fois à distance de Lulu dans ses états d’esprit et en même temps, on est au plus près de ce qui lui arrive concrètement. Et puis, il y a aussi des gens autour de la table qui écoutent, ce sont aussi un peu comme des lecteurs dans le livre qui se posent des questions, qui relancent, etc… Donc, ça c’était mes premières idées un peu théoriques, je ne devrais pas d’ailleurs lever le capot pour vous montrer comment ça marche !
Quand vous jetez Lulu sur la route, est-ce que vous saviez ce qui allait lui arriver ?
Le scénario que j’ai remis à mon éditeur pour ces 180 pages, ce sont 4 pages dactylographiées. C’était juste le cadre. J’ai juste dit à Claude Gendrot, mon éditeur, c’est l’histoire d’une femme qui se barre, quelqu’un raconte son histoire dans les deux tomes, il y a une veillée funèbre où on est réunit… Je savais qu’elle allait rencontrer quelqu’un dans le tome un, et puis un autre dans le tome 2, mais c’est tout ! Alors, finalement j’avais un cadre précis, je savais comment les choses allaient s’articuler, mais au milieu de tout ça, il y avait des grands blancs dans lesquels j’ai lancé Lulu, je l’ai suivie et puis j’ai regardé ce qui lui arrivait !
La toute fin était également construite depuis le début ?
Non, la toute fin m’est tombée dessus au dernier moment ! J’avais eu plusieurs hypothèses… Mais j’avançais derrière Lulu, je suivais ce personnage, je regardais ce qui lui arrivait et puis je choisissais la suite. C’est un peu comme si je lisais le livre à un rythme extrêmement ralenti et à chaque fois que quelque chose est sur le point d’arriver, je décide ou pas qu’elle arrive ! Parfois, il y a des choses qui commencent et ne finissent pas forcément, parfois il y a des choses gratuites… La structure générale du livre n’a pas bougé, même si les toutes dernières pages ont été changées…La fin m’est apparue soudainement, j’en ai parlé avec mon éditeur, on a hésité un peu et finalement j’ai bouclé comme ça.
Vous avez beaucoup de contact avec votre éditeur, il vient souvent mettre son nez dans votre histoire ?
Non, je suis trop jaloux de mon indépendance. Je lui envoie des pages régulièrement, ce que je lui demande, c’est de garder une vue globale sur le livre que moi, je perds très vite. Au début, je sais ce que je vais faire, je fonce et au bout de 6 mois, je suis trop dans le détail. Lui donc conserve le regard du début et me confirme si je suis toujours dans la bonne voie. Il peut aussi faire des remarques techniques dont je tiens ou pas compte !
Sur quoi portent ces remarques techniques, sur le découpage, le dessin ?
Oui, mais aussi les dialogues sur lesquels il est extrêmement attentif. On peut se pinailler des heures sur des détails… Mais c’est son boulot ! S’il s’avère que je ne peux pas défendre réellement une position, c’est peut être qu’elle est faiblarde. Au bout du compte, je garde l’absolue maîtrise. Son boulot, c’est juste de dire, attention tu quittes la route, et je peux très bien répondre, je m’en fous, j’ai le droit ! C’est une relation assez souple ! Si tout se passe bien, on peut rester trois mois sans correspondre.
Sur les couvertures, l’éditeur donne aussi son avis ?
Pour les couvertures, ça se passe à trois avec en plus le directeur artistique, Didier Gonord qui est en charge de tout l’habillage des livres Futuropolis auxquels il essaie de donner une sorte de cohérence, d’appartenance à la même famille. On cherche ensemble des images qui synthétisent sans en dire trop sur l’histoire. C’est totalement informel, on lance des idées et puis ça émerge ! Le directeur commercial aimerait que l’on fasse des couvertures de façon plus rationnelle avec tous les éléments qu’il faut mais c’est précisément ce que je ne veux pas faire !
Au niveau du travail des couleurs, on voit que vous avez choisi de rester dans une tonalité homogène, une gamme chromatique douce et volontairement limité avec des ocres, des jaunes, des bleus… Qu’est ce qui a motivé ce choix ?
La couleur n’a pas un rôle décoratif. Dans Tintin, par exemple, les couleurs servent à coder les personnages, c’est une couleur à la fois de décoration et de codage. La couleur, je l’utilise de façon strictement narrative, elle me sert à conforter le récit. C’est que j’en ai besoin dans le cade de ce que je raconte. Quand je décide de faire un livre en couleurs, je délimite une gamme de couleurs très restreintes, souvent deux ou trois. Pour Lulu, c’est effectivement cet ocre et ce bleu. L’histoire se passe sur la côte, en octobre. J’ai besoin de cette lumière un peu particulière, plus franche et plus fraîche d’une certaine manière que celle de l’été. J’ai fabriqué ces deux couleurs qui sont le sable ou la terre, et la mer ou le ciel, mais c’est aussi la fraîcheur/ la chaleur, l’ombre et la lumière… Dans les intérieurs, le brun domine, dans les extérieurs le bleu. En fait, c’est plus de la mise en lumière, en ambiance qu’en couleurs !
Vous pouvez nous dire quel est le décor exact où se passe le récit ?
C’est une fiction ! Bon, je ne le dis nulle part, mais le premier tome est très très inspiré de St Gilles Croix de Vie, mais le camping n’existe pas ! Le second volume, c’est un peu le décor des Sables d’Olonne.
Votre public est plutôt féminin ou masculin ? Il semble que ce que vit Lulu peut trouver écho chez beaucoup de lectrices. Il y a par exemple ce soir autant de femmes que d’hommes…
Réponse du libraire : c’est rare qu’il y ait autant de filles à un café BD ! Je pense que le public de ce titre est pour ¾ des femmes et pour un quart des hommes.
Bien, je l’apprends en même temps que vous !
Libraire : Quand je présente l’album en quelques mots à un homme, en général, il me dit : « ben, tu le reposes vite sur le rayon et tu me parles d’autres choses ! »
C’est vrai que j’ai rencontré des hommes qui ont été choqués ou gênés par cette femme qui quitte mari et enfants, les femmes non, elles comprennent ! Pourtant, il y a plein de bandes dessinées à mon avis hyper choquantes, violentes et ce qui les choque eux, c’est la femme qui se barre !
Combien d’albums vendus ?
Entre 30 et 35.000 pour le premier volume, pour le second, le premier tirage était de 27 000, il est en réimpression… Je suis loin de Titeuf ! Mais ça me permet de continuer ! Je suis content de pouvoir faire des livres dont les éditeurs n’ont pas à souffrir et de pouvoir continuer !
Vos projets ?
Je viens de terminer avec Joub le 3ème et dernier volume de Géronimo qui sort en avril. Ce sont de longs projets que j’ai menés en 3 ou 4 ans qui se terminent en même temps. Je reviens à présent à une formule plus proche du documentaire. J’ai rencontré un vigneron dont le travail m’intéresse et qui lui visiblement ne connaît rien à la bande dessinée. Je lui ai fait remarqué et lui m’a dit : tu connais quelque chose au vin et au travail de vigneron ? Donc depuis un mois et demi, je suis ouvrier viticole, je taille la vigne, je plante, je passe la charrue… En contre partie, je le force à lire de la bande dessinée et il m’a accompagné chez l’imprimeur pour le tome de Lulu ! Je vais le faire travailler aussi ! Donc, c’est un livre qui va raconter cette initiation croisée, je dois aussi goûter du vin, pendant que lui goûte des livres puis on rencontre des auteurs et des vignerons… je pars d’une idée qui reste à vérifier qu’il y a autant de façon de faire du vin que des livres ! Il faut que ce pressentiment, cette hypothèse se vérifie sinon je suis dans la merde !
Ca va durer longtemps votre initiation ?
Au moins un an ! Le vin que je suis en train de préparer, j’aimerais y goûter avant que le livre ne soit fini ! La vendange sera faite en septembre, et courant 2011, vous pourrez lire ça ! Ca s’appellera Les ignorants !
Comment ça se passe ? Comme pour Rural ? Vous partez avec votre carnet de croquis dans les vignes ?
Oui, je vais dans les vignes avec mon appareil photo et mon carnet de croquis sauf que c’est difficile parce que j’ai envie aussi de bosser avec lui, je veux avoir des sensations concrètes… Quand on a planté 1500 pieds de vignes, on a des sensations musculaires ! J’ai envie de passer par cette immersion, mais il faut aussi que je dessine ! Donc, j’essaie de partager mon temps entre le coteau, la cave et mon atelier !
Parallèlement à ce projet, j’ai un projet de livre collectif depuis deux ans, avec 5 ou 6 camarades auteurs. On avait envie de discuter avec nos collègues qui dessinaient il y a 15 ou 30 000 ans. Donc, on écume les grottes de France qui sont ornées et on va essayer de faire un livre de dialogues. C’est un livre où il y aura du dessin, de la bande dessinée et du texte. Il sortira chez Futuropolis à la fin de l’année, je ne connais pas encore le titre !
Comment ça se passe réellement ?
On passe des jours le cul dans la glaise et dans l’obscurité avec des lampes frontales à dessiner ! Ces gens là dessinaient des bestioles qu’on ne peut pas dessiner –des aurochs, des tigres- mais techniquement ils ont tout ce qu’on a. Leurs dessins n’ont pas plus ou moins de défaut que les nôtres. On a une approche rayonnante, on ne cherche pas à singer leurs techniques, même si on va faire quelques expériences pour nous… On ne cherche pas à se rapprocher d’eux techniquement ou à faire comme eux…on joue plutôt sur l’écartement, sur ce qui nous rapproche et ce qui nous oppose. On se pose des questions : quel rapport avaient-ils avec ce qu’ils dessinaient ? Pourquoi dessinaient-ils là toutes ces bestioles? .Pourquoi ne dessinaient-ils pas d’êtres humains, alors qu’ils dessinaient parfaitement les animaux… ?
Questions du public
Une adaptation ciné pour Lulu, ça vous tenterait ?
Je n’ai pas de fascination particulière pour le cinéma !
Parce que quand on lit, on a l’impression de voir le film, on entend la musique, etc..
«On dirait un film » : vous n’êtes pas la première à me dire en effet, Dès qu’on lit une bande dessinée un peu fluide, on ramène ça au cinéma. Or, le cousinage ciné/bande dessinée, c’est un truc sur lequel je suis très prudent et même méfiant… En même temps, on me dit ça comme un compliment, « c’est comme un film » mais j’entends ça presque par défaut, « c’est pas comme de la bande dessinée ». Alors que moi, ce qui m’intéresse, c’est de faire ce genre de chose en bande dessinée ! Maintenant, si je le prends comme un compliment, c’est sur cet aspect fluidité du récit qui donne une idée de mouvements qui est plus propre au cinéma qu’à la bande dessinée. Pour être franc, plusieurs de mes livres ont été approchés pour être adaptés en bande dessinée, mais c’est long et très lourd financièrement… Moi, personnellement je n’attends rien. Je n’ai ni frustration particulière envers le cinéma ni opposition de principe ! Si une adaptation m’est proposée et qu’elle me plait je dirais oui ! Mais ce ne sera pas moi qui m’y collerai, ce n’est pas mon boulot ni mon langage. En plus, la liberté qu’on a en bande dessinée de faire des histoires, personne d’autre ne l’a !
Merci à Etienne Davodeau pour sa participation chaleureuse !
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